Morane Rey-Huet, président des Conseillers du commerce extérieur de la France et du comité Auvergne-Rhône-Alpes, est l'invité de "6 minutes chrono" / Lyon Capitale.
Les entreprises lyonnaises et régionales subissent de plein fouet les nouvelles taxes américaines. Fin juillet 2025, un accord transitoire a fixé un droit moyen de 15 % sur les produits européens exportés vers les États-Unis. "L'impact est très fort, tout particulièrement pour notre région Auvergne-Rhône-Alpes et la métropole de Lyon, parce que nous sommes des territoires industriels : nous produisons et nous exportons", alerte Morane Rey-Huet. Selon ses chiffres, les secteurs les plus touchés sont l'automobile (-43 %), les machines agricoles (-63 %) et les produits pharmaceutiques (-20 %). D'autres filières s'en sortent mieux : l'aéronautique, totalement exemptée de droits de douane, affiche une croissance de +21 %, tout comme les secteurs de la défense, du matériel électrique et des produits alimentaires (+26 %). "Les œuvres d'art font même un bond spectaculaire de 71 % sur la même période", note-t-il. Il rappelle cependant que les chiffres sont légèrement biaisés par les stocks constitués fin 2024-début 2025 pour anticiper la mise en place des droits de douane.
Une Europe trop passive ?
Pour les entreprises, l'enjeu est désormais de trouver de nouveaux débouchés. "Certains cherchent de nouveaux relais de croissance sur d'autres territoires, d'autres renforcent leur présence en Europe", explique Morane Rey-Huet, qui cite notamment les marchés nordiques ou les opportunités liées à la reconstruction de l'Ukraine. Mais il s'inquiète de la pression concurrentielle exercée par la Chine : "Nous sommes coincés entre les États-Unis qui nous imposent des droits de douane et la Chine qui déverse ses excédents sur l'Europe à prix cassés." Il regrette que l'accord trouvé avec Washington soit "un accord a minima". "Nous n'avons pas d'autre choix que d'accepter ces 15 %, mais on peut se demander pourquoi nous ne sommes pas alignés sur les 10 % obtenus par les Anglais", déplore-t-il. Pour lui, seule une réponse collective permettra de sortir de l'impasse : "Une métropole forte implique une région forte, une région forte implique une France forte, et une France forte implique une Europe forte."
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La retranscription complète de l'émission avec Morane Rey-Huet :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler des taxes des douanes et d'un accord trouvé fin juillet 2025 fixant en moyenne un droit de 15 % sur les produits européens exportés vers les États-Unis. Pour en parler, nous recevons Morane Rey-Huet, président des Conseillers du commerce extérieur de la France. Bonjour, Morane Rey-Huet.
Bonjour Éloi.
Merci d'être venu sur notre plateau. On va rentrer un peu dans le vif du sujet. Quelles sont les principales filières, les principaux produits exportés aux États-Unis qui sont touchés par cette nouvelle surtaxe ? Quel est l'impact localement sur nos entreprises ?
Alors l'impact est très fort, tout particulièrement pour notre région Auvergne-Rhône-Alpes et la métropole de Lyon, parce que nous sommes des industriels : nous produisons et nous exportons, ce qui est moins le cas d'autres régions plus tournées vers les services. Les secteurs les plus impactés sont l'automobile, avec une baisse de 43 %, le domaine agricole, notamment les machines agricoles (-63 %), la joaillerie, les bijoux, les produits pharmaceutiques (-20 %) et tout ce qui est dérivés du pétrole, également en baisse de 20 %.
Quand on dit -20 %, c'est sur les exportations ?
Oui, -20 % d'exportations par rapport à l'an dernier, sur la même période.
Voilà, donc c'est quand même très important.
C'est énorme. C'est très impactant pour notre territoire et donc la région subit cela. Mais ce qui est assez étonnant, c'est qu'il y a des éléments positifs pour d'autres secteurs qui s'en sortent beaucoup mieux que ceux que je viens de citer.
