François-Edme Ricois © Collection Musée Alpin de Chamonix – Tous droits réservés

Littérature et montagne : Les Alpes croquées par quelques grandes plumes (2/2)

Depuis le XVIIIe siècle, les Alpes nourrissent l’imaginaire des plus grands écrivains (Mary Shelley, Alexandre Dumas, George Sand…)1. Alors que l’année 2025 marque le bicentenaire de la venue du jeune Victor Hugo à Chamonix, continuons notre exploration alpine à travers la littérature.

Victor Hugo

À l’été 1825, le jeune Victor Hugo, âgé de 23 ans, accompagné de sa femme et de sa fille Léopoldine (qui n’a alors qu’un an) entreprend, avec la famille de son ami écrivain Charles Nodier, un voyage qui le porte dans les Alpes, et qui aurait dû donner lieu à un ouvrage collectif intitulé Voyage poétique et pittoresque au Mont-Blanc et à la vallée de Chamouny2.

Le chef de file des romantiques n’est alors pas encore le monument de la littérature française qu’il va devenir, mais il a déjà publié Odes et poésies diverses,qui lui a valu une pension annuelle du roi. Le récit collectif de leur voyage ne sera finalement jamais édité mais le texte de Victor Hugo Fragments d’un voyage aux Alpes sera repris partiellement en 1829 dans la Revue de Paris et en 1831 dans la Revue des Deux-Mondes.

Il y relate ses impressions en arrivant de Sallanches : “C’est qu’en effet il est difficile de ne point éprouver quelque profonde émotion lorsque, par une belle matinée d’août, en descendant la pente sur laquelle Sallanches est assise, on voit se dérouler devant soi cet immense amphithéâtre de montagnes toutes diverses de couleur, de forme, de hauteur et d’attitude, masses énormes, tour à tour éclatantes et sombres, vertes et blanches, distinctes et confuses, dont un large rayon du soleil encore oblique inonde chaque intervalle et au-dessus desquelles, comme la pierre du serment dans un cercle druidique, le Mont-Blanc s’élève royalement avec sa tiare de glace et son manteau de neige.”

La Mer de Glace est un incontournable pour les artistes du XIXe siècle. Ici, unee vue du peintre Isidore Laurent Deroy. © Collection Musée alpin de Chamonix

Excursion à la Mer de Glace

Comme tant d’autres artistes et écrivains avant et après lui, une excursion à la Mer de Glace est un incontournable, dont Victor Hugo laisse la description suivante : Au-dessus de cette forêt, l’extrémité de la Mer de Glace, dépassant le Montenvers comme un bras qui se recourbe, penche et précipite ses blocs marmoréens, ses lames énormes, ses tours de cristal, ses dolmens d’acier, ses collines de diamants, dresse à pic ses murailles dargent, et ouvre dans la plaine, cette bouche effrayante, doù l’Arveyron naît comme un fleuve pour mourir un mille plus loin comme un torrent.

Alors qu’il manque de tomber dans une crevasse, Hugo en laisse pourtant une description plus flatteuse que celle de son aîné François-René de Chateaubriand, qu’il admirait au point d’écrire dans son journal intime, à 14 ans : “Être Chateaubriand ou rien.”

Chateaubriand, qui lui aussi a fait l’excursion de Chamonix à la Mer de Glace en 1805, relatée dans son Voyage au Mont-Blanc, n’a pas été enthousiasmé par les paysages alpins. Pour lui, les montagnes sont de “lourdes masses” et “les draperies blanches des Alpes” ne font que noircir les environs jusqu’au ciel. Il ne voit pas dans les glaciers “des diamants, des topazes, des émeraudes” mais compare la neige du bas à de la cendre et la Mer de Glace à “des carrières de chaux et de plâtre” !

© Consorts de Blaitière

Blaise Cendrars au Plan de l’Aiguille

Alors qu’en 1925, Paris se prépare à sa grande exposition des Arts décoratifs, une autre grande plume, Blaise Cendrars, choisit de fuir le tumulte de la société et s’isole au refuge du Plan de l’Aiguille, au-dessus de Chamonix. Grand voyageur, célébrant sa passion de l’aventure dans ses poèmes et ses romans, comme L’Or, il vient ici, dans la rudesse de l’hiver et la partialité d’un refuge, se confronter à lui-même. Écrivain français d’origine suisse, de son vrai nom Frédéric Sauser, il observe depuis son abri (qui existe encore, aujourd’hui accessible en une quinzaine de minutes à pied depuis la station intermédiaire du téléphérique de l’Aiguille du Midi) la vallée de Chamonix. Il écrit ainsi :

Chalet du Plan, le 1er mars 1925
La nuit est bleue. Je ne dors pas.
Je regarde par la fenêtre.
La nuit est de plus en plus bleue. C’est l’aube. Ou presque.
Durant février il pleuvait. Maintenant la grande tempête de foehn est tombée. L’hiver recommence. Il neige.”

Ou encore un peu plus loin :

À la première accalmie, je descendais à Chamonix, doù je remontais par nimporte quel temps, dès que jen avais assez, même en pleine tempête, même la nuit. Jy suis allé une demi-douzaine de fois. Peut-être plus. Je sais bien que les guides disent que je suis fou et que lon se raconte toutes espèces dhistoires sur moi dans les auberges. On me montre du doigt quand je passe. ‘Cest lAnglais, le fou !On prétend que je vais me tuer. Moi, moi jaime lutter avec les éléments : la tempête, la nuit ne me font pas peur, ni la dure grimpée, lhiver, par les Tissours et le chalet du Trois.”

Curieusement quand paraît le roman Le Plan de l’Aiguille en 1929, la première partie, malgré son titre, n’évoque ni le chalet ni la montagne éponyme. C’est dans le second tome intitulé Les Confessions de Dan Yack que l’écrivain relate ses allées et venues dans la vallée.

Jean Giono © Collection AAJG

Giono et le Trièves

C’est toujours dans les Alpes, mais plus au sud, dans le Trièves, que l’écrivain Jean Giono, chantre d’un idéal de vie naturelle et rustique, plus souvent associé à la Provence qu’à la montagne, aimait pourtant venir se ressourcer. Il y séjourne plusieurs fois, seul ou en famille, qualifiant le Trièves de “maison désirée des montagnes”. Il écrit ainsi à son ami Gaston Pelous, sur son choix de passer plusieurs étés dans le petit village de Lalley : “Ce n’est pas un hasard, j’aime particulièrement le Trièves. Cette plaine tourmentée qui s’étend en triangle sous l’Obiou et le Grand Ferrand. Je suis à pied d’œuvre pour mes marches dans la montagne. Et puis j’aime la vie avec ses paysans âpres et doux.”

Toujours en Isère, c’est dans un autre petit village de montagne que l’écrivain et peintre Jean-Marc Rochette a aussi cherché l’inspiration pour son dernier roman Au cœur de l’hiver, paru en 2024, récit de son hivernage dans le massif des Écrins.

1 Voir Lyon Capitale, hors-série hiver 2024-2025.

2 Ancienne écriture de Chamonix.

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