Activités quatre saisons, nouveaux modes de transport doux, gel des constructions immobilières en pagaille… Confrontées au manque de neige, les stations de montagne rivalisent d’ingéniosité pour assurer leur transition vers un avenir proche où le ski ne sera plus l’activité phare de l’hiver.
C’est l’enjeu de ce siècle. Ou plutôt des prochaines années. Dans son dernier rapport, publié en 2023, le Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) estime que le réchauffement de la planète atteindra 1,5°C dès le début des années 2030. Et les montagnes sont en première ligne, qui se réchauffent deux fois plus vite. Dans les Alpes et les Pyrénées françaises, la température a augmenté de +2°C au cours du XXe siècle, contre +1,4°C dans le reste de l’Hexagone d’après les données de Météo France. Conséquence : des glaciers qui fondent, accentuant la survenance de risques naturels inhérents à la montagne, et la neige qui se raréfie en dessous de 2 000 mètres d’altitude. Météo France prévoit d’ores et déjà un enneigement réduit de “plusieurs semaines” et un manteau neigeux qui aura perdu “10 à 40 % de son épaisseur en moyenne montagne” à horizon 2050. “Toutes les stations seront plus ou moins touchées”, prévient la Cour des comptes dans un rapport publié en février 2024. Alors, que faire ?
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Un modèle économique à repenser “en profondeur”
“Le problème, c’est que le modèle économique actuel des stations ne permet pas qu’elles s’adaptent au changement climatique”, soupire le journaliste, écrivain et conférencier Guillaume Desmurs. Celui qui a grandi dans une station de ski travaille depuis des années sur la question. Il a consacré plusieurs livres à l’avenir de la montagne, dont son dernier Pour la montagne, publié en septembre chez Glénat. Le montagnard a identifié deux leviers sur lesquels agir, qui sont les deux principales sources d’émissions de gaz à effet de serre (GES) : les transports polluants utilisés par les touristes pour venir (avions et voitures) et les prix de l’immobilier de plus en plus élevés qui empêchent les habitants et les saisonniers de se loger. “Il faut remettre en question ce modèle économique en profondeur”, martèle l’écrivain.
Certaines stations se sont lancées dans l’aventure. C’est le cas de Métabief, dans le Haut-Doubs. “Une pionnière de la transition”, affirme Guillaume Desmurs. Il y a dix ans, cette station jurassienne de moyenne montagne, confrontée à un manque de neige chaque hiver plus criant, a acté la mort du ski alpin d’ici 2030 – 2035 au mieux. L’avenir lui donnera raison. En septembre 2024, la station a annoncé la fermeture d’un tiers du domaine alpin pour des raisons climatiques et économiques. “Le modèle économique de la station n’est plus viable et doit être adapté pour la préserver”, expliquait à l’époque le conseil départemental qui la finance. Sous la houlette d’Olivier Erard, glaciologue de formation et ex-directeur du syndicat mixte du Mont d’Or qui exploite les remontées mécaniques, la station a étoffé son offre d’activités quatre saisons : luge sur rails, skis à roulette pour le biathlon, VTT, accrobranche, escape games… Le domaine skiable cible désormais principalement les débutants et les familles, qui y trouvent un terrain de jeux sur mesure pour découvrir la glisse.
Des moyens de transport en commun astucieux
Dans ces villages blottis à flanc de montagne, échelonnés à des altitudes différentes, la mobilité est un enjeu majeur. Dans la vallée de la Tarentaise, la commune de Bourg-Saint-Maurice a opté pour un funiculaire afin de desservir les stations supérieures. Un choix judicieux : depuis la gare, il ne faut que sept minutes pour rejoindre les pistes. La coquette station de Saint-Gervais, qui s’étale des rives de l’Arve jusqu’aux pentes du mont Blanc en une succession de hameaux et villages, était confrontée au même problème. Depuis l’hiver dernier, il est possible de s’y rendre skis aux pieds. En gare du Fayet, porte d’entrée de la commune, il suffit d’emprunter la télécabine du Valléen jusqu’à Saint-Gervais puis d’enchaîner avec l’Alpin et vous voilà au pied des pistes, en une dizaine de minutes.

