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@Stefano Jeantet

"Les personnes, poussées par la motivation de terminer le Tor des Géants, apprennent des moyens plus efficaces de faire face aux difficultés"

Pietro Trabucchi est psychologue au département de Neurosciences, Biomédecine et Mouvement de l'université de Vérone, en Italie. Il a couru quatre fois le Tor des Géants.

La motivation est un élément essentiel dans l'ultra-endurance. D'où vient cette motivation ? Peut-on la travailler ?

Pietro Trabucchi

Il existe essentiellement deux types de motivations qui poussent à se lancer dans l'ultra-endurance. La première est plus "saine" et consiste à se lancer des défis et à explorer ses propres limites. C'est ce que les psychologues appellent la "motivation intrinsèque", mais que nous appelons "passion". La seconde est davantage liée au besoin de prouver quelque chose aux autres et d'obtenir leur approbation. Peut-être que la course en elle-même ne me passionne pas tant que ça, mais je suis plutôt intéressé par l'image que je renvoie sur les réseaux sociaux. Il est clair que ce deuxième type de motivation, qualifié d' "extrinsèque", est beaucoup plus faible. Lorsque la souffrance survient, ceux qui ne sont motivés que par des facteurs extrinsèques ont tendance à céder et à abandonner. Ceux qui sont motivés par la curiosité, ceux qui veulent apprendre quelque chose sur eux-mêmes et leurs limites ont tendance à être beaucoup plus résilients.

Pourquoi l'esprit est-il si important ?

En réalité, l'esprit et le corps ne font qu'un. Notre culture fait depuis des siècles une distinction entre les deux, mais cette distinction est purement artificielle. C'est pourquoi, à mon avis, la question "mais qu'est-ce qui est le plus important, l'esprit ou le corps ?" n'a pas de sens. À titre d'exemple, nous savons aujourd'hui que si je vis une difficulté comme un défi, la réaction du corps est l'activation (rythme cardiaque, hormones du stress, pression artérielle, etc.) et la préparation à l'action, mais dans une mesure adaptée à l'objectif. Si, en revanche, je vis la compétition ou une autre difficulté comme une menace, l'activation risque d'être excessive, ce qui me privera de forces et de ressources. Cependant, la communication entre l'esprit et le corps ne se fait pas seulement de l'esprit vers la périphérie, mais aussi dans le sens inverse. Si le corps commence à être trop fatigué ou malade, le fonctionnement cérébral en souffre également et l'esprit peut finir par voir la réalité de manière négative ou altérée.

Être résilient, c'est rester motivé même dans des activités difficiles, ennuyeuses ou désagréables.

Quelle est la résilience dont vous parlez dans vos livres ?

La résilience est la capacité à rester motivé même en l'absence de gratification immédiate. En d'autres termes, lorsque nous accomplissons des activités intrinsèquement gratifiantes (par exemple, regarder un film captivant, jouer à un jeu vidéo, faire un travail ou une activité sportive qui nous réussit facilement), notre motivation est stable et durable. C'est lorsque nous ne trouvons pas de gratification immédiate que nous avons spontanément tendance à nous distraire ou à nous arrêter. Être résilient, c'est rester motivé même dans des activités difficiles, ennuyeuses ou désagréables. Dans mes livres, j'ai décrit les mécanismes du point de vue des neurosciences et le fait fondamental que c'est l'environnement qui favorise ou entrave leur développement. Par environnement, j'entends, par exemple, qu'une éducation qui favorise le développement de l'autodiscipline et l'expérience de l'engagement ou d'un peu de frustration et d'échecs favorise beaucoup plus le développement de la résilience qu'un environnement sans règles où l'on est protégé du moindre inconfort.

Si vous parvenez à voir tout cela comme un défi, si vous trouvez du plaisir à contrôler et à surmonter tout cela, vous continuerez.

Comment l'appliquez-vous dans l'ultra-endurance et en particulier sur le Tor ?

Le Tor est une situation de privation de gratification permanente : il y a le sommeil, la fatigue, la douleur "athlétique", parfois même l'anxiété, l'incertitude et la frustration. Notre cerveau nous envoie donc continuellement le message : "mais pourquoi tu fais ça ?". Ce n'est que si vous avez une motivation intrinsèque, c'est-à-dire si vous parvenez à voir tout cela comme un défi, si vous trouvez du plaisir à contrôler et à surmonter tout cela, vous continuerez.

