Couv du livre “Les Imprudents” / Olivier Bertrand © Tim Douet – 2015 (montage LC)
Olivier Bertrand © Tim Douet – 2015 (montage LC)

Livre : Les Imprudents, sur les traces de l’Oradour-sur-Glane ardéchois

Olivier Bertrand, autrefois journaliste à Lyon, s’est lancé dans une enquête historique pour découvrir l’identité d’un homme, fusillé par les SS dans un village d’Ardèche d’où est originaire sa famille. Il vient le 3 mai à Fontaines présenter ce récit qui se lit comme un roman, travaille la mémoire et fait revivre les résistants de l’intrépide maquis Bir-Hakeim, ces Imprudents.

“Ces braves gens sont morts, laissons-les en paix”, conseille un témoin à l’auteur. Le journaliste Olivier Bertrand, cofondateur du site d’information Les Jours, ne s’y résout pas. Il s’est mis à la recherche de l’identité du seizième fusillé, abattu par les soldats SS à la fin de la Seconde Guerre mondiale comme les quinze habitants d’un hameau d’Ardèche. Ces derniers étaient accusés d’abriter des résistants. Sa quête l’a jeté sur les traces de l’imprudent maquis Bir-Hakeim. “Mon livre est une démarche d’auteur, explique-t-il, j’ai utilisé à la fois des techniques d’historien dans la recherche de preuves, et de journaliste pour rendre sensible ce que j’ai appris.”

À la recherche de “Grand-Père”

Première étape : recueillir les témoignages des anciens de son village, près de Vallon-Pont-d’Arc, au sud de l’Ardèche. S’ils lui apportent des éléments sur le contexte local de Labastide-de-Virac, le village de sa famille, peu lui donnent des informations précises. “Je ne voulais surtout pas faire un manuel d’histoire”, dit l’ancien correspondant de Libération à Lyon. C’est finalement dans un ouvrage écrit par des résistants, retraçant le parcours du maquis Bir-Hakeim, que le journaliste apprendra qu’un dénommé “Grand-Père” est tombé sur le même lieu, quelques jours après le massacre des habitants. Une note des gendarmes de l’époque lui donne le détail des objets retrouvés sur le cadavre. Parmi ceux-ci, un mouchoir brodé portant les initiales “J.P.”. Des indices suffisants pour se lancer dans l’histoire de l’“armée des ombres”.

Le maquis Bir-Hakeim

Sur sa moto, l’auteur parcourt le sud de la France entre l’Ardèche et Toulouse, ville où tout commença pour le groupe de résistants. Hétéroclite, l’équipée se composait d’abord d’étudiants en classe préparatoire à l’école navale, encadrés par Jean Capel, un ancien salarié de la Caisse d’Escompte du Midi, et des frères de Roquemaurel, un duo charismatique capable de mener des hommes. Le groupe grossit peu à peu. Leur quotidien, fait d’abord d’entraînements paramilitaires dans des planques de campagne, s’organise. Il ne s’agit plus de s’opposer par les mots. Très vite, ils multiplient les razzias sur les stocks d’essence, d’armes, de cigarettes, de nourriture. Les problématiques changent : où cacher une cinquantaine d’hommes, comment s’appuyer sur les populations locales en conservant leur confiance ? Mais, rester discret, ces jeunes gens n’en éprouvent pas le besoin. L’enquête d’Olivier Bertrand montre bien que le maquis revendique sa désinvolture. Imprudent, certes, mais quel style ! C’est d’ailleurs ce brio qui attirera les jeunes en quête d’aventure d’autres groupes de résistants… et la jalousie de leurs chefs. Le groupe entre dans la légende.

Le prix du sang

C’est néanmoins à cause de cette imprudence que tout va basculer. Le maquis est trop bruyant et les villageois paient leur part. Si le racket est toléré, au nom de la résistance, la réponse musclée des Allemands ne passe pas. Mais les hommes ne prêtent pas attention au risque toujours plus grand d’une dénonciation. C’est dans l’Hérault qu’a lieu leur premier combat. Après une heure de tirs, le maquis laisse deux hommes à terre. Cette fois, il entre définitivement dans le mythe de la Résistance. Même le général de Gaulle les évoquera dans ses Mémoires de guerre. Selon lui, c’est la première bataille entre des soldats allemands et des forces civiles combattantes sur le sol français. Connaissant le prix du sang, ces hommes se jettent dans une lutte active contre l’envahisseur nazi. Les provocations s’enchaînent : prises d’otage, libération de prisonnier au nez et à la barbe des Allemands, vol de matériel militaire… Persiste pourtant cette impression qu’il s’agit d’un jeu pour ces jeunes hommes. Beaucoup payeront de leur vie cette légèreté, d’autres seront envoyés dans les camps de la mort.

Un héros de la Résistance sacrifié pour la liberté

L’enquête d’Olivier Bertrand avance lentement, au gré des digressions. C’est finalement en épluchant le discours prononcé à l’enterrement de Jean Capel, le chef du maquis, que le journaliste en apprendra le plus. Il lui est confirmé que le seizième fusillé de Labastide s’est sacrifié pour couvrir la fuite de ses camarades. Le cadavre anonyme depuis soixante-quinze ans retrouve son identité : René Désandré, héros de la résistance âgé de 20 ans. Fils d’un chauffeur de taxi, le jeune homme s’était engagé en fuyant le STO. La retranscription de cette découverte trahit l’émotion d’Olivier Bertrand, dont on entend la voix tout au long du récit, mêlant sa mémoire familiale à celle du maquis Bir-Hakeim. “Nos deux histoires s’enroulent”, confirme-t-il.

Portrait de la vieillesse rurale

À travers l’enquête, se dessine en creux le portrait d’une vieillesse contemporaine, celle qui peut témoigner du passé, mais qui n’a pas forcément envie de réveiller les vieux fantômes. En filigrane, Olivier Bertrand dresse le tableau sociologique de la vieillesse rurale, parfois abandonnée, souvent déjà partie. Accueilli avec rudesse, le journaliste semble percevoir à la fois leur solitude et les mémoires vivantes qu’ils représentent. “Il semblait important de les montrer avec leurs postures, ce qui les rend vivants et visuels”, écrit-il, minimisant la dimension sociologique de son livre. Sa galerie de portraits montre ceux qui n’apparaissent pas dans les manuels d’histoire, souvent oubliés même dans les familles. Ceux qui furent les petites mains des grandes figures de la Résistance.


Olivier Bertrand / Les Imprudents – Éditions du Seuil, mars 2019, 330 p.

Rencontre et signature – Vendredi 3 mai à partir de 18h à la librairie Les Mots Bleus, 13 rue Pierre-Bouvier à Fontaines-sur-Saône (réservation plus que conseillée, sur Facebook ou par courriel)


[Article publié dans Lyon Capitale n° 787 – Avril 2019]

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