Tata Chasselay
Le tata de Chasselay vu de la route © Patrice Robin

Tirailleurs Sénégalais : "Le ministère des armées a inventé des recherches génétiques"

Deux plaques commémoratives à la mémoire de 25 tirailleurs sénégalais ont été inaugurées en janvier 2022 par la ministre Geneviève Darrieussecq. Pourtant, aucune recherche génétique n'a été faite pour identifier les corps. (Interview)

Depuis 1942, 198 tirailleurs africains morts pour la France durant la Seconde Guerre Mondiale sont enterrés à Chasselay dans le Rhône. En début 2022, deux plaques commémoratives ont été installées et inaugurées par la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens Combattants Geneviève Darrieussecq. Le ministère des armées avait déclaré, à l'époque, que des recherches génétiques avaient été faites pour identifier les corps. Parmi les 25 noms présents sur la plaque, parmi eux, certains étaient jusqu'à présent disparus.

Vendredi 11 novembre, jour anniversaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale, sera honoré  l'instigateur du "tata" de Chasselay Jean Marchiani, ancien combattant de la guerre de 1914/1918, et en 1940 alors ecrétaire général de l'Office départemental des mutilés de guerre, anciens combattants et victimes de guerre.

Armelle Mabon, historienne maître de conférences à l'université de Bretagne Sud à la retraite et spécialiste du massacre des tirailleurs sénégalais de Thiaroye, a été alertée par la nouvelle. Après avoir demandé les documents attestant des recherches génétiques, elle a finalement obtenu du ministère que ces dernières n'avaient jamais été faites. Interview

Lyon Capitale :  Pouvez-vous expliquer ce qu’il s’est passé à Chasselay en 1942 ?

Armelle Mabon. En 1942, à l’initiative de Jean Marchiani, directeur de l'Office Départemental des Anciens Combattants, un cimetière unique en Europe a été construit pour les tirailleurs sénégalais. Ce dernier a été construit à Chasselay sous la forme d’un Tata. En Afrique, le "Tata" est une enceinte fortifiée faite de murs de terre rouge. Les corps de 198 tirailleurs ont été inhumés à Chasselay.

À l’époque, un vrai travail de recherche a été fait pour identifier les corps. Faute de preuves suffisantes, 48 pierres tombales portent la mention "soldat inconnu", la volonté était d’être précis l’identité des personnes enterrées. La grande difficulté étant de faire le lien entre les papiers retrouvés et les corps.

Tata Chasselay tirailleurs
Deux tirailleurs © Collection Eveline Berruezo

En 2022, deux plaques mentionnant le nom de 25 tirailleurs inhumés en 1942 ont été inaugurées au cimetière. Comment pouvez-vous affirmer qu’aucune recherche génétique n’a été faite pour s’assurer de leur validité ?

Armelle Mabon. C’est mal ce qu’ils ont fait à Chasselay. Pour ma part, je travaille sur le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye et cette nouvelle a attiré mon attention. D’autant plus que cela avait été relayé par toute la presse. J’ai donc contacté le ministère pour obtenir les documents de ces recherches génétiques supposées. Ils m’ont dit qu’ils étaient dans l’impossibilité de me les transmettre. J’ai donc saisi le tribunal administratif et le ministère a bien été obligé de reconnaître qu’aucune recherche génétique n’avait été faite. Ce n’est pas pour autant qu’ils ont retiré les plaques.


"C’est épouvantable ce qu’ils ont fait à Chasselay"


Pourquoi inaugurer ces plaques en 2022 ?

Armelle Mabon. Ce n’est surement pas pour honorer les défunts, c’est un coup de communication. Emmanuel Macron a appelé les maires de France à célébrer la mémoire des combattants africains morts lors de la Seconde Guerre mondiale, en baptisant de leurs noms (ou de celui de leur unité), des rues, des places et des monuments dans toute la France. L’objectif était aussi d’envoyer un signe positif aux dirigeants des pays d’Afrique de l’Ouest. Je pense que c’est aussi pour faire écho à leur inaction concernant un autre massacre, cette fois-ci perpétré par l’armée française, celui de Thiaroye en décembre 1944.

Vous qui travaillez sur le massacre de Thiaroye, quel lien peut être fait entre l’affaire de la nécropole de Chasselay ?


"Il y a un vrai racisme d’État qui s’opère"


Armelle Mabon. Le lien c’est qu’il y a un vrai racisme d’État qui s’opère. D’un côté on ne reconnaît pas le statut de "morts pour la France" aux tirailleurs de Thiaroye. De l’autre, une plaque commémorative avec des noms qui ne sont potentiellement pas inhumés dans le cimetière. Si cela avait été des soldats blancs, cela aurait été un scandale.

Concernant le massacre de Thiaroye, le statut de "morts pour la France" n’a pas été reconnu par l’État français parce qu’il considère que les tirailleurs tués par l'armée française avaient bien reçu la solde pour laquelle ils manifestaient. Je regrette que beaucoup trop de mes confrères historiens continuent de donner la "version officiel" alors que beaucoup d’éléments prouvent le contraire.

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