Après avoir passé 22 ans derrière les barreaux pour trafic de stupéfiants, Yannick Deslandes agit désormais sur le terrain pour prévenir la délinquance et sensibiliser les jeunes aux dangers du narcotrafic. Il était à la rencontre des habitants du quartier du Tonkin jeudi 20 novembre.
Après avoir passé 22 ans en prison pour différentes affaires liées au trafic de stupéfiants, Yannick Deslandes œuvre désormais à la prévention des dangers du narcotrafic et à la sensibilisation des jeunes face aux réseaux criminels. Il s'est rendu hier, jeudi 20 novembre, à l'espace Tonkin de Villeurbanne pour raconter son parcours de vie et rencontrer les habitants du quartier.
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"Les seules issues sont la folie, la mort et la prison"
Lorsqu’il prend la parole peu après 18 heures, ses mots raisonnent tout particulièrement dans l’audience. Le quartier du Tonkin est, en effet, régulièrement le théâtre de règlements de compte en lien avec le trafic de stupéfiants, mais surtout, l’assassinat le 13 novembre de Mehdi Kessaci, le frère d’Amine Kessaci, militant engagé contre le narcotrafic à Marseille, est encore dans toutes les têtes.
"Avec l’association Mur’mures, on œuvre à défaire les idées reçues sur la prison véhiculées sur les réseaux sociaux", explique-t-il. Depuis plusieurs années maintenant, il sillonne la France avec sa "cellule mobile", sorte de fourgon aménagé en cellule de prison pour aller à la rencontre des jeunes des quartiers prioritaires, et leur parler de sa vie, de ses erreurs. "Ce fourgon permet d'entendre le bruit de la prison et du mobilier carcéral pour que ces jeunes essayent d’imaginer le manque d’intimité, la promiscuité, la saleté et le bruit permanent", précise Yannick Deslandes. "J’ai du crédit lorsque je leur parle parce que j’ai ce parcours-là. Ils savent que je ne suis pas là pour leur faire la morale, et ils entendent très bien ce que je leur dis", confie-t-il.
Sans concession, il a donc raconté au public sa jeunesse depuis le quartier de Barbès à Paris, "plaque tournante de la drogue" à l’époque, son père alcoolique et violent, sa mère et ses autres frères et sœurs, dont l’une est décédée d’une overdose de médicaments, ses passages en foyers et donc, la prison. "On tombe tous dedans pour à peu près les mêmes raisons : la pauvreté, l’argent facile, les mauvais exemples autour de nous que l’on prend comme repères", analyse Yannick Deslandes. Et d’ajouter : "Pendant très longtemps, je n’ai pas eu confiance en moi, et en tombant dans le trafic de stupéfiants, je me suis trouvé une place dans cette société, celle du trafic. On devient entrepreneur en quelques sortes. Ces jeunes trouvent quelque chose qu’ils n’ont jamais eu avant".
Mais les conséquences peuvent, elles, être terribles : "Les seules issues sont la folie, la mort ou la prison". Dans le public, des mains se lèvent. "Avez-vous des regrets ?", demande une femme. "Ma réponse est double. D’un côté, non, parce que je suis fier de la personne que je suis aujourd’hui. Mais en même temps, bien sûr que je regrette d’avoir fait pleurer ma mère, de ne pas avoir été là pour mes enfants ou encore d’avoir participé à la consommation de drogue chez nos jeunes".
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Accompagner et réintégrer
Dès lors, comment lutter ? "S’intéresser à ces jeunes, pas comme un ensemble, mais comme une personne. Leur parler individuellement, leur donner des opportunités", assure l’ancien détenu. "Leur montrer que l’on s’intéresse à eux avec le cœur pour éviter que ces jeunes suivent le même chemin", résume-t-il simplement.
L’action de Yannick Deslandes et de son association se poursuit également en prison, auprès des détenus. "Aujourd’hui, la prison punit, elle ne répare pas", déplore-t-il. "Il faut bien comprendre que les séjours que l’on fait à l’isolement ne nous changent pas. Quand j’en suis sorti, j’ai recommencé en faisant pire. Il faut mettre beaucoup plus de moyens dans la réinsertion, parce que réinsérer les détenus, ce sont des victimes en moins à la sortie". Yannick Deslandes intervient notamment auprès de chefs d’entreprise. "On m’a tendu la main lors de ma sortie de prison et quand on nous fait confiance, on est capable d’y arriver".
Si ce qu’il fait aujourd’hui "donne du sens à (son) parcours", Yannick Deslandes ne peut s’empêcher de déplorer le manque de moyens mis à disposition et le positionnement des politiques. "Malheureusement, ils ne pensent qu’aux prochaines élections. C’est très compliqué d’aller dire aux gens que leurs impôts serviront aux trafiquants emprisonnés. Ils ne voteront pas pour eux", lance-t-il à un homme dans le public. Pour autant, l’ancien détenu ne se décourage pas et entend bien poursuivre son action. L’association Mur’mures devrait déployer prochainement "4 ou 5" cellules mobiles en France et faire découvrir la "pair-aidance" (La pair-aidance s’appuie sur l’échange et l’entraide de personnes ayant vécu les mêmes choses: Ndlr). "Tout cela fonctionne et on veut absolument le développer", conclut Yannick Deslandes.
À Villeurbanne, la mairie poursuit son programme d’action et de prévention pour éloigner les jeunes du trafic de drogues dans le quartier du Tonkin, notamment au travers de nombreuses activités et rencontres. Après la découverte du tribunal judiciaire de Lyon avec des jeunes du centre social Charpennes-Tonkin, d’autres rencontres devraient être organisées à l’été 2026, assure Jérémy Flauraud, coordinateur du programme de la municipalité.
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