© Stéphane Thabouret

Concert-anniversaire au Radiant-Bellevue : "Noz" plus belles années

Accusant pas moins de 40 ans et dix albums studios, l’emblématique groupe lyonnais Le Voyage de Noz, vrai gros morceau du patrimoine rock local, s’offre une virée festive au Radiant-Bellevue en présence de tous ses musiciens passés et présents. De quoi passer en revue une longue et belle carrière.

Si on se livrait à un petit jeu consistant à citer les totems du patrimoine lyonnais qui ne se mangent pas (parce qu’ils prennent beaucoup trop de place et sentent souvent trop fort), sans doute obtiendrait-on une liste citant pêle-mêle : l’OL (et sa kyrielle de légendes), la basilique de Fourvière, plus trop l’abbé Pierre alors disons Bernard Pivot ou Laurent Gerra, le bouchon de Fourvière et aussi celui du Bojolpif qui saute un peu plus facilement, au moins une fois l’an.

On pourrait continuer la liste longtemps et sans doute n’y figurerait-il pas, au contraire de L’Affaire Louis’ Trio, de Carte de Séjour, de Benjamin Biolay ou de Starshooter, Voyage de Noz. Et ce pour une raison hautement paradoxale : parce que ce groupe de rock emblématique de la scène lyonnaise, à la longévité fort vénérable, n’a jamais vu son aura s’étendre au-delà d’AuRA (ou même simplement de Rhône-Alpes, comme on disait à l’époque de sa création.

Oui, donc, Le Voyage de Noz fera mentir un célèbre adage en n’étant prophète qu’en son pays. Et c’est pour cela précisément qu’on l’oublie un peu à l’heure des comptes locaux. Pourtant, celui qui se rebaptisa un temps Noz a marqué son époque, et même plusieurs, d’une longévité comme on en voit plus tellement, 40 ans, ce qui en ferait une sorte de Rolling Stones ou plutôt de U2 lyonnais dont son leader Stéphane Pétrier serait un peu le Bono.

La photo du Voyage de Noz où figurent tous ceux qui ont collaboré avec le groupe depuis 40 ans. © Stéphane Thabouret

Le premier groupe lyonnais à remplir le Transbordeur

Le Voyage de Noz, il faut dire ce qui est, on ne fait guère plus lyonnais : se souvient-on par exemple que Pétrier composa en son temps l’hymne de l’OL en montant en rock (de stade) le slogan : “Qui ne saute pas n’est pas lyonnais” ? À part se déguiser en quenelle ou marquer un but décisif contre Sainté, on voit mal ce qu’on peut faire de plus couleur locale. Il faudrait voir aussi à ne pas oublier, même si ça demande de se creuser un peu les méninges, c’était sous Mitterrand, que Noz fut le premier groupe lyonnais à remplir le Transbordeur et que certains de ses albums ont connu un petit succès, à une époque, certes, où les disques, ces drôles d’objets, se vendaient encore.

Des disques souvent oniriques, à l’engagement parfois naïf et à l’imagerie chargée (Pétrier mimant une pendaison sur scène ou évoquant son anus artificiel) dans une période où s’épanouissait plutôt la raideur new wave puis le je-m’en-foutisme minimal du grunge. C’est peut-être d’ailleurs ce contre-courant esthétique qui a fait du Voyage de Noz ce qu’il est (lui-même) et l’a empêché d’accéder à une destinée, disons, supérieure. C’est-à-dire nationale ou, soyons fou, internationale. Paradoxe, là encore, pour un groupe qui s’est un peu construit esthétiquement contre lui-même.

Quand il aspire, depuis l’entrée de l’adolescence, à quelque destin de rock star, Stéphane Pétrier se verrait bien faire le même métier que Freddie Mercury dont il est d’abord tombé amoureux du We Are The Champions (sans doute ce qui le conduira à la revisite de l’hymne lyonnais précité), puis du reste, suite à un malentendu en achetant le mauvais 45t. Il se rapproche alors de son meilleur pote Thierry Tollon qui tâte du piano, et va frapper chez son voisin, Christophe Lebeslour qui a la bonne idée de s’être mis à la batterie. Pétrier aimerait reproduire les arabesques de son Freddie ou celles de Yes ou Genesis, armadas 70’s friandes de mille-feuilles progressifs néo-hippies.

Mais il y a un moment dans la vie d’un groupe, et ç’a été le cas de beaucoup, où la réalité se heurte à la technique. En en proposant alors une autre : celle de groupes comme par exemple The Cure ou toutes les locomotives de cette new wave jouée avec trois accords et parfois même deux doigts. Le groupe se rabat sur les manières de ce prolétariat rock qui vomit pourtant généralement les aînés progressifs précités. Et après avoir étrenné le nom de Lady Winter sur un nom proposé par Lebeslour au retour d’un pèlerinage en Bretagne, suggérant un jeu de mots avec la nuit bretonne (noz) et l’idée de voyage scellant les amours.

Lyon, capitale du rock

Nous sommes au milieu des années 80, la scène qui a fait de Lyon la capitale du rock (celle des Starshooter, Marie et les Garçons) laisse place à une autre, plus new wave (Gestalt, Haine Brigade, Aurelia Kreit) ou plus pop, et plus populaire (L’Affaire Louis’Trio, Carte de Séjour). Cette effervescence locale facilite l’accès au live et permet assez facilement à un groupe de post-ados de monter sur scène devant une centaine de personnes comme qui rigole.

