© Simon Gosselin

Notre critique : "Illusions perdues" au Théâtre Croix-Rousse, un magnifique condensé de Balzac à six voix

Six comédiens sur un plateau nu s’emparant d’une vingtaine de rôles pour livrer la substance du roman-fleuve de Balzac. C’est le pari osé de cette adaptation proposée par Pauline Bayle au théâtre Croix-Rousse. 

"Est-ce qu’ils seront sages ?". Une spectatrice ne cache pas son inquiétude devant les enseignants du collège Jean-Monnet qui accompagnent de jeunes élèves au théâtre Croix-Rousse pour 2h30 de spectacle.

Une crainte de turbulences probablement liée au synopsis de cette adaptation : une petite poignée de comédiens pour interpréter d’innombrables personnages, aucun décor et des costumes réduits à leur plus simple expression. Soit peu de moyens pour restituer le roman le plus dense de Balzac. De quoi rebuter - sur le papier - un public non averti…

Le tableau précis et détaillé d’une époque

Rappelons-le, Illusions perdues est le récit du destin contrarié d’un jeune poète provincial, Lucien de Rubempré, qui se rend à Paris en quête de gloire. Balzac y brosse, comme à son habitude, le tableau précis et détaillé de son époque – la Restauration au début du XIXe siècle - dans un réalisme quasi documentaire, témoignant des mœurs de la France post-napoléonienne.

Dans ce roman, œuvre-phare de La Comédie Humaine, l’auteur tire à boulets rouges sur ses contemporains, en dénonçant les ravages moraux provoqués par le capitalisme naissant du XIXe siècle dans le milieu artistique, gangrené par l’appât du gain mais aussi par le désir irrépressible de notoriété. On y croise des écrivains ratés et des critiques tout-puissants, des éditeurs cupides, des actrices courtisées, des journalistes versatiles et des patrons de presse corrompus…

Distribution dégenrée

De cette matière, à la fois prolifique et virulente, Pauline Bayle parvient à nous en livrer un condensé d’une grande puissance et d’une incroyable modernité. En s’appuyant sur un texte intelligemment remanié, les six comédiens réussissent à donner corps aux nombreux personnages pourtant complexes de cette épopée balzacienne. Grâce à une impressionnante fluidité de jeu, ils se transforment à l’aide de maigres accessoires. En un battement de cils, ils réussissent ainsi à incarner chaque rôle avec une limpidité désarmante.

D’autant plus que le choix d’une distribution dégenrée, pouvait donner un peu plus de fils à retordre aux spectateurs. En attribuant le rôle du principal personnage masculin de ce monument de la littérature française à une comédienne, Pauline Bayle prend une position claire et n’élude ainsi pas l’épineux sujet de l’inégalité des sexes.

Mais en s’emparant ainsi du roman de Balzac, la metteure en scène défend avant tout l’idée d’un théâtre intensément littéraire, où la possibilité est donnée aux comédiens de passer d’un rôle à l’autre, grâce à la magie du verbe.

Théâtre du corps

Sous une apparente simplicité, c’est aussi un théâtre du corps qui se déploie sous nos yeux, replaçant les comédiens au centre d’un mouvement permanent. Avec des incursions au milieu du public, lequel est aussi placé en partie sur la scène pour être au plus proche du jeu.

Cette éloge du minimalisme questionne la forme même du théâtre, tant il semble possible de se passer de tout apport scénique superflu. A t-on réellement besoin d’artifices lorsque les mots et les gestes sont aussi puissants ?

En tout cas, la pièce a séduit nos jeunes collégiens, déjouant ainsi tous les pronostics… "C’’était génial !" a t-on pu même entendre parmi eux à l’issue du spectacle. Preuve que le théâtre peut toujours puiser dans ce qu’il a de plus essentiel pour convaincre et nous apporter un plaisir incommensurable.


Illusions perdues, de Pauline Bayle, jusqu’au 26 novembre au Théâtre Croix-Rousse. Coproduction théâtre des Célestins.


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