Cette année, le Crémant du Jura fête les 30 ans de son appellation d’origine contrôlée (AOC). Le premier d’une succession d’anniversaires puisqu’en 2026, les AOC Arbois et Château-Chalon, doyennes de cette reconnaissance, célébreront leurs 90 ans ! L’occasion de décrypter le plus petit des grands vignobles et d’aller à la rencontre de ses acteurs.
“Le vignoble jurassien est petit par sa taille mais grand par sa richesse et sa diversité de production et d’acteurs”, annonce Marine Couturier, directrice du comité interprofessionnel des vins du Jura (CIVJ) et de la Société de viticulture du Jura (SVJ). S’étendant sur seulement 2 000 hectares (contre 13 500, à titre de comparaison, pour notre Beaujolais voisin), blotti au flanc des premiers contreforts du massif du Jura, il s’étire sur 80 kilomètres le long du Revermont, de Salins-les-Bains à Saint-Amour.

Un vignoble aux sept AOC
Déclinant cinq cépages – deux blancs (chardonnay et savagnin, si typique du Jura !) et trois rouges (poulsard, trousseau et pinot noir), le vignoble du Jura se targue de pas moins de sept appellations ! Aujourd’hui, quatre AOC géographiques et trois AOC “produits” distinguent les vins du Jura. Parmi les quatre AOC géographiques, on compte Arbois, pionnière des AOC vins en France, renommée pour ses vins rouges, et la plus étendue, les Côtes du Jura, AOC omniprésente du nord au sud du vignoble et jouant avec les cinq cépages présents dans le Jura, L’Étoile, réputée pour ses vins blancs, et enfin Château-Chalon, qui produit exclusivement le fameux vin jaune.
Ce dernier est issu uniquement du cépage savagnin, cépage roi pour l’élevage de type oxydatif ou “sous voile”. Une fois la fermentation achevée, le vin jaune, aux arômes complexes de noix et d’épices, est conservé au minimum six ans et trois mois en fût de chêne, sans intervention du vigneron. À la fin de son vieillissement, le nectar obtenu est mis en bouteille dans un “clavelin” de 62 centilitres, flacon spécifiquement créé pour lui, correspondant au volume restant de savagnin après élevage. “Le vin jaune est le seul vin blanc plus puissant que les vins rouges. Il peut se garder plusieurs siècles, peu de vins peuvent se targuer de cette longévité”, commente Thierry Bonnot, président du CIVJ. Pour preuve, une bouteille de… 1774 – époque où Louis XVI était roi de France ! –, dégustée en 1992 par une poignée d’initiés, avait conservé ce goût caractéristique du savagnin, avec encore des arômes de figue, noix, abricot…
Côté AOC “produit”, on retrouve le crémant du Jura, qui célèbre cette année les 30 ans de son AOC. Représentant près de 30 % du volume des vins du Jura, les cinq cépages sont autorisés dans son élaboration, avec une large dominante de chardonnay. “Il y a une vraie tradition de la bulle dans le Jura. Reconnu pour sa qualité et sa typicité, le Crémant du Jura est l’ambassadeur contemporain du vignoble”, explique Marine Couturier. Se distinguent enfin le Macvin, du Jura, un vin de liqueur et le Marc du Jura, une eau-de-vie ambrée, composante indispensable du Macvin. Et pour finir avec une touche de douceur et de volupté, existe également, en plus des sept AOC, un vin liquoreux, naturellement doux : le vin de paille.
Le saviez-vous ?
En 1936, Arbois est la première AOC de vin reconnue en France, aux côtés de Cassis, Châteauneuf-du-Pape, Monbazillac, Tavel et Cognac. Château-Chalon est reconnue dans la foulée la même année.

