Pour la Biennale de la danse, le chorégraphe (et magnifique danseur) Emmanuel Eggermont questionne la jeunesse à travers des éléments visuels et sonores ainsi que son propre corps.
Il nous a véritablement bouleversé en juin dernier avec son élégie pour le chorégraphe Raimund Hoghe, se révélant un danseur d’une rare intensité. Il revient avec cette fois-ci un travail personnel, expression d’une démarche qu’il mène au sein de sa compagnie : sortir de la boîte noire du théâtre, aller à la rencontre des autres, créer du lien avec des territoires, leurs acteurs sociaux et culturels pour les intégrer dans sa réflexion artistique, car pour lui une pièce de danse ne se passe pas qu’au plateau, elle se crée aussi ailleurs.
Avec Open my chest and place our tomorrows inside (Ouvrez ma cage thoracique et placez nos lendemains à l’intérieur), il questionne la jeunesse, après avoir rencontré pendant un an à Lyon et dans l’Hexagone des jeunes âgés de 18 à 25 ans dans différents domaines de formation, éloignés des actions habituelles de sensibilisation artistique et qui sont en train de se construire.
“Dans une actualité pas très optimiste où l’on se demande quel est le rôle de l’artiste, nous dit-il, c’est après avoir découvert, lors d’un atelier, sur la porte d’une université la phrase ‘La beauté sauvera le monde’ que je me suis dit qu’il y avait de l’espoir du côté de la jeunesse. J’ai eu envie de la rencontrer, de comprendre ce qui l’anime, quelles sont les références artistiques qui façonnent sa manière de voir le monde. J’ai demandé à ces jeunes, qui disaient ne rien connaître à l’art, trois références – artiste, livre, vidéo, expo, film… – et les propositions étaient très fortes, ils se sont rendu compte que l’art est partout, qu’ils avaient la possibilité de donner leur point de vue, de partager.”
Pour le chorégraphe, il ne s’agit pas de faire un kaléidoscope de références mais de s’en emparer, de jouer avec, créant également une capsule temporelle numérique (sorte de boîte dans laquelle on met des objets et que l’on enterre pour la sortir 100 ans après et se rappeler ce qu’était l’art à cette époque). “L’idée était qu’ils mettent dedans tout ce qui leur semblait important de partager. J’aurais adoré qu’à 18 ans, on me dise, il faut que tu lises ce livre ou que tu voies ce film pour changer ma perception des choses. Avec toutes ces références, on a créé une page internet dont le lien sera proposé aux participants et au public. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas, il y a un gap avec ma génération et ça m’oblige en tant qu’artiste à me déplacer en questionnant les références de la jeunesse, sans quoi je travaille toujours avec les miennes.”
Réanimer un optimisme en voie d’essoufflement
Pour la lumière et la musique, Emmanuel Eggermont a demandé à deux jeunes (Leisurely T et Paolo Morvan) de le rejoindre lui et le compositeur Julien Lepreux, histoire de favoriser les croisements artistiques. Entre la danse, le son, la lumière, il n’y a pas de hiérarchie, il a conçu la pièce comme une sorte de reflet, une radiographie d’une jeunesse, sans porter de jugement, révélant les teintes d’un présent et d’un avenir ; comme un chantier en construction où la danse se crée, entre dramaturgie et espaces de liberté, puisant le sens profond du mouvement dans ce qui est à l’origine, les références.
“Pour moi, ajoute-t-il, le titre – Ouvrez ma cage thoracique et placez nos lendemains à l’intérieur – serait comme la réflexion d’un artiste qui dirait ‘allez-y’, c’est vraiment le lieu pour questionner le rôle de l’artiste dans un monde qui va droit dans le mur sur plusieurs domaines. La cage thoracique ouverte, c’est l’opération de la dernière chance, la réanimation, l’animation d’un optimisme en voie d’essoufflement. On ouvre la cage et on fait un massage cardiaque. Ce massage, ce sont les rencontres, les références, tout ce qu’un artiste peut nouer pour créer un projet avec les autres.”
Open my chest and place our tomorrows inside Emmanuel Eggermont – Les 19 et 20 septembre au théâtre du Point-du-Jour