Herman Dune

Musique : Herman Dune à l’Ithaque

C’est comme à l’arrivée d’un long voyage – sa carrière, une longue introspection – que David-Ivar Herman Dune vient présenter à Lyon son Odysseús, dernier album en date, voyage existentiel et musical sur lequel il compte ses abattis, enrichi d’une longue et impeccable carrière, ici déroulée.

On le disait en ouverture de la bafouille que notre présentation de saison consacrait à Herman Dune, David-Ivar Herman Düne est un homme de périples, une sorte d’Ulysse qui revient d’ailleurs en ces termes avec son dernier disque Odysseús. Et de citer quelques exemples comme la revisite de son répertoire glorieux (et confidentiel) sous l’angle portatif de The Portable Herman Dune (soit de la musique déjà réputée lo-fi (comprendre : basse fidélité) jouée en mode carrément no-fi (le moindre artifice autre que guitare fatiguée-voix de vieil homme revenu de tout est relégué aux oubliettes)), comme un disque de chansons de voyage, comme on dit “gâteau de voyage” ; sa BO du road movie foutraque Petaouchnok, et donc, cet Odysseús, odyssée personnelle née d’un voyage immobile et donc intérieur nommé confinement. Mais en réalité, le nomadisme à l’œuvre ces derniers temps chez l’ami David-Ivar est, on l’imagine aisément, atavique.

Né à Paris, lui et son frère André (avec lequel il fondera ce groupe, rejoints ensuite par Omé puis Neman, à la batterie) ont pour origine la Suède de leur mère et le Maroc de leur père, issu d’une famille juive. En soit, c’est déjà un beau voyage dont Paris serait un parfait hub – et ne sera quelque part que cela. Déjà avec leurs parents, les deux garçons voyagent beaucoup. Sans eux, ils ne s’arrêteront plus de le faire. Les États-Unis étant leur destination favorite, pour ne pas dire leur résidence (mouvante) première. C’est qu’entre-temps, David-Ivar et André ont découvert la musique, la vraie, celle qui vient de là et essentiellement du blues, de la country, du folk, du rock, ce Mississippi de l’expression musicale, qui irrigue tout le reste. Ils ont à peu près 15 et 18 ans lorsqu’ils enregistrent leurs premières compositions au tournant des années 90. Ils se produisent également sur scène, dotés d’instruments antiques dont ne voudrait pas un brocanteur. Ils sillonnent ainsi l’Europe et les États-Unis donc, jouant la plupart du temps dans des endroits aussi impossibles que leurs instruments.

Adam & Eve

C’est à New York, probablement dans un de ces lieux infâmes dont les murs transpirent (caractéristique commune aux lieux infâmes où l’on joue de la musique), qu’ils font une rencontre décisive, celle des Adam et Eve du mouvement anti-folk naissant : Adam Green (Adam) et Kimya Dawson (Eve). Kimya Dawson fut la baby-sitter d’Adam Green et c’est ainsi qu’ils commencèrent à former l’un des duos (Moldy Peaches) les plus prolifiques de cette scène peu portée sur la joliesse sonore mais capable de mettre de la mélodie en toute chose aussi sûrement que Jules Renard trouvait le ridicule partout où il regardait. Immergés dans cette scène qui prône donc le lo-fi et l’abandon de toute affèterie superfétatoire, ils y forgent un style à la fois léger et grave, désarmant et valeureux, ironique et triste comme un requiem. La musique de Herman Düne, pour donner une idée, ressemblerait à une aigrette affrontant la tempête avec une sorte de je-m’en-foutisme mélancolique et défiant. C’est du moins l’impression que laisse leur premier disque Turn Off The Light, âpre folk blues qui semble marcher sur les plate-bandes recuites de Violent Femmes (inventeurs du rock acoustique) et du fou chantant Jonathan Richman, chanteur pour enfants mais pour grands enfants.

They Go to the Woods (2001), publié sur un label californien, est de cette trempe également quand Switzerland Heritage, la même année, affiche des prétentions (c’est un bien grand mot) plus rock et peut-être pop (des chansons comme The Speed of a Star ou Going to Everglades auraient pu être des tubes indés dans les mains de n’importe quelle formation US ayant le début d’un pignon sur une quelconque rue). C’est avec ce disque que John Peel, légendaire animateur de Radio One, qui fait la pluie et le beau temps sur le rock qui compte, tombe amoureux de ce groupe et les invite à l’une de ses Peel Sessions (un mini-concert radio auquel les plus grands ont eu droit). Ces Sessions, très écoutées (le groupe en enregistrera pas moins de six les années suivantes, un record pour un groupe français), leur ouvrent les portes des marchés anglais et européens. À la même période, Herman Düne fonde le festival Antifolk (comme son nom l’indique) et y invite tous ses amis mal fagotés.

