En pleine vague #MeToo, Woody Allen veut encore croire en sa bonne étoile

Le réalisateur new-yorkais est venu à Lyon pour présenter Coup de chance, son dernier film, qui sort dans le tumulte de la vague #MeToo. 

C’est dans le magnifique salon d’hiver de l’institut Lumière, à l’invitation de son directeur Thierry Frémaux, que le cinéaste américain a convié la presse le 10 septembre pour évoquer son dernier film, Coup de chance.

Pas de veine, juste avant son arrivée, Woody Allen, très attendu également sur d’autres sujets que le cinéma, a fait passer un message afin que les journalistes s’abstiennent de poser des questions qui ne soient pas en lien avec son film ou sa prestation musicale au parc des Oiseaux du lendemain (il est aussi clarinettiste de jazz).

Dommage, car les questions brûlaient les lèvres, après une sortie quelque peu chahutée à la Mostra de Venise début septembre.

En effet, parallèlement à d’anciennes accusations d’agressions sexuelles portées par son ancienne compagne Mia Farrow sur leur fille adoptive Dylan(1) qui ont à nouveau émergé dans le contexte #MeToo, le réalisateur new-yorkais avait remis une pièce dans la machine à polémiques avec une déclaration sur le scandale qui touche le football féminin espagnol. Où il affirmait en substance ne pas comprendre les réactions disproportionnées face au baiser non consenti d’un entraîneur à une joueuse, “une personne qui est son amie”

Dernier film ?

Même si la justice américaine lui a laissé le bénéfice du doute concernant l’affaire Dylan, le réalisateur de Manhattan sait qu’il est sur la corde raide et que ses détracteurs l’attendent au tournant. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la sortie de son film le 27 septembre soit perturbée par des manifestations.

Woody Allen est aussi conscient que Coup de chance, son cinquantième long métrage, pourrait être le dernier, même si dans une réponse quelque peu taquine aux journalistes, il ne s’interdit rien. “Si quelqu’un vient me voir et me dit qu’il a de l’argent et qu’il veut travailler avec moi, je ne dirai pas non.”

Car le cinéaste multi-oscarisé est devenu indésirable aux États-Unis depuis la vague #MeToo et a été peu à peu lâché par la plupart des producteurs et acteurs américains. Rien d’étonnant à ce que son dernier film ait été réalisé intégralement à Paris, avec des comédiens français. Woody Allen sait qu’il bénéficie encore d’une grande aura en France. Un pays qui fut “l’un des premiers à apprécier mon travail”, rappelle-t-il. Et où, manifestement, on sait encore dissocier l’homme de l’artiste…

Peinture à l’acide de la bourgeoisie

Même si Paris a déjà offert un cadre à plusieurs de ses films(2) et qu’il “adore cette ville qui ressemble beaucoup à New York”, cette transposition 100 % française de son univers était attendue par les critiques et son public. La question étant aussi de savoir si la magie du réalisateur de 87 ans pouvait encore opérer, malgré un contexte tumultueux de cancel culture et une image écornée.

Lou de Laâge incarne une femme trophée, tiraillée entre le confort bourgeois et la passion amoureuse © 2023 Gravier Productions, Inc. Photo : Thierry Valletoux

En réalité, dans ce film, qui reprend un des sujets chéris par Woody Allen, l’adultère, rien ne semble avoir affecté le travail du cinéaste qui nous rappelle qu’il sait encore manier la dérision avec une grande acuité lorsqu’il s’agit de peindre à l’acide la société bourgeoise.

Vaudeville sanglant

Comme dans Match Point (2005), film qui possède probablement la plus grande similitude avec ce nouvel opus, le réalisateur s’interroge sur la part que peut prendre le hasard sur notre destin.

Ici, une rencontre fortuite entre une séduisante jeune femme mariée et un ancien camarade de lycée devenu écrivain, dont elle tombe éperdument amoureuse. Un coup du sort qui sert de prétexte au cinéaste pour mieux sonder l’âme de chacun, face au choix de la raison ou du cœur. Mais le mari trompé découvre le pot aux roses et n’entend pas laisser sa belle épouse lui échapper…

Servi par des comédiens inspirés, à qui Woody Allen, de son propre aveu, a laissé “une grande liberté d’interprétation”, le film – plutôt réussi – nous offre un polar haletant et sanglant.

Valérie Lemercier et Melvil Poupaud, dans un polar haletant et sanglant © 2023 Gravier Productions

Recettes familières 

Melvil Poupaud semble avoir pris un plaisir incommensurable à jouer avec une sorte de jubilation froide le rôle du mari trahi. Un homme d’affaires sans états d’âme au passé trouble, considérant sa femme comme un trophée. Cette dernière, interprétée par Lou de Laâge, incarne, avec une forme d’ingénuité, une femme tiraillée entre le confort bourgeois et la passion amoureuse, cornaquée par une mère – Valérie Lemercier, très en forme – qui mène l’enquête sur la disparition soudaine de l’amant. 

Et comme souvent, Woody Allen, qui ne se met plus en scène depuis des lustres, tient à faire figurer un personnage qui incarne son “double”, comme ici le bel écrivain bohème, amoureux et idéaliste, sous les traits très avantageux de Niels Schneider.

On pourrait railler les ficelles vaudevillesques ou se lasser des personnages, sorte d’archétypes obsessionnels du cinéaste et des thèmes récurrents comme le désir d’ascension sociale, la pulsion amoureuse et le sentiment de culpabilité. En réalité, même si le dernier film de Woody Allen nous sert des recettes familières, le plaisir reste intact. Mais par les temps qui courent, s’en délecter est devenu presque coupable.


Coup de chance – Un film de Woody Allen. Sortie le 27 septembre.

(1) Mia Farrow et Woody Allen sont en conflit depuis que ce dernier est en couple avec Soon-Yi Previn, fille adoptive de l’ancienne compagne du réalisateur.

(2) Tout le monde dit I love you (1996) et Minuit à Paris (2011).

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