Le monument de la famille Rancy rend hommage aux arts équestres et du cirque © Nadège Druzkowski

Printemps des cimetières : tombes illustres et méconnues du cimetière de la Guillotière

Bien plus méconnu que le cimetière de Loyasse, celui de la Guillotière dévoile pourtant une grande richesse architecturale, de nombreuses sépultures d’industriels lyonnais mais aussi des figures issues de la classe populaire qui ont marqué l’histoire de la ville. À l’occasion du Printemps des cimetières, en ce mois de mai, arpentons ses allées à la découverte de monuments emblématiques !


Louis et Auguste Lumière

Le monument funéraire des familles Winckler-Lumière

Le tombeau réunit plusieurs membres illustres des deux grandes dynasties lyonnaises, notamment Alphonse Winckler, directeur et fondateur de la brasserie Winckler ainsi qu’Antoine Lumière et ses deux fils, Louis et Auguste, co-inventeurs en 1895 du cinématographe.

© Nadège Druzkowski

Le monument présente de nombreux symboles funéraires : urnes voilées, flambeaux inversés, couronnes, l’alpha et l’oméga… Au sommet, il est coiffé d’une urne en bronze d’où jaillit une flamme, promesse d’une vie nouvelle, qui fait contrepoint aux symboles mortuaires.

© Musée Gadagne

La famille de brasseurs Rinck

À l’entrée du cimetière se trouve un autre tombeau célébrant une famille de brasseurs : les Rinck. Guillaume Rinck, originaire d’une famille de brasseurs de Rottenbach, en Allemagne, arrive à Lyon en 1851, à 21 ans.

© Nadège Druzkowski

Il fonde en 1859 la brasserie des Chemins de Fer à Perrache, à deux pas de la célèbre brasserie Georges, établie en 1836. À sa mort, en 1889, sa femme Marie Rinck et ses enfants prennent le relais et, succès aidant, absorbent la brasserie Georges, en 1939, qui, elle, existe toujours.

© Musée Gadagne

La superbe tombe Art nouveau de la famille Garilland-Bastet

© Nadège Druzkowski

Dans une ville peu encline à l’Art nouveau, la superbe de cette tombe est d’autant plus insolite. Elle abrite le philanthrope Adolphe Garilland, fabricant de chaises, qui fit fortune grâce à son usine de Péage-de-Roussillon et sa famille. La stèle tout comme les lignes souples des ferronneries sont typiques de l’Art nouveau. Le décor a été créé par l’atelier du tapissier décorateur Bastet en 1901.


L’énergie du guérisseur Alphonse Bouvier

© Nadège Druzkowski

Largement méconnu du grand public, son nom sera familier aux adeptes du spiritisme. Frottez le moulage en bronze de sa main… il se dit que son énergie de guérisseur se transmet à qui la touche… !

Alphonse Bouvier (1851-1919) découvre ses dons de magnétiseur alors qu’il assiste aux expériences d’hypnotisme du docteur Charcot à̀ l’hôpital de la Salpé̂triè̀re. À Lyon, il installe son cabinet de soins par magnétisme et reçoit jusqu’à 600 patients par semaine. Intéressé par l’occultisme, il est lié au mouvement spirite.

© Musée Gadagne

La tombe du syndicaliste et résistant Vivier-Merle

Son nom vous est immanquablement familier… c’est, depuis 1945, celui d’un des plus grands boulevards de Lyon. Pourtant, bien peu connaissent la vie de Marius Vivier-Merle. Il est à l’origine de la reconstitution à Lyon d’une union confédérée de la CGTU (Confédération générale du travail unitaire) dont il devient le secrétaire général en 1922.

© Nadège Druzkowski

En 1936, il est à la tête de l’Union départementale CGT, puis parmi les principaux organisateurs des grèves. Compagnon de route des grands leaders comme Léon Jouhaux et Benoît Frachon, il jouit d’une stature nationale. Après la défaite, alors que les Allemands entrent dans Lyon le 19 juin 1940, pendant dix-neuf jours, Vivier-Merle fait partie, avec le préfet Bollaert et le cardinal Gerlier, des six otages désignés pour garantir la sécurité des troupes de l’occupant.

Avec l’avènement du régime de Vichy, il entre en dissidence. Membre du comité de direction du mouvement Libération, il fait également partie du bureau clandestin de la CGT dissoute.

Il décède le 26 mai 1944 dans le bombardement allié [voir plus loin] alors qu’il doit rencontrer Alban Vistel, un chef de la Résistance avec qui il entend planifier la grève générale insurrectionnelle.

Le cartouche de sa tombe, décoré d’une main portant une torche brandie à travers des barreaux de prison. C'est le symbole d’une liberté qu’on ne peut enfermer.


Le saviez-vous ? Jacques Martin, l’animateur de “L’École des fans”, est sûrement l’occupant le plus célèbre du Nouveau cimetière de la Guillotière. Quinze ans après sa mort, sa tombe est toujours l’une des plus fleuries. 


Théodore Rancy, roi du cirque au XIXe siècle

Bordant l’allée centrale, un superbe monument, ponctué de têtes de chevaux autour d’une composition en hémicycle, avec en son centre une cravache et une épée. Il rend hommage aux arts équestres et du cirque dont Jean-Baptiste Théodore Rancy (1818-1892) fut l’une des figures les plus illustres.

© Nadège Druzkowski

Ancien écuyer de Nicolas Ier à Saint-Pétersbourg, il fonde une famille d’artistes équestres émérites et, en 1856, un cirque à son nom.

