La 9e édition du festival Sens Interdits, avec une nouvelle direction aux manettes : le duo formé par François Remandet et Tina Hollard, s’annonce tout aussi passionnante que celles concoctées par Patrick Penot, fondateur et (ex-)patron de la manifestation. Elle aura lieu du 10 au 31 octobre.
“Nul n’est irremplaçable.” L’adage est discutable. Particulièrement dans le cas de Patrick Penot. Ce globe-trotteur infatigable, passionné par tout ce qui peut se passer sur une scène de théâtre à travers le monde, surtout dans des pays en proie à la guerre et à toutes sortes de violences économiques et politiques, a porté sur les fonts baptismaux le festival Sens Interdits, dont la première édition eut lieu en 2009. Celui qui dirigea durant des années Les Célestins, en duo avec Claudia Stavisky, a su ensuite créer et développer cette manifestation axée sur les questions de mémoires, d’identités et de résistances. À tel point que le festival Sens Interdits, qui se déploie dans les principaux théâtres de la métropole lyonnaise, est devenu une incontournable biennale internationale de théâtre, un événement phare de l’automne.
Toutefois, avec la défection de certains financements publics auxquels s’ajoutait le départ à la retraite (bien méritée !) de Patrick Penot, la question de la survie de l’événement s’est bel et bien posée. L’énergie de l’équipe, l’importance des enjeux, la qualité des nouveaux patrons de Sens Interdits, François Remandet et Tina Hollard, ont su convaincre les différents partenaires de la manifestation : Sens Interdits continue sa route. Grâce à l’implication de l’ancien patron, qui n’est pas de ceux qui s’accrochent à leur poste. Mais on se doute qu’il a permis aux nouveaux directeurs de bénéficier de ses nombreux contacts, de sa connaissance des troupes et artistes dans des pays tels que le Brésil, le Rwanda, la Palestine, la Russie, le Chili, l’Ukraine, la Chine, Taiwan ou le Liban qui seront mis à l’honneur durant cette édition du 10 au 31 octobre. Parmi les treize spectacles à l’affiche, nous vous proposons cette sélection, avec une attention particulière portée à la nouvelle création de Tatiana Frolova aux Célestins.
Sélection
I’m Fine
S’il y a bien une artiste fidèle à Sens Interdits, c’est la metteuse en scène russe Tatiana Frolova. Depuis la deuxième édition, en 2011, où elle avait présenté Une Guerre personnelle, elle est régulièrement à l’affiche. Pour le plus grand bonheur du public, qui réserve un triomphe à ses singulières créations concoctées avec sa compagnie KnAM.
Depuis une quinzaine d’années, son théâtre à la fois documentaire et poétique prend le pouls de la Russie contemporaine. Il mêle les itinérances personnelles à la grande histoire et en dénonce les crimes. Ses spectacles (Une Guerre personnelle, Je suis, Le Songe de Sonia, Je n’ai pas encore commencé à vivre, Ma Petite Antarctique, Le Bonheur) forment une œuvre dramatique bouleversante, dont on n’a aucune envie de rater un épisode. Et surtout pas le prochain, I’m Fine, qui présente la particularité d’avoir été conçu à Lyon, aux Célestins. Puisqu’elle y vit désormais, avec ses complices du KnAM, en exil, depuis 2022. Sa situation d’artiste dissidente, dans la Russie de Poutine, était devenue intenable. Dans ce nouvel opus, la compagnie brise des mythologies tenaces : celle des Russes persuadés que le monde entier envie leur pays et celle des Européens fascinés par “l’énigmatique âme russe”. Désormais artiste associée aux Célestins, elle s’appuie sur des documents, des images et des formes artistiques originales pour donner corps à un propos à la fois politique et sensible. Et mieux invoquer nos mémoires communes.
I’m Fine – Du 14 au 25 octobre aux Célestins
En résonance, l’une de ses amies ukrainiennes, Elina Kulikova, proposera un concert manifeste afin de réhabiliter les musiques des années 2000 détournées à l’époque par Vladimir Poutine à des fins de propagande (Une Nuit blanche, les 24 et 25 octobre aux Subs).
Wayqeycuna
Après une longue absence, Tiziano Cruz retourne à ses terres et sa communauté, le peuple quechua et aymara. À la recherche de Wayqeycuna (“mes frères à moi”), l’artiste mêle histoire familiale et rituels ancestraux pour interroger l’ordre néolibéral et colonial qui l’a éloigné de ses racines. Face au deuil, la poésie, les images et la musique dessinent un chemin vers la réconciliation.
Wayqeycuna – Les 10 et 11 octobre au théâtre du Point-du-Jour
Moi, Elles
Trois relations, trois générations, trois récits et trois cultures. Moi, Elles, conçu et mis en scène par l’artiste chinoise, désormais établie en France, Wang Jing, aborde les relations mère-fille à travers les histoires de trois femmes vivant dans l’Hexagone et issues de pays différents : Chine, Mali, Iran. Leurs parcours se croisent et se reflètent dans un jeu de miroirs révélant les souvenirs de leur mère absente.
Moi, Elles – Les 14 et 15 octobre au théâtre de la Croix-Rousse

Giraffe Mons
Pour la première fois dans l’histoire de Sens Interdits, un spectacle destiné au tout jeune public (mais pas que) s’invite dans la programmation. C’est l’œuvre d’une compagnie ukrainienne de marionnettes, Afanasyev, accessible dès 9 ans. Il y est question de la façon dont les animaux du zoo de Kharkiv, en Ukraine, ont vécu – tragiquement – la Deuxième Guerre mondiale. Afin de sensibiliser les jeunes générations à l’absurdité récurrente de toutes les guerres.
Giraffe Mons – Du 16 au 18 octobre au Ciel

Silence, ça tourne
Silence, ça tourne s’appuie sur l’histoire vraie d’Eva Ståhl. Cette infirmière suédoise est l’une des survivantes du massacre du camp de réfugiés palestiniens de Tel al-Zaatar, au Liban. Seule sur scène, Chrystèle Khodr revient à l’été 1976 et plonge dans le témoignage de la jeune femme pour retracer les circonstances du massacre et du siège de deux mois qui l’a précédé. Le spectacle est le résultat d’une enquête réalisée à partir d’archives et différents témoignages. Dont celui d’Eva Ståhl que la metteuse en scène a rencontrée, mais aussi celui du journaliste qui l’a aidée à évacuer le camp et celui d’un médecin qui en a tiré un récit.
Silence, ça tourne – Du 29 au 31 octobre au TNP