Autrefois épicentre du trafic de drogue et des faits de violences à la Duchère (Lyon 9e), la barre Sakharov a connu une réhabilitation d'ampleur. Le calme a refait surface. Sous la prudence de ses résidents. Reportage.
"C'est l'histoire de Sakharov". Rien ni personne, ni même une réhabilitation totale, ne pourra enlever à la barre Sakharov son identité... et son image. Slimane, résident depuis 32 ans, en a bien conscience au moment d'évoquer l'insécurité qui régnait, il y a quelques années encore, au pied des immeubles. Fusillades, règlements de compte et point de deal ont fait de la vie des résidents un véritable cauchemar, particulièrement en 2021 et 2022.
Mais cette barre emblématique de la Duchère, dans le 9e arrondissement de Lyon, une seconde vie lui a été promise en 2023. Ou plutôt une troisième. Après avoir été réhabilité en 1993, la barre Sakharov construite en 1962 a été rénovée par la SACVL (Société Anonyme de Construction de la Ville de Lyon), propriétaire de ce bâtiment abîmé mais "gardé en bon état", rappelait Raphaël Michaud, président de la SACVL, sans quoi une démolition aurait été inévitable.
À l'issue de deux années de travaux, là voici arborant un nouveau visage, une façade sobre et élégante, une architecture nouvelle et une nouvelle isolation thermique. "Il y a beaucoup de changements sur l'aspect physique, le confort a été augmenté, l'isolation aussi. Avant, c'était un 7/10. Maintenant, c'est un 9/10", apprécie sans hésitation Slimane (78 ans), à l'entrée de son hall.
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De nouveaux logements pour remplacer la coursive
Engagé pour un montant global de 19 millions d’euros, études et travaux compris, le projet de réhabilitation doit donc offrir un nouveau lieu de vie aux quelque 1 500 habitants occupant les 332 logements de cette barre, longue de 160 m, répartie en dix allées. Treize nouveaux logements ont été créés avec cette réhabilitation, entraînant la fermeture complète de la galerie.
Galerie dans laquelle les squats étaient devenus monnaie-courante. "Un bâtiment qui n'était pas adapté aux enjeux de sécurité d'aujourd'hui", relève Fabrice Rosaly, préfet délégué pour l'égalité des chances. "On le sait, la composition architecturale initiale était plutôt défavorable à l'intervention des services de sécurité ou de secours. Dans sa nouvelle disposition, on a gagné de l'habitat et on a apporté de la tranquillité pour les habitants. Et ça, c'est une priorité", assure ce mercredi 25 juin le maire de Lyon, Grégory Doucet.

Slimane, l'habitué des lieux, reprend : "Oui, on a l'impression qu'il y a plus de sécurité, mais on ne sait jamais à quoi s'attendre. On n'est pas maître de ça..." La caméra de surveillance, qui préexistait, a été conservée. Afin de renforcer l'accès aux immeubles, des halls d'entrée sécurisés ont par ailleurs été installés. Mais faut-il encore que les accès soient parfaitement fonctionnels. "Les badges ne fonctionnent pas", pestent Aidoud (51 ans) et Xavier (69 ans), voisins au 8e étage du n°14. "Donc, les résidents bloquent les portes avec des pierres", poursuit Xavier, craignant de nouvelles intrusions dans les parties communes de l'immeuble. Son voisin tempère : "On est quand même beaucoup plus tranquilles, on ne voit plus de squats. Avant, c'était la merde !"
"J'aimerais vraiment que ça reste comme ça"
Aidoud, résident de la barre Sakharov
Les deux habitants de longue date, attachés au quartier de la Duchère, disent-ils, s'accordent surtout à dire que les incivilités des résidents mettent à mal les efforts des institutions, comme cette réhabilitation entrepris par l'agence immobilière. "J'aimerais vraiment que ça reste comme ça. Mais la mentalité... Les gens salissent, jettent n'importe quoi et n'importe où, ne respectent pas le règlement", désespère encore Aidoud.
Les doléances de ces deux habitants portent également sur leurs ascenseurs. Bien que seize nouveaux ascenseurs ont été intégrés, les n°14 et 15, qui en disposaient déjà de deux, ont conservé leurs vieux ascenseurs. "L'un des deux ne fonctionne quasiment pas et avec l'autre, je rencontre parfois des problèmes", atteste Noulya (59 ans), béquille et courses à la main.
Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon, rappelant que les bailleurs sociaux faisaient face à des situations économiques complexes. "On est en attente d'engagements nationaux (...), on a des inconnus. Pourra-t-on encore à l'avenir mener des opérations d'ampleur comme celle-ci ?" interroge-t-il. Et ce, alors que dans le même temps certains résidents réclament des améliorations au sein-même des logements, en plus des parties communes et de l'extérieur.
Ces mêmes habitants pour qui il faudra déjà convenir du nom à donner au bâtiment. "Barre, ce n'est pas très jolie", partage l'un d'eux aux élus écologistes. Unanimement, ces derniers s'accordent pour utiliser le terme de résidence Sakharov. La maire du 9e arrondissement, Anne Braibant, venait, plus tôt, de parler de "barre". Quand Grégory Doucet, quelques minutes plus tard, évoquera "cette barre qu'on a envie d'appeler résidence, bien évidement". Un changement symbolique pour un nouveau cap ?