Le théâtre des Célestins vient de boucler une saison qui a obtenu un taux de fréquentation “historique”, de 93 % ! L’équipe, chapeautée par Pierre-Yves Lenoir, a récemment présenté sa nouvelle affiche, pour la saison 2025-2026. Elle est alléchante ! Nous avons interrogé le patron des lieux sur ce bel engouement que connaît le théâtre sang et or. Ainsi que sur les grandes tendances théâtrales des mois à venir. Aux Célestins et ailleurs.
Lyon Capitale : Dans votre nouvelle plaquette de saison, vous reprenez cette phrase du dramaturge Jean-Luc Lagarce : “Nous devons rester hésitants et résister ainsi, dans l’hésitation, aux discours violents ou aimables des péremptoires professionnels, des logiques économistes, les conseilleurs-payeurs, utilitaires immédiats, les habiles et les malins, nos consensuels seigneurs.”
Pierre-Yves Lenoir : Oui, je crois que c’est le rôle de la démocratie que de donner la parole aux artistes. Et de les accompagner, y compris dans la contestation. Ils nous aident à ouvrir les yeux dans un monde où tout nous invite à les fermer. C’est un peu ce que dit la troupe de Baro d’evel que nous programmons en cette fin de saison. Ils nous invitent à ne pas rester les yeux rivés sur nos écrans, sur nos flux d’actualité, affolants et terribles, où s’affiche le monde tel qu’il ne va pas. Ils nous incitent à nous tourner plutôt vers ce qui nous donne une force de combat.
Lors de la présentation de saison à la presse, vous avez parlé d’un taux de fréquentation “historique” pour la saison qui vient de s’écouler…
Oui, mais je tiens à remettre ce chiffre, qui est évidemment un motif de grande satisfaction, dans un contexte global. Il y a aujourd’hui, dans tous les lieux de culture, une fréquentation importante. J’ai l’impression que le public répond encore plus présent dans la mesure où il prend conscience de la fragilité et de la fragilisation de l’art. Au théâtre, les grands récits nous permettent d’échapper à la grisaille du monde. Et c’est une manière, pour le public, de montrer son attachement, sa solidarité avec le monde de la culture. Et pour ce qui concerne Les Célestins, je le vois comme une marque de confiance. D’autant plus que l’on ne touche pas qu’un public d’habitués. Les spectateurs sont venus en nombre aussi bien pour des propositions engagées, comme les spectacles de Maguy Marin, ou plus ouvertes comme Les Fausses Confidences de Marivaux, mis en scène par Alain Françon.
Il y a aussi un renouvellement du public…
Je préfère en effet parler de renouvellement plutôt que de rajeunissement. Je ne crois pas que le public fidèle des Célestins doive être remplacé par un public plus jeune. Ce qui m’importe, et je pense que c’est la même chose pour les autres directeurs de théâtre, c’est qu’il y ait un public dont on forme le regard le plus tôt possible. Pour qu’il devienne demain un public régulier, fidèle de nos théâtres. Il faut qu’il y ait un public, le plus large possible, qui s’autorise à aller vers un théâtre d’art. C’est pour ça que l’on a des actions de formation, de dialogue avec les artistes mais aussi une politique de tarification qui permet ce mouvement-là.
Dans votre prochaine saison, il y aura un peu plus de classiques, Andromaque, La Mouette, par exemple…
Les artistes, après des prises de parole très frontales sur des sujets sociétaux, géopolitiques, éprouvent sans doute le besoin de revenir aux classiques, pour les réinterroger. Dans notre teaser de saison, on parle de “rejouer les classiques”. Il s’agit bien de les remettre en jeu sur un plateau. C’est aussi une façon d’aborder les grandes questions humaines, philosophiques, métaphysiques. Et puis c’est un rythme, il y a plus de classiques cette saison, il y en aura peut-être moins la saison suivante…
La place des artistes associés aux Célestins reste centrale…
C’est un accompagnement que j’oserais qualifier de symbiotique. C’est d’autant plus important que les compagnies accompagnées, comme le Munstrum Théâtre, Valérie Lesort, Tatiana Frolova, sont maintenant identifiées, appréciées de tous. Cela peut même leur permettre des pas de côté, comme Valérie Lesort qui mettra en scène Hanokh Levin, qui sort de son registre habituel.
Comment vous situez-vous par rapport à cette volonté d’inclusivité que l’on retrouve dans la programmation de différents théâtres et lieux culturels ?
L’inclusivité fait pour moi évidemment partie de notre mission de service public, de théâtre de la Ville. Bien sûr que l’on a à cœur de s’adresser à ceux qui sont en souffrance. Mais pas que…
Au début des années 2000, et auparavant, on avait l’impression que les différents théâtres étaient en concurrence, aujourd’hui on voit bien que ce n’est pas le cas…
Je crois que l’on a tous intégré la vertu et la nécessité de travailler ensemble, d’être complémentaires. On a besoin de mutualiser nos forces, c’est dans l’intérêt des artistes et du public. Quand un spectacle est repris d’un théâtre à l’autre ou qu’il bénéficie d’une coproduction, il est vu par plus de spectateurs. Il a une durée de vie plus longue. L’objectif premier de la création théâtrale, c’est qu’elle soit vue par le plus grand nombre. De surcroît, la discussion se fait très naturellement entre les différents directeurs de théâtre.
Nous avons commencé cet entretien avec une citation de Jean-Luc Lagarce, nous pourrions l’achever avec cette phrase de Jean-Louis Barrault : “Le théâtre est le premier sérum que l’homme ait inventé pour se protéger de la maladie de l’Angoisse.”
L’angoisse première de l’homme, c’est la mort. Et le théâtre a une fonction cathartique, tout comme la littérature. Je suis toujours agréablement surpris de voir combien les spectateurs ne craignent pas de se confronter à des textes, comme celui de Virginia Woolf que l’on a récemment programmé, évoquant le caractère tragique et absurde de l’existence.
Les Célestins Théâtre de Lyon – Les abonnements et places à l’unité pour la saison 2025-2026 sont accessibles au guichet au 4, rue Charles-Dullin, Lyon 2e et en ligne : billeterie.theatredescélestins.com
Bravo pour cet état d'esprit constructif ! 🙂