Juracines : un club de vignerons bios défenseurs de l’AOC
Dans l’esprit collectif si caractéristique du Jura, quatorze vignerons en bio ou biodynamie se sont associés en 2022 pour sceller la création de Juracines Club. Du nord au sud, les adhérents de cette association couvrent tout le vignoble du Jura, avec des tailles de domaine variables (allant de 5,3 hectares pour le plus petit (Le Clos des Grives), à 27 hectares pour le plus grand (Désiré-Petit). “L’idée est de garder l’esprit de club, nous sommes aujourd’hui quatorze avec la volonté de ne pas être plus de vingt. Il y a beaucoup de partage entre nous, d’entraide, d’échanges sur la manière de travailler la vigne, de prêt de matériel et notre association, via des salons, permet de faire découvrir nos vins et notre terroir”, explique Benoit Badoz, président de l’association et à la tête d’un domaine familial remontant à dix générations. “On a une identité. Il est important de revendiquer l’appellation et conserver le cahier des charges. Il y a une logique de production qui fixe des règles qu’il faut garder”, complète Oscar Vurpillot, responsable d’exploitation au Clos des Grives. Si les adhérents revendiquent des vignes 100 % en AOC, dans le respect du travail des anciens, ils partagent tous une même vision pour une viticulture respectueuse de l’environnement. “J’ai toujours eu une sensibilité pour ça, les vins bios m’ont toujours donné plus d’émotions. Le vignoble jurassien est un petit vignoble difficile à travailler mais c’est ce qui le rend attachant”, partage Damien Petit. Après un premier salon à Lyon en octobre dernier, Juracines Club sera présent en février 2026 au salon Wine Paris.
• À noter, 30 % des vignes sont cultivées en bio dans le Jura contre 20 % pour la moyenne nationale.

Le collectif… dans l’ADN jurassien
On connaît bien sûr les fruitières de comté, qui mutualisent le lait récolté dans les exploitations alentour, mais on utilise également le terme de fruitières pour les coopératives de vin. Depuis 2015, une fruitière de gestion forestière existe même dans le Jura !

Percée du vin jaune
Cet événement tournant qui, depuis 1996, a lieu chaque premier week-end de février dans une ville ou un village jurassien différent, se tiendra à Lons-le-Saunier les 31 janvier et 1er février 2026. Il réunit dans une ambiance festive près de 50 000 personnes durant deux jours, autour de la “mise en perce” du vin jaune, ambassadeur historique du vignoble. “Cet événement célèbre l’épicurisme, le geste qui prend du temps et la patience du vin. Le vin jaune est un vin qu’il faut savoir attendre”, souligne Thierry Bonnot. C’est Bernard Badoz, le père de Benoit Badoz, actuellement président de Juracines Club, qui est à l’origine de la création de la Percée du Vin jaune, avec Jean-Louis Lemarchal, le directeur du Progrès, et quelques vignerons jurassiens passionnés.
Rencontre
Domaine Laura Bourdy : une femme dans un univers masculin

