L’ordre des Chartreux est fondé en 1084 par saint Bruno dans le massif montagneux de Chartreuse. Cet ordre contemplatif a traversé les siècles avec, à son apogée, plus de deux cents monastères dans le monde entier. La maison mère, la Grande-Chartreuse, abrite toujours une communauté de moines tandis que vingt-deux maisons de Chartreuse existent dans le monde. © Carlo D’Alessandro

Escapades en Isère : Chartreuse, l’or vert des Alpes

Alors que les festivités de Noël approchent à grands pas, conviant sur les tables de réjouissants accords mets-vins, mettons à l’honneur la Chartreuse, liqueur locale et mythique. Un produit couronné de succès, fabriqué par une poignée de moines, qui ont aujourd’hui fait le choix de plafonner leur production et de se tourner vers l’herboristerie et les cosmétiques. La liqueur, pourtant, toujours inspire, aussi bien des chocolatiers de renom que des passionnés collectionneurs de bouteilles.

C’est dans le massif voisin de la Chartreuse, que la célèbre liqueur, plébiscitée aussi bien en local qu’à l’international, a vu le jour. Sa naissance est nimbée de mystère. En 1605, le duc d’Estrées, futur maréchal de France, confie aux moines de la Chartreuse de Vauvert, alors sise aux portes de Paris, un manuscrit comportant une formule secrète de plantes médicinales. Puis le manuscrit voyage jusqu’à la Grande-Chartreuse, berceau de l’ordre, en Isère, où, en 1764, l’Élixir Végétal sera finalement mis au point par frère Maubec. Commercialisé d’abord sur les marchés locaux pour ses vertus médicinales, l’élixir, composé de cent trente plantes, toujours vendu dans son petit flacon, a ensuite donné naissance vers 1840 aux fameuses Chartreuses verte et jaune.

Le manuscrit contenant la formule secrète © Pascal Flamant

Naissance d’une gamme de produits tournée vers le soin

C’est cet élixir, conçu à l’origine pour le soin des populations locales, qui aujourd’hui inspire une nouvelle gamme de produits tournée vers le bien-être et la santé et qui reflète aussi l’héritage apothicaire des chartreux. “La liqueur de Chartreuse a une renommée mondiale. C’est une marque qui rayonne et fait face à une demande exponentielle. En 2021, le prieur Dom Dysmas, bien conscient de cette demande qui explose, a néanmoins décidé de se recentrer sur la vocation de l’ordre, qui est avant tout de prier pour l’humanité. On continue donc la fabrication de la liqueur mais on plafonne à 1,2 million de litres par an, soit environ deux millions de bouteilles”, explique Éléana Zappia, directrice de la communication chez Chartreuse Diffusion.

La moitié du chiffre d’affaires de Chartreuse proviendra du secteur soin et santé d’ici 2040 © Nicolas Villion

Un choix à contre-courant de notre société de consommation, qui privilégie la croissance et le toujours plus, mais qui permet aux moines de préserver une activité à taille humaine et un équilibre de vie monastique. Contrairement à l’ensemble des moines, ceux dédiés à l’obédience de la liqueur (sa fabrication) sont en effet en contact avec les laïcs et sortent du monastère. Si la liqueur reste donc un pilier économique fort qui permet à l’ordre de subvenir aux besoins de ses vingt-deux monastères à travers le monde, les moines ont opéré un revirement stratégique marquant, avec l’objectif qu’en 2040 la moitié du chiffre d’affaires de Chartreuse provienne du secteur soin et santé.

