De la Ve République à l’“esprit lyonnais”, Philippe Dujardin décrypte dans son nouvel essai l’histoire et les singularités politiques de Lyon.
Philippe Dujardin est politologue. Il a enseigné à l’Institut d’études politiques de Lyon, avant d’intégrer le Centre national de la recherche scientifique puis de devenir le conseiller scientifique de la direction de la prospective du Grand Lyon.
Dans son dernier ouvrage, Lyon. L’Esprit des lieux. Douze Vues (La Rumeur libre, 2025), Philippe Dujardin explique que l’une des singularités lyonnaises se trouve dans l’idée de la libre entreprise et du marché “couplée” à la régulation de la chose publique au profit du plus grand nombre. Le fameux “compromis” lyonnais.
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Philippe Dujardin : Pas du tout. Je crois que la qualité d’une argumentation ne se mesure pas à son volume sonore. Ce n’est pas une question de tempérament ou de circonstance, cela tient à la nature du métier de chercheur. Les sciences sociales s’exercent souvent en solitaire, dans le silence des bibliothèques. Si je devais, en outre, penser le temps propre de la recherche et prendre une comparaison sportive, je dirais que le temps du chercheur est celui du marathonien : il doit tenir la longueur, et l’on n’a jamais vu un marathonien s’égosiller pendant sa course.
La société, qu’elle soit civile ou politique, s’égosille justement beaucoup en ce moment. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, vous met en colère ?
Précisément l’hystérisation de la vie publique. Si la colère a toujours existé, ce qui peut paraître nouveau, ce sont les conditions de gestion de la colère, du rapport à la colère. Or, le grand art politique – l’art des arts pour les Grecs – consiste précisément à éviter une hystérisation telle qu’elle conduise à sa limite, la pire, qui n’est pas la guerre, mais la guerre civile. L’art politique, rappelait l’anthropologue Jean-Pierre Vernant, ancien chef de maquis durant la Seconde Guerre mondiale, spécialiste de la Grèce antique, était supposé reposer sur trois savoir-faire : l’art du médecin, l’art du cavalier et l’art du marin. L’art du médecin, c’est savoir diagnostiquer et réparer. L’art du cavalier, c’est savoir tenir la monture. L’art du marin, c’est savoir naviguer par tous les temps, même par défaut de vent. Autant dire qu’une telle combinaison est, sinon impossible, du moins excessivement rare. Mais c’est peut-être à cette condition que l’on touche au statut véritable de la politique : un art de l’impossible.
“Aujourd’hui, l’effet sondagier permanent corrompt la fonction du politique”
Cette impuissance politique à laquelle on assiste est-elle une nouveauté dans l’histoire politique française ?
La France n’est pas malade du politique, mais des institutions de la Ve République. La Ve République est un montage constitutionnel ni pleinement présidentiel ni pleinement parlementaire. Le dispositif a été pensé et voulu par un militaire qui avait l’expérience de deux guerres mondiales ! Il en avait, à bon droit, tiré une conception stratégique de l’État et des relations internationales. Ce dispositif a permis à la France de sortir de l’ornière de la décolonisation, de confirmer sa modernisation économique et de faire entendre une voix singulière sur la scène internationale. C’est là le génie gaullien. Mais ce système hybride, fait à la main d’un personnage hors du commun, apparaît, aujourd’hui, deux fois vicié. D’une part, le principe binaire de l’élection présidentielle ne répond pas véritablement à la configuration idéologique du pays. En sus, l’obnubilation présidentielle induit la concurrence destructrice de coteries, à l’intérieur de chaque parti : adieu la visée stratégique programmatique ! D’autre part, dans son moment parlementaire, le fonctionnement de la Constitution est tout aussi néfaste : contrairement à ce qu’assure le texte de la Constitution, le Premier ministre ne gouverne pas. En réalité, il est aux ordres du président de la République ; il n’est que son lieutenant et, pire, il est devenu une simple variable d’ajustement du cours du mandat présidentiel. Il ne gouverne pas et n’a d’espoir de vie politique que très limité. Des deux côtés – formule présidentielle et formule parlementaire –, on a, à présent, tout faux.

@Pierre-Antoine Pluquet
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