C’est à l’occasion d’un de ces concerts, à Vienne, que Le Voyage rencontre son manager. C’est en multipliant ces shows aussi que le groupe se taille une réputation solide dans la région, porté par ses mises en scène scéniques et des entrées opératiques. Mais à l’époque on ne fait pas un disque en claquant des doigts dans sa chambre (car ça coûte bien plus cher que de claquer des doigts) et Le Voyage de Noz met quatre ans à sortir son premier album avec dix-sept titres.

Entre-temps il a quelque peu enrichi et remanié ses effectifs. En 1989 toujours, le groupe est le premier du cru donc à remplir le Transbordeur de deux mille âmes, ce qui tend à vous inscrire un peu dans l’histoire. Laquelle aurait pu être un peu plus sombre puisque Pétrier manque sa pendaison fictive. Et, conséquemment, de se tuer dans une chute de 4 mètres. Après des rendez-vous manqués avec de grandes maisons (EMI, Pathé-Marconi), le deuxième album sort sur un label indépendant et connaît un bel accueil, discographique et live, dans une veine plus classique, pour l’époque, et parfois un peu funk-fusion (la chanson-titre Le Signe).

Mais au lieu d’un franc succès qu’aurait peut-être permis l’hébergement sur une major, le groupe s’offre un conflit interne et une scission. À l’occasion de laquelle Éric Clapot et Stéphane Pétrier s’adjoignent les services de nouveaux musiciens, dont, pour un temps, Philippe Prohom, avant de s’atteler à un projet ambitieux de triple album, qui ne sera que double et contiendra, pour sa deuxième partie, le single Marianne couche (saillie anti-FN). C’est à cette époque que Voyage de Noz est élu groupe de l’année par Lyon Capitale. Et aussi qu’il enregistre un double album (décidément) live entre le Transbo, le CCO et un festival à Chauffailles, marquant là la fin du premier chapitre de l’histoire du Voyage de Noz, qui ne tarde pas à devenir Noz.

L’Amour avec un grand A

Début des années 2000, à l’occasion du nouveau millénaire et pour ses 15 ans, Noz livre L’Homme le plus heureux du monde, inauguré à Paris, soutenu par les médias locaux, dont TLM pour une large part, qui lui vaut d’élargir notablement son audience, car plus pop et dans l’air du temps, tout comme son successeur Tout doit disparaître, quatre ans plus tard. En 2007, le groupe fête ses 20 ans (et un peu plus) avec 1 000 personnes (et un peu plus) sur la scène du Rail Théâtre et publie un DVD baptisé 20 ans et des poussières.

Amateur d’albums concept et de grands formats, Le Voyage de Noz combine les deux sur Bonne Espérance (2010) qui recule de quelques années les influences des débuts, se portant ici sur les années 70. Le suivant mettra pas moins de huit ans à éclore, le groupe entré en studio en 2013 mettant tout son travail à la poubelle, insatisfait du résultat. L’album s’intitule Le Début-la fin-le début et sonne davantage 90’s. Entre-temps, en 2016, le groupe était remonté sur la scène fondatrice du Transbordeur pour un concert qui fit venir tous les fans de toutes les époques… et parfois les enfants de ces fans. En 2019, en bonne tête de pont de la scène lyonnaise historique, Le Voyage est de l’aventure du projet Place Hubert Mounier qui rend hommage au leader de l’Affaire Louis’Trio, au milieu des Kent, Carmen Maria Vega, Joe Bel, Denis River, Buridane…

Puis commence à travailler sur le dernier disque en date, nourri des frustrations du confinement et du délitement du monde qui l’accompagne : Il semblerait que l’amour fut, nouvel album concept, célèbre, comme son nom l’indique, l’Amour au sens large, et avec un grand A, ce qui nous lie. Un mot dont Stéphane Pétrier avoue qu’il a longtemps été tabou dans ses chansons. C’est en quelque sorte parce qu’il semble disparaître que l’auteur (qui a également écrit deux romans) le convoque, imaginant une dystopie dans laquelle le sentiment amoureux nous serait interdit.

Flirtant avec le rock fusion des années 90 toujours, le disque s’alimente aussi à une forme de post-rock autant qu’à la chanson pop, et l’on y déniche quelques accointances sonores avec des groupes aussi pointus que Diabologum. Pétrier dira de ce disque qu’il est peut-être leur meilleur, arguant que le groupe lui semble se bonifier avec le temps. Et c’est avec ce disque que Le Voyage de Noz tiendra les comptes de ses 40 ans, un âge que peu de formations ont seulement rêvé atteindre, sur la scène du Radiant-Bellevue, antre de ce Victor Bosch qui, alors directeur du Transbordeur, leur fit confiance à leurs tout débuts.

Un concert qui sera aussi l’occasion d’une très large revue d’effectifs, avec la présence sur scène (probablement pour le final) d’une quinzaine des membres embarqués dans Le Voyage de Noz durant quatre décennies. On peut sans peine parler de jubilé et, pour beaucoup, il s’agira aussi de jubilation.

Le Voyage de Noz fête ses 40 ans – Le jeudi 4 décembre au Radiant-Bellevue

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