En 2003, nouvelle double production avec Mash Concrete Metal Mushrooms et le génial Mas Cambios, qu’une poignée de puristes tient pour le sommet de Herman Düne, avant une lamentable bascule vers les abysses du commerce (un point de vue largement exagéré en ce qui concerne la deuxième partie de l’affirmation). Mas Cambios est encore l’une de ces étoiles noires capables d’illuminer le moindre recoin de l’univers (à l’image du titre My Friends Kill My Folks, un truc entre le Velvet, Pavement et Kurt Cobain converti aux comptines). Évidemment, le succès du groupe reste plutôt confidentiel en dépit de ce talent mélodique que le groupe s’échine à ne jamais mettre en valeur, sous l’impulsion notamment d’André, gardien du temple lo-fi. Le groupe continue ainsi de jouer dans des lieux improbables. Si à Paris, on peut régulièrement l’applaudir (pas trop fort, on n’est pas là pour ça) dans un bar-pub branché de la rue Amelot, le Pop In, qui fut la rampe de lancement de pas mal de groupes, à Lyon on peut voir cette curiosité dans des bars comme le bien nommé P’tit Truc, rue de l’Annonciade ou à La Gourguillonnaise à Gerland (pour ainsi dire un garage, à l’époque).

Homère & Emily

Ce n’est qu’avec l’avènement quasiment au même moment de Not on Top (2005, mi-Jonathan Richman, mi-Velvet tardif) que la notoriété de Herman Düne connaît un courant ascendant et que le groupe a accès à des salles de concert dignes de ce nom. Plus encore avec Giant, l’année suivante, et son primesautier et quasi-Calypso I Wish That I Could See You Soon. S’ouvrant à une musique plus mondialisée, et ensoleillée, nourrie de cuivres et d’accents mariachis, Herman Düne sonne surtout plus propre. Autrement dit, il est présentable et son talent mélodique brille à plein, lui ouvrant d’infinies possibilités de se produire partout, jusque sur le plateau de la très populaire émission “Taratata” (où le groupe livre en 2007 une mémorable version du Wicked Game de Chris Isaak en compagnie de Gaëtan Roussel).

C’est d’ailleurs probablement un peu tout cela qui provoque le départ d’André, trop attaché à l’esthétique lo-fi et qui ira (mal) enregistrer des chansons (excellentes) sur des 4-pistes à Berlin sous le nom de Stanley Brinks. C’est sans lui – et désormais sans tréma sur le u de Herman Dune – que paraît Next Year in Zion et son single My Home Is Nowhere Without You qui rappelle tant le Precious Time de Van Morrison. S’ensuit Strange Moosic (2011) qui marque le passage du groupe dans une autre dimension avec un clip de Tell Me Something I Don’t Know, mettant en scène Jon Hamm, star de la série Mad Men (on est bien loin des années “Gourguillonnaise”). En 2012, le groupe s’associe même à la marque Petit Bateau pour une collection (on imagine André hyperventilant depuis Berlin).

La suite est plus éparpillée : après la BO de Mariage à Mendoza, et un déménagement à San Pedro, en Californie, David Ivar, désormais en solo, met pas moins de sept ans avant de produire Sweet Thursday qui marque une sorte de retour aux sources assez dylanien, puis Santa Cruz Gold, dans la même veine. C’est alors le début d’une période durant laquelle David-Ivar entame une introspection typiquement blues, confiant son intimité et lâchant ses démons. Durant le confinement de 2020, il enregistre ainsi Notes From Vinegar Hill qui, à quelques coquetteries rythmiques près, pourrait avoir été enregistré dans les années 60 du côté de Laurel Canyon. C’est sans doute cette introspection qui conduit le musicien à ouvrir les vieux dossiers et à passer en revue les quelque 400 chansons écrites en trente ans de carrière pour accoucher des trois volumes de The Portable Herman Dune (en plus d’une nouvelle BO et d’un EP de Noël) qui lui valent en 2022 une tournée sold out.

Et donc Odysseús, là encore un voyage qui sonde les tréfonds de son âme, entamé avec le confinement alors que coincé au Canada, il lisait L’Odyssée de Homère telle que traduite par la classiciste américaine Emily Wilson. Un procédé qui, lui aussi, ramène forcément aux sources musicales, quelque part entre la country d’un Townes Van Zandt, le folk poétique d’un Leonard Cohen et un soupçon de mélancolie yiddish. Si comme le disait un autre grand esprit grec, “on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”, il est intéressant de constater à quel point, tout en ayant évolué, en ayant effectué des allers-retours, de la source à la mer et de la mer à la source, avec au passage pas mal de détours et de méandres, la musique de Herman Dune est à la fois intrinsèquement la même et à la fois tout à fait autre. Un peu sans doute comme Ulysse lors de son retour à Ithaque.

Herman Dune –Le 18 octobre à l’Épicerie Moderne

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