Patrick Watson

Patrick Watson en concert : trouver sa voix

Québécois touché par la grâce depuis plus de 20 ans mais n’ayant connu une notoriété intergalactique que tout récemment, Patrick Watson revient en tournée avec un album dont il doit l’essence à la pire tuile que puisse vivre un chanteur : la perte (heureusement temporaire) de sa voix. Retour sur le parcours pas vraiment élémentaire de ce très cher Watson.

Il y a des artistes comme ça qui ne déambulent que sur des paradoxes en s’en bricolant une dialectique et puis on verra bien ce qui arrive. C’est le cas de Patrick Watson, Québécois né en Californie, au nom ne résonnant même pas de l’accent français de La Belle Province. Pensez : vingt ans, et même plus maintenant, que Patrick Watson produit des albums impeccables, entre pop raffinée aux mélodies soyeuses et expérimentations grandiloquentes, qu’il jouit d’une réputation sans tache dans les fameux milieux autorisés, mais sans connaître le début d’un véritable succès populaire.

Du moins jusqu’à un titre en français baptisé Je te laisserai des mots. Et encore, non, car lorsque la chanson sort, écrite expressément pour la BO du film Mères et Filles (2009), mettant en scène notamment Catherine Deneuve, pas grand monde ne la remarque. C’est une ritournelle assez délicate, relativement dénuée de paroles (elle doit accompagner une scène dialoguée), sur laquelle s’ébattent un piano, un quatuor à cordes et les vocalises légèrement éraillées de Watson. Dix ans plus tard, l’épidémie de Covid-19 fait tout basculer, plusieurs clips amateurs mettant en scène des moments de vie qu’accompagne ce petit air mélancolique. Le désœuvrement covidien fait le reste et le titre le tour du monde, devenant, fin 2024, la chanson québécoise la plus streamée de tous les temps et la première chanson francophone à atteindre le milliard d’écoutes.

D’un coup, Patrick Watson et sa musique aérienne pas vraiment calibrée pour le tout-venant des hit-parades dépassent tout le monde, les Gims, les Stromae, les Indila, tous soigneusement scotchés aux playlists d’à peu près tous les adolescents du monde frenchy et même au-delà. Et tous à peine (centaines de) millionnaires. En quelque sorte, Patrick Watson devient, par procuration de cette chanson miracle et de son succès épiphanique, le plus connu des chanteurs pas très connus. La belle jambe que voilà ? Pas à l’heure où la toute-puissance se mesure en nombre de clics.

Cirque du Soleil

C’est en 2003 que l’on commence à parler du Canadien, avec l’album Just Another Ordinary Day (2003) dont le titre, c’est le moins qu’on puisse dire, ne transpire guère l’ambition et la vantardise. On découvre d’abord une voix, céleste, dont on ne sait si elle est fragile ou puissante, alors que l’intéressé ne voulait pas chanter – et puis un jour il entend Björk et change d’avis. Bien vite, Watson est classé dans une catégorie alors en vogue où ne gravitent que des virtuoses, aux côtés de Sufjan Stevens, Chris Garneau, Andrew Bird, tous popeux rentrés mais génies évidents à l’attaque d’une musique exigeante, pourtant toujours évidente.

Lui, Watson, en plus d’être adepte de la composition au piano, flirte peut-être aussi quelque peu avec une forme de post-rock, particulièrement en vogue au Canada, les atmosphères glacées de la pop islandaise, les belles vocalises cabaretières d’un Rufus Wainwright voire les envolées séraphiques d’un Jeff Buckley feutré. Autant de références incontournables mais largement ignorées d’à peu près tout le monde. Un temps son groupe est parrainé par le Cirque du Soleil qui entend le produire mais finalement non.

À partir de là, Patrick Watson ne cessera de zigzaguer dans une sorte d’équivalent musical du serpent musical européen : un couloir dans lequel se mouvoir avec plus ou moins de liberté, souple dans un cadre rigide. Le deuxième disque, Close to Paradise, pour lequel il s’est entouré d’un véritable groupe, pourrait, lui, candidater à la bande originale d’une bizarrerie cinématographique à la Tim Burton. Il contient notamment l’une des chansons phares de Watson, The Great Escape, où sa voix fragile à la Nick Drake, cette fois, fendrait le cœur d’un pasteur rigoriste.

Jardin intérieur

Plus expérimental, plus proche à la fois des musiques classique, moderne et contemporaine, Wooden Arms (2009) témoigne des influences de Debussy, Ravel, Satie et Arvo Pärt. Comme le précédent, le disque est acclamé par la critique même si, ou sans doute parce que, ce genre d’album est peu susceptible de vous ouvrir d’autres portes que celles du succès d’estime. Mais celle d’une belle tournée oui, qui passe notamment par la Chine et le festival branché South by Southwest, au Texas.

