Mardi 21 février, Clotilde Pouzergue et Jérôme Moroge ont officialisé leur intention de faire fusionner leurs communes au 1er janvier 2024. (Photo Hadrien Jame)

La fusion d’Oullins et Pierre-Bénite, mariage de raison ou coup politique ? 

L’annonce surprise d’un projet de fusion entre Oullins et Pierre-Bénite, deux communes du sud de la métropole de Lyon, a pris tout le monde de cours lundi 20 février. Au point de lever de nombreuses questions sur les raisons de ce mariage négocié par les deux maires LR.

Bien malin celui qui aurait pu prédire il y a encore quelques jours que les communes d’Oullins et Pierre-Bénite s’apprêtaient à fusionner. Depuis un peu plus d’un an, Clotilde Pouzergue et Jérôme Moroge, les maires LR des deux villes du sud de la métropole de Lyon, travaillaient en catimini à un rassemblement de leurs territoires, séparés en 1869. Jusqu’à ce que lundi 20 février, nos confrères du Progrès éventent leur projet, jusqu’ici jalousement gardé par une poignée de personnes consultées au compte-goutte. 

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Un secret bien gardé

Même l'ancien maire LR d'Oullins, François-Noël Buffet, qui avait pourtant installé Clotilde Pouzergue en 2017, n'avait pas été mis au courant, c'est dire. "Je n’ai jamais été associé à cette démarche. J’en ai été informé par le maire de Pierre-Bénite en fin de semaine dernière. J’ai demandé en urgence un rendez-vous à la maire d’Oullins, qui me l’a accordé lundi prochain, pour comprendre", nous confiait ce mercredi le sénateur, encore perplexe après cette annonce. Ce besoin de recourir au secret interroge. D’autant plus que les deux communes ne sont pas les premières à entamer une telle transition dans le Rhône et l’idée d’une fusion d’Oullins avec d’autres villes, Lyon ou la Mulatière, a même déjà été évoquée il y a une dizaine d’années.

"Je n’ai jamais été associé à cette démarche. J’en ai été informé par le maire de Pierre-Bénite en fin de semaine dernière"

François-Noël Buffet, ancien maire d'Oullins et sénateur LR du Rhône

Né il y a un peu plus d’un an au travers de discussions sur la création d’un centre nautique commun entre Oullins et Pierre-Bénite, à en croire ses deux instigateurs, ce projet de fusion nourrit donc les spéculations sur le véritable intérêt des deux élus. Lundi, dans les heures qui avaient suivi l’officialisation par les deux maires de la nouvelle, à Oullins, l’opposition de gauche emmenée par Jean-Charles Kohlhaas, vice-président écologiste de la Métropole de Lyon, dénonçait une "tromperie" et un "déni de démocratie". Les deux édiles n’ayant pas été élus avec cette intention dans leur programme, les écologistes ont donc immédiatement brandit la carte du référendum. "L'idée aurait été portée pendant la campagne municipale, en disant "C’est notre projet", cela aurait été différent, mais là tous les électeurs tombent de leur chaise", critique le vice-président en charge des transports.

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Un référendum écarté

Une hypothèse écartée dès mardi par Clotilde Pouzergue lors d’un point presse visant à présenter les grandes lignes du projet et l'ouverture d'une concertation de plusieurs mois auprès des habitants. "Un référendum c’est une réponse binaire, nous il faut que l’on aille au-devant de la population pour expliquer les raisons de ce projet, ses avantages, de façon à convaincre le plus grand nombre", justifie-t-elle. D’ailleurs, pas certains que l’exercice aurait séduit les habitants. Mardi, au café Le Mérion, qui donne sur la place de la mairie, un Oullinois nous confiait, après avoir appris la nouvelle dans le journal, "qui dit referendum dit politiser la chose, alors que ça, ce n’est pas quelque chose qui doit l’être. Cela doit être fait pour le bien du citoyen".

"Ce n’est pas notre manière de voir les choses. Un référendum c’est une réponse binaire"

Clotilde Pouzergue, maire d'Oullins

Un acte politique, c’est pourtant bien ce que semblent y voir certains. Pour Jean-Charles Kohlhaas il ne s’agit ainsi rien de moins que d’une "intention conseillée par un cabinet politicien plus attaché aux résultats électoraux qu’à l’intérêt des habitants". Candidat aux élections législatives de 2021 et conseiller métropolitain EELV, Benjamin Badouard y voit là une manoeuvre pour "éviter qu’Oullins bascule chez les écolos en 2026", alors qu’en 2020 Clotilde Pouzergue avait conservé sa place de maire pour seulement 148 voix face à Jean-Charles Kohlhaas. L’élue LR avait remporté 51,31% (2 883 voix) des suffrages exprimés, contre 48,68% (2 735 voix) pour le chef de file des écologistes dans la ville. 

