Une dizaine de jeunes du centre social du Tonkin ont assisté à une audience de comparution immédiate lundi 27 octobre dans le cadre d'un programme de prévention lancé par la Ville de Villeurbanne visant à les détourner du trafic de drogue.
Ce lundi après-midi n'a rien de banal pour cette dizaine d'ados du centre social Charpennes-Tonkin. Âgés de 13 à 15 ans, pour la plupart en classe de 3e, ces jeunes s'apprêtent à pénétrer dans le tribunal judiciaire de Lyon, encadrés par l'association Possible, en coordination avec la juridiction et dans le cadre d'un programme de prévention lancé par la Ville de Villeurbanne.
À l'intérieur, les ados partent pour une visite des lieux, accompagnés par Angèle, responsable des actions jeunesse de l'association. Devant la salle de comparution immédiate, le coordinateur du programme de la municipalité, Jérémy Flauraud prend une dernière précaution. "Je vérifie quand même qu'il n'y ait pas de viols ou d'agression sexuelle", s'inquiète-t-il, le regard rivé sur le programme de l'audience du jour.
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"Qu'est-ce qu'une bonne peine ? Est-ce que la prison va aider la personne ?"
Soulagement, c'est à une affaire de tentative de cambriolage avec violences à laquelle vont faire face les ados du centre social ce lundi. Silencieux, ils tentent, parfois avec difficulté, d'écouter avocats, magistrats et prévenu s'exprimer pendant la trentaine de minutes passée au fond de la salle.
L'homme jugé ce lundi après-midi est un récidiviste condamné en mars 2023 à une peine de 30 mois de prison pour des violences sur policiers. Algérien, il ne parle pas français et est donc accompagné d'un interprète. Il a été arrêté en flagrant délit par les gendarmes le 25 octobre à Bron, alors qu'il tentait de défoncer la porte d'entrée d'une maison avec une pelle.
Le programme de prévention de Villeurbanne
Lancé à l'été 2025, le programme de prévention dans lequel s'inscrit cette visite vise à détourner les jeunes du Tonkin du trafic de drogue. Lancé avec un soutien financier de l'État, ce programme doit permettre de "créer un réseau d'acteurs sur le quartier et de leur proposer différentes choses pour faire en sorte de raccrocher les jeunes avant qu'ils ne basculent dans la délinquance et le trafic", expliquait lors de son lancement Jérémy Flauraud, recruté par la Ville pour coordonner les actions.
En parallèle, la Ville et l'État poursuivent leur politique de répression du trafic, notamment grâce à la mise en place d'une brigade spécialisée de terrain dédiée au Tonkin. Récemment, les services de l'État ont assuré avoir démantelé huit points de deal connus du secteur.
En tentant de fuir à l'arrivée de deux militaires, il a fait usage d'une gazeuse dans l'air que les gendarmes ont traversé. Le prévenu, sans domicile fixe, assure de son côté qu'il ne s'agissait pas d'une tentative de cambriolage mais bien d'une tentative de squat, alors qu'il avait repéré que les lieux n'étaient pas occupés depuis quelques jours. Le procureur requiert une peine de 24 mois de prison avec mandat de dépôt ainsi qu'une interdiction définitive du territoire français.
"Un violeur peut prendre moins qu'un dealer" estime un jeune
Les jeunes quittent la salle d'audience au moment de la suspension de séance. "On ne va pas savoir à combien il a été condamné ?", demande l'une des participantes* visiblement passionnée par l'affaire et déçue de ne pas en savoir plus. Pendant plus d'une trentaine de minutes, Angèle tente d'interroger les adolescents sur ce qu'ils ont vu et entendu. "Qui est d'accord avec la peine qui a été demandée ?" lance-t-elle. "J'aurais mis trois ans ferme et après il s'en va", répond immédiatement une jeune. "Un an, et après il part", lance un autre.
"Mais pourquoi ne pas le renvoyer directement, pourquoi faire une peine et ensuite le renvoyer ?" s'interroge encore une jeune fille. "Il a une dette à régler à la France", considère un garçon. Les questions et opinions fusent, et Angèle tente de répondre et de cadrer le débat, en expliquant par exemple que les relations diplomatiques avec l'Algérie rendent difficile le renvoi d'un ressortissant. Elle effectue aussi un point de vocabulaire et porte l'attention des enfants sur les différences entre la justice des films et séries (américains généralement) et ce qu'ils ont vu en vrai. "Vous pouvez venir accompagner d'un majeur quand vous voulez. La justice est ouverte à tous", leur dit-elle.
"Plus les juges mettent de peines plus ils gagnent d'argent ?"
"Qu'est-ce qu'une bonne peine ? Est-ce que la prison va aider la personne ? Qu'est-ce qu'une bonne punition ?", tente encore Angèle, interrogeant aussi les jeunes sur la sévérité réelle ou supposée de la justice. "Un violeur il peut prendre moins qu'un petit dealer", lance alors l'un des jeunes. "Un viol, c'est minimum dix ans car c'est un crime, alors que vendre de la drogue, c'est un délit", rappelle encore la responsable jeunesse de Possible, pour dissiper les idées reçues. Elles sont nombreuses et s'expriment spontanément chez ces jeunes habitants du Tonkin. "Mais c'est illégal d'être guetteur ?" s'exclame ainsi l'un des jeunes, surpris. "Plus les juges mettent de peines plus ils gagnent d'argent ?", s'interroge encore un ado. "Si on paye des impôts en vendant de la drogue, ça devient légal ?", lance, un brin provocateur, l'un des jeunes.
Des questionnements, mais aussi un forme d'appréhension et de défiance que la journée a permis de poser et d'exprimer. Ce jour-là, le groupe a également participé à un procès fictif pour appréhender, en les jouant, les différents rôles du droit en France. S'ils n'étaient qu'une dizaine (une autre dizaine d'enfants, plus jeunes, que nous n'avons pas suivis, était également présente ce lundi au tribunal), la mairie de Villeurbanne estime à environ 1 000 le nombre d'enfants du Tonkin qui pourrait être concernés par son programme de prévention.
*À la demande de l'ensemble des acteurs, nous respectons l'anonymat des enfants présents lors de cette journée.
Les jeunes racontent leur relation avec les trafiquants
Le groupe d'adolescents a par ailleurs rencontré le directeur artistique de la troupe de théâtre forum Tenfor, Philippe Occulto, qui travaille sur une pièce racontant le quotidien des habitants du Tonkin. Ils ont ainsi été invités à témoigner du rapport qu'ils ont au trafic dans le quartier. "On est habitué à la violence, j'ai vu deux fusillades de mes propres yeux", raconte l'un des participants. "J'étais choqué, un peu", poursuit-il. Avant d'être coupé par l'un des ses camarades : "Avant on était choqués, on a peur que ça nous arrive, mais on n'est plus choqués", considère-t-il. "Ils sont nés dedans, pour eux c'est normal", déplore l'une des animatrices du centre social. "On m'a proposé de vendre" témoigne ainsi un garçon, qui assure ne pas avoir eu de mal à refuser. "C'est pas des modèles pour nous les dealers, et c'est pas parce que ton frère le devient que tu as envie de faire pareil", conclut-il.
À l'issue du processus de recueil des témoignages, la troupe de théâtre présentera sa pièce le 18 décembre à l'espace Tonkin, avec des élèves de 5e et avec les parents d'élèves dans un second temps.

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