À Arlay, Laura Bourdy, issue d’une longue lignée familiale de vignerons, (quinze générations depuis 1579 !), fait le choix, en 2018, à 30 ans, après ses propres expériences professionnelles, de revenir travailler dans le domaine familial. “Je suis, depuis 1900, la quatrième femme à être impliquée sur le domaine mais la première à l’avoir acheté et à le diriger toute seule”, explique-t-elle. Se formant auprès de son père, dont elle loue le don de transmission, aussi bien technique que de valeur humaine, elle reprend également des études œnologiques à Dijon. “Cela m’a permis d’acquérir des compétences techniques et prendre confiance en moi tout en mettant en pratique ce que j’apprenais.” Le domaine passé en bio et biodynamie par son père et son oncle en 2006 est, depuis le XVIe siècle, toujours au même endroit. “La bâtisse historique avec ses vieilles caves fait l’authenticité du domaine.”
“Si mon père et mon oncle se sont concentrés sur les vignes, je développe l’aspect œnotourisme avec un projet de gîte et j’ai apporté un côté féminin à l’organisation et au confort du lieu”, précise-t-elle. Femme au milieu d’un environnement masculin, elle avoue n’avoir jamais subi de misogynie. “Quand on parle le même langage, on impose le respect. J’ai été tutorée par une vigneronne, qui m’a décomplexée et donné les moyens d’y arriver. Elle m’a présentée dans la filière, où j’ai, petit à petit, fait ma place et dans laquelle je suis très impliquée.”
Parmi les principaux défis à venir, Laura Bourdy identifie le changement de mode de consommation du vin, en recul, et qui implique de se démarquer et trouver le bon discours mais aussi le changement climatique. “Enfant, je me rappelle que les vendanges commençaient en octobre, cette année, elles ont débuté en août”, se remémore-t-elle. Autre gros défi : le gel qui menace les récoltes avec l’éclosion de bourgeons plut tôt. “Mais la biodynamie m’apprend beaucoup et je ne désespère pas que nous trouvions des solutions… La vitiforesterie en est une pour ma part”, conclut-elle.
Comment, au cours du temps, le vignoble jurassien s’est-il façonné ?

Le regard de Marc Benoît, docteur en sciences agronomiques et auteur du récent ouvrage Paysages de campagne - Aux racines des terroirs
Le vignoble jurassien possède trois atouts incroyables. Tout d’abord, sa place dans l’histoire de la viticulture française. Si nous remontons au temps des Romains, il est exceptionnel d’avoir un colonisateur qui rende hommage à la qualité de nos vins avant même de nous avoir colonisés. Les Séquanes étaient de très anciens et bons viticulteurs, incroyablement liés à leur milieu naturel. Pline le Jeune écrit un paragraphe dithyrambique sur les vins englobant aussi bien la Côte-d’Or (Bourgogne) que le Revermont (la côte jurassienne).
D’autre part, le vignoble jurassien, tout en coteaux, est positionné dans une facette paysagère extrêmement visible. À l’automne, les vignes dans le Revermont, bien mises en valeur, éclatent dans le paysage, comme une côte dorée. Savoir que l’on est vu impose une rigueur, une attention au travail. Cultiver un produit de valeur conduit à la création de paysages différents, plus jardinés.
Enfin, l’arrivée des AOC dans les années trente a sauvé les petits vignobles en permettant d’augmenter les prix. Le paysage est cité explicitement dans le texte de l’AOC et insiste sur les murgers, ces cabanes en pierres sèches, nées du dépierrement des parcelles.
Les AOC reconnaissent les produits du terroir : elles lient les caractéristiques du territoire à un produit et un contrôle des pratiques. L’AOC Château-Chalon est par exemple très rigoureuse.
En 1936, les vins du Jura, avec Arbois suivi de Château-Chalon, bénéficient des premières reconnaissances. Ce petit vignoble a fait sa réputation et les vignerons jurassiens ont directement œuvré à la création des AOC. La culture du collectif, très ancienne avec les fruitières de fromage ou les coopératives de fabrication d’engrenage, est une signature du Jura.
Quelques rendez-vous autour du vin en région
• Du 23 au 26 janvier 2026 : marché aux vins, à Ampuis, rendez-vous autour des vins des Côtes du Rhône septentrionales
• Les 24 et 25 janvier 2026 : Saint-Vincent Tournante, mise à l’honneur cette année de l’AOC Maranges
• Du 31 janvier au 1er février 2026 : Salon Intervin, à Vienne, 70 exposants représentant toutes les appellations
• Chaque mois : À table avec l’histoire, dîner d’exception dans un château viticole du Beaujolais
• Du 31 janvier au 1er février 2026 : Percée du vin jaune, à Lons-le-Saunier
• Mars 2026 : Juracines Club, salon pour les professionnels du vin, à Arlay
• Mars 2026 : Le Nez dans le Vert, salon pour les professionnels du vin, avec une journée ouverte au public