Le Valléen doit permettre de réduire le trafic routier quotidien d’un quart. Sa capacité de 1 200 personnes par heure et son temps de trajet d’environ cinq minutes entre Le Fayet et le bourg central de Saint-Gervais-les-Bains, plus rapide que par la route, visent à en faire un moyen de locomotion utilisé toute l’année, au quotidien, par les habitants. Pour relier le parc thermal du Fayet au bourg de Saint-Gervais, la commune a installé à l’été 2024 un ascenseur étonnant. L’engin, premier du genre en France, fonctionne grâce à une technique inspirée du XXe siècle : les eaux usées, utilisées comme contrepoids naturel. L’aller-retour en trois minutes et la capacité de seize personnes de la cabine en font un moyen de locomotion pratique et rapide pour aller faire des courses sans prendre sa voiture ou s’offrir une pause thermale.
“Il faut maintenir une vie à l’année, c’est la clé”
En Savoie, le maire Guillaume Desrues assume la transition écologique et économique de sa commune de Bourg-Saint-Maurice, où se trouve la station de ski des Arcs. “Nous nous sommes concentrés sur une diversification économique et une meilleure répartition saisonnière, notamment avec une saison estivale désormais élargie de juin à septembre”, explique-t-il dans les colonnes de la presse locale. Pour l’élu, l’enjeu central est le logement. Confrontée à l’expansion des résidences secondaires et des Airbnb, la commune a voté en 2020 un moratoire sur les constructions neuves. Une société d’économie mixte (SEM) a été créée pour construire et gérer des logements accessibles et sociaux, à destination des habitants et saisonniers. “Il faut maintenir une vie à l’année, c’est la clé”, abonde le journaliste Guillaume Desmurs. À partir du 1er novembre, les meublés de tourisme seront encadrés par un nouveau règlement, plus strict, déjà appliqué par Chamonix, Servoz, Les Houches et Vallorcine. Le maire de la commune, Guillaume Desrues, espère ainsi rendre son territoire plus accessible aux ménages modestes.
Dans la même logique, la commune savoyarde de Tignes a décidé de reprendre la main sur son domaine skiable, l’un des plus grands de France, géré depuis 1990 par la Compagnie des Alpes. À compter du 1er juin 2026, c’est Altta (Alliance locale pour la transition des territoires d’altitude) qui exploitera le domaine. Cette société publique locale (SPL) nouvellement créée est détenue par des actionnaires 100 % publics : la commune de Tignes à hauteur de 90 % et sa voisine Sainte-Foy-Tarentaise, rejointes par Val-Cenis et Champagny-en-Vanoise – ne manque plus que Val-d’Isère. Une première, pour un domaine de cette taille (300 kilomètres de pistes et 78 remontées mécaniques). Et un investissement massif pour les communes, avec une levée de fonds estimée à 300 millions d’euros. “La capacité de remboursement et l’attractivité de Tignes sont là”, assurait fin août le maire de la commune, Serge Revial, au Dauphiné libéré. Avec Altta, les revenus engendrés par le domaine seront directement réinvestis localement. “La création d’une SPL garantit que les richesses générées par le travail de chacun seront redistribuées sur le territoire”, précisent les communes dans un communiqué de presse. Elles souhaitent ainsi “incarner un avenir de la montagne française” en créant “les conditions favorables au développement d’une qualité de vie à l’année dans les bourgs et villages”. “C’est une action révolutionnaire, un véritable outil au service du projet de territoire”, se réjouit Guillaume Desmurs.

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J'adore les photos de montagnes pleine de neige !
Ca nous change de la réalité...