Différents monastères en France et en Italie mettent à disposition leurs terres pour la mise en culture en agriculture biologique © Pierre Reynard

Retour aux sources

Un choix qui s’inscrit dans une vision à long terme mais qui marque également un retour aux sources, permettant aux moines de mettre à profit leurs connaissances anciennes en botanique et herboristerie. Et qui s’inscrit en droite ligne avec l’histoire de l’ordre : de maîtres bergers à éleveurs au XIe siècle, les moines sont devenus maîtres des forges, exploitant le fer des montagnes avoisinantes, avant de se réinventer, au XIXe siècle, liquoristes. Avec l’élaboration de tisanes et de cosmétiques, produits d’avenir, s’écrit donc une nouvelle page, tournée vers le soin et la santé. Toute une gamme de tisanes bien-être a ainsi été mise au point (avec des noms faisant référence à la vie des chartreux : Angelus du soir, Réfectoire, Spaciement…) tandis qu’une autre gamme plus spécifique, nommée “apothicairerie des Chartreux”, s’appuie sur des tisanes répondant à des maux plus précis ainsi que sur la gemmothérapie (macérats de bourgeons, jeunes pousses ou radicelles). La nouvelle gamme herboristerie, et celle des cosmétiques prévue à l’été 2026, fait intervenir différents monastères en France et en Italie, qui mettent à disposition leurs terres pour la mise en culture, en agriculture biologique et la cueillette de plantes sauvages. On trouve les maisons de Notre-Dame de Portes (Ain), Sélignac (Ain), Précieux-Sang (Aveyron), Montrieux (Var) et Farneta (Toscane). “On veut réintégrer la filière agricole au sein de Chartreuse et être autonomes pour l’approvisionnement et la transformation des plantes”, précise Éléana Zappia.

Liqueur de Chartreuse : une recette mystérieuse au succès jamais démenti

À la mode jusque dans les bars trendy de New York ou Shanghai, déclinée en de surprenantes recettes de cocktails, la liqueur de Chartreuse, loin de l’image de certains digestifs poussiéreux, a su rester en vogue.

Un soupçon de mystère rend la liqueur particulièrement attractive © Chartreuse Diffusion

Un succès qui s’explique par la qualité de ses ingrédients mais aussi un soupçon de mystère qui rend la liqueur particulièrement attractive. Élaborée par un ordre quasiment millénaire, sa recette pluri-séculaire est toujours jalousement gardée secrète et seuls deux moines en connaissent la formule. Plus de cent trente plantes entrent dans la composition de la liqueur au vert éclatant, presque fluorescent. Et contre toute attente, cette liqueur à la renommée internationale a un ancrage bien local ! Produite à Entre-deux-Guiers, au lieu-dit Aiguenoire, ses ventes se répartissent pour moitié en France (dont 70 % en Rhône-Alpes) et 50 % à l’export (principalement dans l’arc alpin, et seulement 27 % de cette part est exportée aux États-Unis). “Il y a plus de ventes de liqueur de Chartreuse en Isère qu’aux États-Unis”, précise Éléana Zappia.


Pour aller plus loin

À Voiron, l’ancienne distillerie, qui a déménagé en 2018 à Entre-deux-Guiers, a laissé place au site touristique et culturel des Caves de la Chartreuse, qui conte à travers une récente scénographie l’histoire de la liqueur. De multiples visites thématiques (avec dégustations) sont proposées.

La cave historique de Voiron © Pascal Flamant

Le musée de la Grande-Chartreuse, situé à Saint-Pierre-de-Chartreuse, à deux kilomètres du monastère, présente, quant à lui, un reflet de la vie cartusienne.


Alexis Fonteneau

Alexis Fonteneau, rencontre avec un chef collectionneur de Chartreuse

À Burcin, les caves du Relais Saint-Hubert abritent un trésor d’un genre un peu particulier : quelque quatre cents flacons de Chartreuse. C’est la précieuse collection du chef Alexis Fonteneau qui, en 2006, à 19 ans, ouvre son restaurant et commence à associer la liqueur à ses plats : jarret de porc braisé à la Chartreuse, pâté en croûte à la Chartreuse jaune, soufflé glacé à la Chartreuse…