Ladite tournée provoque une sorte de recentrage, comme un repli de Watson et de son groupe, qui travaillent à un disque plus intimiste, centré donc sur l’essentiel, la mélodie et la simplicité (ce qui n’empêche pas, on ne se refait pas, quelques arrangements luxuriants), une sorte d’album à domicile, qui sera baptisé très justement Adventures in Your Own Backyard (qu’on pourrait traduire à la fois par “Aventures en ton jardin” et “Aventures en ton for intérieur”). En dépit de sa simplicité toute relative, le disque est peut-être l’un des plus immédiatement enthousiasmants, l’un des plus pop de Watson. À l’image d’ailleurs de la tournée qui suit, reposant essentiellement sur l’alchimie interne du groupe et la recherche d’une connexion plus directe avec le public.

Toujours attaché au pas de côté, sans jamais perdre son chemin, Patrick Watson oblique une nouvelle fois avec Love Songs for Robots (2015), largement inspiré par la science-fiction, à commencer par Philip K. Dick et le Blade Runner qu’en tira Ridley Scott. Pour la première fois, Watson injecte quelques éléments d’électronique dans son art, ce qui déroute certains observateurs ne sachant sur quel pied danser et qui lui reprochent de trop en faire ou carrément une avalanche de bonnes idées.

Deuil, amours, Covid

L’effet n’est pas tout à fait le même avec Wave (2019) qui revient à l’intime puisqu’il est inspiré des deuils que Watson a eu à subir dans les années précédentes – à commencer par le décès de sa mère et une rupture douloureuse – et qu’il se confine à une atmosphère quasi amniotique. L’album questionne également son statut présumé, et renié, de rock star qui n’aspire qu’à la normalité et s’efforce de s’y conformer. En conséquence, Wave n’éclabousse guère de joie mais des titres comme le final Here Comes the River irriguent quand même de belles réjouissances.

En 2021-2022, en pleine vague Je te laisserai des mots, Patrick Watson tire tous azimuts et publie une reprise de Que reste-t-il de nos amours ? de Charles Trenet, initiée par sa vision de la pandémie de Covid et du confinement, un EP très électronique inspiré par un voyage au Portugal, et Better in the Shade, un court album qui accentue l’esthétique électronique, inspiré lui aussi par la pandémie et des œuvres littéraires de Samanta Schweblin et Virginia Woolf.

Dans l’intervalle, quand il n’écrit pas purement et simplement des BO, comme pour Alexandre Aja ou des titres spécifiques (Je te laisserai des mots mais aussi Noisy Sunday et Turn Into the Noise pour la série culte The Walking Dead), une quantité assez invraisemblable de ses chansons sont utilisées dans des séries (Beverly Hills : Nouvelle Génération, Orange Is the New Black, Friday Night Lights, Grey’s Anatomy, Ray Donovan…), mais aussi pour des publicités (des titres comme The Great Escape ou Lighthouse venant illustrer des campagnes pour…Tropicana ou Ikea), ce qui ne fait jamais de mal aux droits d’auteur.

J’ai perdu ma voix

Ultime paradoxe, en 2023, Patrick Watson perd sa voix suite à une hémorragie des cordes vocales. Le chanteur a trop poussé pendant un concert et ne sait alors pas s’il pourra rechanter un jour. Il devient le chanteur qui ne voulait pas chanter et d’un coup ne chante plus. Un drame, marqué du sceau de l’ironie : imaginez Kylian Mbappé perdre un pied… Ici, il faut préciser que le titre de l’album est inspiré de l’expression marquant ironiquement la surprise face à une tuile vous dégringolant sur la figure. La vie n’est qu’une suite de “uh oh”, dit-il. Mais il ne renonce pas pour autant à publier un nouvel album. Watson est alors dans une phase de sa carrière où il multiplie les collaborations, ce qui l’amène assez naturellement au concept de Uh Oh, littéralement enregistré aux quatre coins de l’Amérique du Nord (Montréal, La Nouvelle Orléans, Los Angeles, Mexico) et à Paris : un album collaboratif avec une pléiade de chanteuses en vue, majoritairement québécoises mais pas que : November Ultra, Charlotte Cardin, Martha Wainwright, Klô Pelgag, La Force, Solann… Finalement, le chanteur retrouvera sa voix et chantera avec ces demoiselles. En ouverture de l’album, sur Silencio, il chante, d’un timbre voilé : “J’ai perdu ma voix / Parce que j’ai parlé trop fort (…) et dans ce silence, eh bien, je fais de mon mieux.”

La mue, à tous les sens du terme, de Patrick Watson, peut-être au départ un peu timide mais sans cesse intensifiée, est ici comme achevée. Peut-être aussi parce qu’elle croise paradoxalement les aspirations à l’altitude et aux envolées des premiers albums. Surtout, s’affiche sur Uh Oh comme une somme des inspirations, influences, expériences, préoccupations qui ont traversé le chanteur au cours de sa vie/carrière. Comme si la perspective du silence définitif avait conduit le Québécois à boucler une boucle.

Kevin Muscat

Patrick Watson –Le 5 novembre au Transbordeur

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