Une porte de sortie pour Clotilde Pouzergue ?

"Tous ceux qui ont voulu faire des reformes électorales en espérant pouvoir en bénéficier se sont toujours plantés", analyse un élu LR surpris par ce projet et qui n’hésite pas à rappeler l’échec de Gérard Collomb à conserver la Métropole de Lyon après l’avoir créée. Pour lui, dans cette histoire l’intérêt serait ailleurs et pas totalement au service des habitants. En coulisses, il se murmurerait ainsi depuis quelque temps que la maire d’Oullins se cherchait une porte de sortie à mi-mandat. "On a le sentiment qu’elle n’était plus très motivée depuis un certain temps, mais si c’était le cas elle aurait pu passer la main à un adjoint", s’étonne Jean-Charles Kohlhaas. 

"On a le sentiment qu’elle n’était plus très motivée depuis un certain temps, mais si c’était le cas elle aurait pu passer la main à un adjoint"

Jean-Charles Kohlhaas, président écologiste du groupe d'opposition Agir à Oullins

Des considérations politiques balayées par Clotilde Pouzergue et Jérôme Moroge, qui assurent avoir "l’intérêt général chevillé au corps. [...] Mutualiser les équipements c’est le sens de l’histoire. L’argent public, qui est le fruit du contribuable, s’amenuise donc il faut trouver d’autres solutions". Interrogée sur sa décision de laisser les commandes au maire de Pierre-Bénite, la maire d’Oullins, qui redeviendra simple conseillère municipale, assure avoir pris cette décision, car "quand on construit un projet de cette nature, il faut aller au-delà des personnes et des projets personnels". "Jérôme [Moroge, NDLR] connaît bien le territoire, il est originaire d’Oullins, une partie de sa famille y vit encore. Il est extrêmement connu sur la commune", explique Clotilde Pouzergue, nous n'en saurons pas plus que cela. Au coup politique dénoncé par ses détracteurs, Jérôme Moroge, agacé, répond "on n’est pas au niveau du sujet. On est en train de parler d’une vision de long terme, de moyens que l’on a plus depuis des années, de réflexions qui sont menées au niveau de l’État [sur le nombre de communes, NDLR], ne rabaissons pas cela à une histoire de personnes". 

"On devait s’assurer que c’était viable et qu’il y avait des bénéfices pour notre population, cela nécessitait une préparation qui ne pouvait être menée qu’à quelques-uns"

Jérôme Moroge, maire LR de Pierre-Bénite

Mais alors, pourquoi ne pas être passé par une concertation avec les élus et les habitants avant de révéler un tel projet ? "On devait s’assurer que c’était viable et qu’il y avait des bénéfices pour notre population, cela nécessitait une préparation qui ne pouvait être menée qu’à quelques-uns", estime aujourd’hui Jérôme Moroge. L’élu évoque un "travail préparatoire extrêmement important déjà réalisé" pour faire émerger des pistes de mutualisation au niveau de la sécurité, de la santé, de la culture, ou encore du sport, même si à ce stade le potentiel premier budget de cette commune nouvelle n’a pas encore été travaillé, de l’aveu des deux maires. 

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Faciliter le désendettement d'Oullins ?

Sur le papier ce mariage semblerait plus bénéfique à Pierre-Bénite et ses 9 000 habitants, car la ville y gagnerait sans doute en attractivité et en poids. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à certains habitants, "c’est Oullins, qui tirerait Pierre-Bénite", commente un employé du Mérion. Néanmoins, l’intérêt financier d’Oullins dans un tel projet ne serait pas des moindres alors qu’en 2018 un rapport de la Chambre régionale des comptes pointait la mauvaise gestion financière de la ville. À l’époque, la capacité de désendettement d’Oullins dépassait ainsi les 20 ans, avant d’être ramenée à 12 ans. "Oullins a beaucoup investi et est plus endettée que la ville de Pierre-Bénite, mais elle a plus de recettes. Alors que la ville de Pierre-Bénite est très peu endettée, mais à des recettes moins dynamiques", analyse Jérôme Moroge, se voulant rassurant.

En plus de convaincre les habitants du bien-fondé de leur projet, les deux communes devront donc trouver un moyen d’harmoniser leur fiscalité, ce qui pourrait notamment passer par une hausse de la taxe foncière. Autant dire que la corbeille de la mariée ne sera sans doute pas appréciée de tous.

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