En 1863, 116 personnes et une cavalerie de 75 chevaux composent sa troupe. Ses spectacles de qualité le font sillonner l’Hexagone, d’Amiens à Bordeaux en passant par Saint-Étienne.

Entre la France et la Belgique, il fait construire près de 200 cirques en bois. En 1868, honneur suprême, il est invité par Ismaïl Pacha, vice-roi d’Égypte, pour participer avec sa troupe à l’ouverture officielle du canal de Suez.

En 1882, il bâtit un cirque fixe (démoli en 1941), avenue de Saxe à Lyon, mais également dans plusieurs autres villes comme Le Havre, Boulogne-sur-Mer ou encore Amiens.

Le cirque d’Amiens, édifié en 1889 avec la complicité du romancier Jules Verne, maire-adjoint de la ville, existe toujours !

À sa mort, en 1892, sa femme et ses enfants perpétuent la tradition, puis ses petits-enfants avec des fortunes diverses, jusqu’à la faillite du cirque en 1946.


Deux femmes au destin hors du commun sont également enterrées au cimetière de la Guillotière

• Clotilde Bizolon (1871-1940), la maman des poilus, qui, suite au décès de son fils au front pendant la Première Guerre mondiale, œuvra à offrir repas chauds et mots de réconfort aux soldats.

• Élisabeth Boselli (1914-2005), première femme pilote de chasse de l’armée de l’air.


La tombe Art déco du co-fondateur de Pétrole Hahn

Une tombe Art déco en marbre noir, très sobre, abrite une autre figure souvent méconnue des Lyonnais, François Vibert (1848-1912), co-fondateur d’une marque pourtant bien célèbre : Pétrole Hahn.

© Nadège Druzkowski

L’histoire commence en 1885 lorsque Charles Hahn, pharmacien genevois, invente une lotion capillaire : le “pétrole pour les cheveux”.

Il met au point une composition, faite de pétrole – dont les vertus médicinales sont connues depuis l’Antiquité – et d’huiles essentielles, destinée à “fortifier le cuir chevelu et rendre les cheveux souples, soyeux et abondants”.

La lotion connaît le succès et arrive quelques années plus tard jusqu’à la droguerie lyonnaise de l’herboriste François Vibert. En 1893, ce dernier signe avec Hahn un contrat stipulant qu’il doit vendre 6 000 flacons de lotion avant de connaître la “formule secrète” et pouvoir la fabriquer lui-même.

Une fructueuse stratégie commerciale et publicitaire lui permet d’honorer son contrat en moins de deux ans.

Les Établissements Vibert vont alors produire la lotion qui, grâce à une publicité à l’avant-garde, est rapidement vendue dans le monde entier.

La malédiction de Lourmarin

Son fils adoptif, Robert Laurent-Vibert, prend la relève en 1918. Il rachète le château de Lourmarin, dans le Luberon en 1920. Sa mort tragique en voiture en 1925, près de Givors, a donné naissance à la malédiction de Lourmarin.

Albert Camus, lui aussi lié à Lourmarin, est décédé en 1960 dans des circonstances similaires. La légende raconte que les gitans, chassés du château par Laurent-Vibert lors de son rachat, auraient jeté un sort ; un maudissement longtemps alimenté par d’étranges graffitis retrouvés gravés sur les murs de la forteresse.

Le château de Lourmarin dans le Luberon © Château de Lourmarin

Entre 1925 et 1960, treize personnes en lien avec le château seraient décédées d’accidents… La demeure de Lourmarin est aujourd’hui un pôle culturel important selon les volontés de Robert Laurent-Vibert.


Grand banditisme

© Nadège Druzkowski

La petite maison du gardien à l’entrée du cimetière abrita durant de nombreux mois Jules Bonnot qui, à l’aube de la Première Guerre mondiale, défraya la chronique par ses braquages sanglants et spectaculaires…

Jules Bonnot

Il était le premier, à l’époque, à utiliser la voiture lors de ses crimes. Il a été l’amant de Judith Thollon, la femme du gardien.

À l’entrée du cimetière se trouve également la tombe de la famille Marin-Laflèche. La disparition d’Yves Marin-Laflèche, lié au grand banditisme lyonnais, reste à ce jour toujours non résolue.


Les stigmates du bombardement allié du 26 mai 1944

De nombreuses tombes portent encore les traces du bombardement américain du 26 mai 1944.

À partir de mars 1944, dans le cadre du Transportation Plan destiné à préparer le débarquement en Normandie, les Alliés attaquent les points névralgiques et voies de communication.

Le 26 mai, plus de 1 500 bombes explosives sont lâchées sur la ville, visant les gares de Perrache et de Vaise. Les Américains privilégient un bombardement de jour à haute altitude (entre 5 000 et 6 000 mètres) afin d’éviter la DCA (Défense contre l’Aviation).

Peu précis, il entraîne des dommages collatéraux colossaux : plus de 700 morts, 1 000 blessés et 20 000 sinistrés. Le cimetière de la Guillotière est fortement touché, tout comme l’avenue Berthelot.


Retrouvez la carte interactive sur : www.printempsdescimetieres.org

Remerciements à Eddie Gilles-Di Pierno, président du CIL du quartier des États-Unis, et un des initiateurs du Printemps des cimetières, pour sa visite commentée.

Créé en 2016 par la commission Patrimoine funéraire de Patrimoine Aurhalpin, le Printemps des cimetières propose, le temps d’un week-end, des animations ou visites guidées.

D’abord initié en Auvergne-Rhône-Alpes, l’événement a pris une ampleur nationale.

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