Quels sont-ils et pourquoi ?
Alors, un exemple assez surprenant : les œuvres d'art. Elles enregistrent en 2025 des exportations exceptionnelles : +71 % par rapport à l'an dernier. Si on revient sur des produits très liés à notre territoire, tout ce qui est équipement automobile - c'est-à-dire les sous-parties, pas les constructeurs - s'en sort mieux. L'aéronautique, elle, n'a pas de taxes : 0 % vers les États-Unis, ce qui explique une croissance de +21 %. Il y a aussi des acteurs dans la défense (Safran vient d'implanter un site dans l'Ain, renforçant l'écosystème), le matériel électrique et les produits alimentaires divers (+26 %). Il faut garder en mémoire que pas mal d'entreprises ont constitué des stocks fin 2024-début 2025, ce qui biaise un peu la lecture des chiffres.
Vous voulez dire qu'actuellement on ne voit pas tout, parce qu'il y a eu des comportements commerciaux différents qui ont compensé ?
Exactement. Il y a eu une compensation par la mise en stock. Ces taxes décidées par l'administration Trump ont aussi eu un impact sur l'inflation : nous avons un écart de 10 % entre l'euro et le dollar, ce qui limite l'impact réel à environ 5 %. Mais les entreprises n'ont pas toujours la possibilité de répercuter ces 15 % sur le prix final, sauf pour les machines très spécialisées avec peu de concurrence. Pour les secteurs de masse, ce n'est pas possible. Heureusement qu'il y a eu cet effet de change. Mais malgré tout, l'impact reste très fort : en termes de volumes, de marges, et donc sur la trésorerie. Dans un contexte où « cash is king », toutes les entreprises surveillent leurs liquidités et cherchent de nouveaux relais de croissance hors États-Unis.
Vous voyez des solutions que les entreprises les plus impactées sont en train de mettre en place ?
Oui. Elles agissent de deux manières : certains cherchent de nouveaux relais de croissance sur d'autres territoires, d'autres renforcent leur présence en Europe. On oublie souvent que l'Europe est la première plaque économique du monde, devant les États-Unis et la Chine. Il y a aussi des opportunités dans la reconstruction de l'Ukraine, par exemple. En revanche, il y a une inquiétude sur l'Asie, car la Chine est très impactée (55 % de droits de douane) et déverse ses excédents sur l'Europe à prix cassés. Nos entreprises se retrouvent donc coincées entre les États-Unis et la Chine. La seule solution, c'est d'être animés par l'excellence.
Justement, c'est ma dernière question. Rapidement, qu'avez-vous pensé de cet accord commercial conclu fin juillet entre l'Union européenne et les États-Unis ? L'Europe est-elle bien positionnée commercialement ?
Non, je pense que c'est un accord a minima. On « fait le dos rond ». Nous sommes pris entre les Chinois et les Américains, et l'Europe ne se mobilise pas assez pour être forte. Une métropole forte implique une région forte, une région forte une France forte, et une France forte une Europe forte. Sinon, on ne sortira pas de cette situation. Nous sommes contraints d'accepter 15 %. Quand on voit que les Anglais sont à 10 %, on peut se demander pourquoi nous ne sommes pas, au moins, alignés. Les entreprises sont mécontentes mais n'ont pas le choix. Elles trouvent des solutions ponctuelles. Et rappelons que 15 % est le taux par défaut : pour certains secteurs comme l'aluminium ou l'acier, on est à 50 %. C'est très compliqué. Mais peut-être que cette situation, entre Trump, la Russie et la Chine, nous pousse à construire enfin une Europe forte.
Très bien, ce sera le mot de la fin. C'est toujours trop court, 6 minutes chrono. Merci beaucoup d'être venu sur notre plateau. Vous pouvez, chers téléspectateurs, retrouver plus de détails sur l'impact pour les entreprises lyonnaises sur le site lyoncapitale.fr. Je vous dis à très bientôt.