The American : un tueur pour cible

Faux polar mais vraie bizarrerie cinématographique, The American d'Anton Corbijn fait de la dernière mission d'un tueur à gages une rêverie cinéphile et contemplative. Sans doute l'un des plus beaux rôles de George Clooney.

Déjà auteur du splendide Control, biopic du suicidaire (et suicidé) Ian Curtis, chanteur du groupe Joy Division, Anton Corbijn, fameux photographe rock viré cinéaste, s'empare ici d'un tout autre sujet. Mais le fait est que le résultat est tout aussi fascinant que son oeuvre précédente. Imaginer Georges Clooney, un flingue à la main dans un film baptisé The American, c'est avoir la certitude un peu aveugle d'un film d'action à l'américaine justement. Un truc où Jojo sauve le monde en deux rafales et trois œillades, sans se départir de ce sourire en coin qui a fait sa carrière depuis un stage aux Urgences. Clients du pitch ? Alors passez votre chemin. The American est tout autre : un objet contemplatif sur la dernière mission d'un tueur à gages américain un rien usé (mais toujours vaillant) dans les Abruzzes, à deux pas de l'Aquila. Une sorte de western (un étranger armé débarque dans un village) mais à l'européenne et plutôt dans la veine crépusculaire du genre, là où les cowboys en ont plein les bottes.

Jack alias Edward (Clooney, fantastique de mutisme et d'abattement, dans un de ses plus beaux rôles) est ce corps étranger, ce corps américain sans histoire car sans passé, dans un décor "chargé d'Histoire" comme dirait l'autre, celui de la vieille Europe des villages typiques. Il est même l'Amérique, ce pays qui, comme le souligne le prêtre italien du village, pense pouvoir se prémunir de l'Histoire et vivre uniquement au présent. De Jack/Edward, on ne sait rien : Agent secret ? Homme de main ? Bon ? Méchant ? Rien. Tout juste apprend-on, en une sublime ouverture dans la neige d'une forêt suédoise, que des "Suédois" sont à ses trousses et pas pour lui livrer un meuble en kit. Comme on apprend qu'il doit livrer une arme pour une obscure mission d'exécution, qui pourrait bien (l'arme comme l'exécution) se retourner contre lui.

M. Papillon

Cet homme sans passé, dépressif et désespérément seul, va alors tenter de se construire un avenir, tombant amoureux, lui, le tueur sans états d'âme, d'une sublime prostituée. Corbijn jongle ainsi avec les clichés et les archétypes du genre (la prostituée solaire, le tueur en bout de course, la dernière mission qui prend l'eau) mais au service d'un film déroutant fait de temps morts, de silences, d'ellipses. Bref, d'un film "américain" qu'on tord dans tous les sens, comme pour l'européaniser. Au service également d'un symbolisme d'une grande poésie, que ce soit dans les références cinématographiques, et notamment italiennes, qui parsèment le film comme un jeu de pistes, dans les parallèles incessants entre le destin de celui que les femmes surnomment M. Papillon (il en a un tatoué dans le dos et se passionne pour le sujet) et celui d'un insecte « en voie d'extinction » ou encore dans les airs de chemin de croix que prend cette dernière mission (dernière oui, mais à quel degré ?).

Chemin de croix et même purgatoire pour le tueur au papillon : le prêtre, du genre à qui on ne la fait pas et bien conscient des activités pas très catholiques de Jack/Edward, précise à ce dernier que point n'est besoin de croire à l'enfer quand, comme lui, le tueur, on y vit. Un enfer de solitude et de servitude, un sacerdoce, ce truc que les prêtres ne comprennent que trop bien. Or pour en sortir, Jack s'est justement trouvé un petit coin de paradis, au bord d'une rivière, où il vient seul ou avec Clara, la prostituée au corps d'Eve qui s'y baigne nue en s'exclamant "C'est un paradis !". C'est là, dans cet Eden, qu'il doit la retrouver à la toute fin du film quand tout sera fini, espérant prendre son envol. Et le prenant, d'une certaine façon. On n'en dira pas plus.

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