Très vite, il tombe amoureux du produit, présente à la carte trente-cinq Chartreuses différentes et devient un collectionneur invétéré. Car, au-delà des Chartreuses verte et jaune bien connues du grand public, de multiples autres liqueurs, dont certaines rares et inaccessibles, font le bonheur d’un cercle d’initiés. “Il existe des bouteilles rares et numérotées comme la “Reine des liqueurs” ou la “Une Chartreuse” dont seuls 120 exemplaires de verte et de jaune sont commercialisés chaque année. Mais il existe également d’autres bouteilles aux étiquettes ou contre-étiquettes spéciales, Chartreuse ayant toujours été très présente pour marquer un événement”, partage Alexis Fonteneau, qui chine des bouteilles dans l’Europe entière, lors de ventes aux enchères. Son péché mignon ? La Chartreuse Tarragone “El Licor Cumbre” produite entre 1951 et 1959. Les chartreux ont, en effet, entre autres, produit de la liqueur à Tarragone jusqu’en 1989. Aujourd’hui encore, ils s’associent aux fêtes de la Santa Tecla en éditant une étiquette spéciale pour l’événement et, pour se les procurer, il faut s’y déplacer ! Avis aux amateurs, Alexis Fonteneau ouvre sa cave et propose à la dégustation des Chartreuses inédites comme la “Cumbre”, vieillie dans les combles de la distillerie de Tarragone.

Sandrine Chappaz

Sandrine Chappaz, reconversion passion

Autre passionnée de Chartreuse, à laquelle elle laisse la part belle dans nombre de ses créations au chocolat, Sandrine Chappaz a grandi à Saint-Laurent-du-Pont où, en mars 2025, elle a inauguré une toute nouvelle boutique. Pourtant, entre les deux, une tout autre trajectoire l’a menée pendant vingt-cinq ans à occuper différents métiers chez Schneider Electric, à Grenoble. Mais, à un tournant de sa carrière, cette gourmande et passionnée de cuisine se lance le pari fou de monter une chocolaterie.

Elle retourne à l’école pour obtenir son CAP de chocolatier-confiseur, suit une formation intensive de quatre à cinq mois à Rouen, puis construit en 2013 son laboratoire de 143 m2, attenant à sa maison. “Le chocolat est une matière très technique, intéressante, difficile à travailler. C’est un mode d’expression sans limite, on peut y associer des parfums et des goûts infinis”, partage Sandrine Chappaz. Seule aux manettes à ses débuts, elle a été rejointe par son mari et gère aujourd’hui une équipe de douze personnes dont, comme elle, de nombreuses reconversions. Récompensée pour la qualité de ses produits, la transmission de son expérience et la formation dispensée à son équipe, elle a obtenu en septembre 2025 le titre de maître artisan chocolatier, plus haute distinction artisanale.

Une belle reconnaissance pour celle qui avoue avoir souffert à ses débuts de solitude sociale dans son laboratoire, après de nombreuses années de travail en équipe, mais aussi de solitude technique, vite comblée par la volonté de continuer à se former. Ses chocolats, haut de gamme, sont prisés de nombreux restaurants étoilés comme Ursus, à Tignes, La Maison Fantin Latour, à Grenoble ou L’AinTimiste, dans l’Ain, des entreprises, mais aussi des particuliers via sa nouvelle boutique ou son site web. Parmi ses produits signatures, on retrouve des chocolats à la Chartreuse verte, une collection herbacée avec des ganaches aromatisées aux plantes de son jardin mais aussi des guimauves, pâtes de fruits…

Le monastère de la Grande-Chartreuse © Pascal Flamant

Pratique

Où loger ?

• La Chouette Parenthèse – gîte spacieux avec belle charpente et vue sur Chamechaude – Tél. : 06 75 55 05 86

• Le ValOmbré – maison d’hôtes de charme, ancienne bâtisse cartusienne rénovée à Saint-Pierre-de-Chartreuse – le-valombre.fr

Où se restaurer ?

• Le Relais Saint-Hubert – cuisine traditionnelle moderne, où tout est fait maison du pain au dessert, à Burcin – relais-sthubert.fr

• L’Éclat de sel – cuisine authentique avec produits frais et locaux, à Voiron – leclatdesel.fr

Événements

• Exposition Fortifications - Le territoire au Moyen Âge – musée archéologique du lac de Paladru (jusqu’en mars 2026)

Comment s’y rendre ?

• En train, direct Lyon-Voiron, ou en voiture, compter une heure

Laisser un commentaire

réseaux sociaux
X Facebook youtube Linkedin Instagram Tiktok
d'heure en heure
d'heure en heure
Faire défiler vers le haut