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Pourquoi la motivation est-elle plus forte chez les êtres humains ?

Une hypothèse est que le développement des zones préfrontales de notre cerveau, celles qui nous permettent de différer la gratification en contrôlant nos pulsions instinctives, s'est développé beaucoup plus chez les humains que chez les autres mammifères en raison des nécessités de la "chasse à l'épuisement" (Persistence hunting). Au Paléolithique, avant l'invention des armes de jet, nos ancêtres ont utilisé pendant des centaines de milliers d'années un mode de chasse basé sur l'épuisement de la proie pour survivre. En d'autres termes, ne pouvant atteindre les ongulés de la savane au sprint, ils les poursuivaient jusqu'à l'épuisement, puis, une fois à leur portée, les tuaient à l'aide de pierres et de bâtons. Ce type d'activité a dû considérablement renforcer les zones préfrontales, car il était basé exclusivement sur le report de la gratification (c'est-à-dire que je souffre et je fais d'énormes efforts pour pouvoir atteindre la proie, la gratification, en temps voulu). Ce modèle d'effort pour obtenir un bénéfice futur est devenu un paradigme de toutes les activités humaines : pensez à l'entraînement sportif.

Comment activer cette ressource ?

Comme je l'ai dit, c'est surtout à l'environnement et aux processus éducatifs qu'il appartient de l'activer. Les modèles culturels qui présentent comme normal le fait d'exiger de réussir immédiatement et sans effort entravent considérablement l'acquisition de ces compétences chez les jeunes.

Je considère que l'incapacité de beaucoup à faire face à toute difficulté est l'un des grands problèmes actuels.

Vous avez couru et terminé le Tor quatre fois. Comment le définiriez-vous ?

C'est vrai, j'ai couru le Tor quatre fois, plus l'édition "zéro". Pour moi, ça a été une expérience magnifique, car elle m'a beaucoup appris. Voir tant de personnes "grandir" grâce à la motivation de participer à la course m'a aussi beaucoup appris : je fais référence à tous ceux qui ont trouvé dans le défi de la course la motivation pour changer leurs habitudes, perdre du poids, faire de l'exercice physique et devenir plus résilients mentalement. Je viens de publier une étude dans une revue scientifique internationale qui montre comment les personnes, poussées par la motivation de terminer la course, apprennent au fil du temps des moyens plus efficaces de faire face aux difficultés. C'est une leçon qui peut être généralisée à différents contextes, et pas seulement sportifs, car je considère que l'incapacité de beaucoup à faire face à toute difficulté est l'un des grands problèmes actuels.

En quoi le Tor se distingue-t-il des autres courses d'ultra-endurance ?

C'est certainement l'une des plus difficiles, compte tenu de sa longueur, du dénivelé total, des tronçons techniques et des altitudes élevées auxquelles elle se déroule en moyenne. De plus, elle revêt une signification particulière, car elle fait le tour d'une région entière qui n'est pas seulement une entité administrative et politique, mais aussi une entité historique, ethnique et humaine particulière.

Le manque de sommeil est l'un des principaux facteurs limitant les performances, peut-être même le plus important.

Quelle est l'importance du sommeil dans une course comme le Tor ?

Le manque de sommeil est l'un des principaux facteurs limitant les performances, peut-être même le plus important. C'est donc là que se concentrent la plupart des difficultés rencontrées pendant la course.

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Quelles sont les conséquences du manque de sommeil ?

Il s'agit d'une perte progressive des capacités cognitives, c'est-à-dire une perte de lucidité et une détérioration de la prise de décision, avec le risque de faire de mauvais choix face aux difficultés ; une altération de l'équilibre postural, avec un risque accru d'accident ; une surproduction d'hormones de stress, avec un dysfonctionnement du métabolisme et un risque cardiaque.

Comment se préparer à la privation de sommeil ?

On ne peut pas s'entraîner à ne pas dormir. Ce qu'il faut faire, c'est dormir autant que possible les jours précédant la course et avoir un protocole d'actions à mettre en œuvre lorsque la privation de sommeil se fait violemment sentir, que l'on est loin des bases de vie et que l'on n'est plus lucide. Inutile de traîner en perdant beaucoup de temps et en risquant des blessures, mieux vaut s'arrêter en choisissant un endroit protégé et se couvrir immédiatement autant que possible, sans oublier de mettre un réveil avant de s'allonger. Les micro-sommeils devraient durer entre 20 et 40 minutes.

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