Mohamed Amin Ben Kraiem, représentant des étudiants en médecine de Lyon-Est, est l'invité de 6 minutes chrono, l'émission d’actualité de Lyon Capitale.
Mohamed Amin Ben Kraiem, représentant des étudiants en médecine de Lyon-Est, est l’invité de 6 minutes chrono, l’émission d’actualité de Lyon Capitale.

Déserts médicaux : "Ce n’est pas un problème de répartition, mais de nombre de médecins"

Mohamed Amin Ben Kraiem, représentant des étudiants en médecine à Lyon-Est, est l’invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.

Alors qu’une proposition de loi transpartisane visant à réguler l’installation des médecins en France vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale et doit désormais être étudiée au Sénat, Mohamed Amin Ben Kraiem, représentant des étudiants en médecine de Lyon-Est, exprime son opposition. Invité de 6 minutes chrono, il critique fermement un texte qu’il juge "délétère" pour les patients et "fondé sur un mauvais postulat".

"Ce n’est pas un problème de répartition, c’est un problème de nombre"

La proposition de loi en question vise à mieux répartir les médecins sur le territoire en limitant leur installation dans certaines zones dites "surdotées", pour favoriser celles souffrant d’une faible densité médicale. Un objectif de rééquilibrage que Mohamed Amin Ben Kraiem juge erroné.

"Cette proposition de loi ne servira à rien. Elle part du principe qu'on aurait suffisamment de médecins en France, ce qui est faux. Le vrai problème, c’est qu’on n’en a pas assez, partout", affirme-t-il. Selon lui, ce n’est pas tant la répartition que le manque de professionnels de santé qui alimente les déserts médicaux, aujourd’hui présents sur "87 % du territoire".

Le représentant étudiant s’inquiète aussi des effets concrets d’une telle mesure : "Si elle est adoptée, on empêchera l’installation de médecins dans 5000 communes. Je ne suis pas sûr qu’il y ait 5000 maires en France prêts à se priver de médecins." Il alerte également sur le risque de fragiliser des territoires déjà à l’équilibre instable : "Ces fameuses zones 'surdotées', ça n’existe pas. Ce sont des zones normalement dotées qui tiennent tant bien que mal, mais qui seront en difficulté si on bloque l’arrivée de nouveaux médecins."

Un "contrat moral" déjà rempli par les futurs médecins

Face à ceux qui plaident pour une régulation de l’installation des médecins en échange du financement de leurs études par l’État, Mohamed Amine Ben Kraiem oppose la réalité du terrain : "Notre premier contrat moral, il est envers les patients. Mais nous remplissons aussi celui envers l’État : trois ans d’externat et quatre à six ans d’internat à travailler pour l’hôpital public avec des salaires inférieurs au SMIC. On donne déjà entre six et neuf ans de notre vie à l’hôpital."

Il rejette également les comparaisons avec d'autres professions de santé dont l'installation est régulée, comme les pharmaciens ou les infirmiers : "Ce n’est pas comparable, ils n’ont pas la même place dans le système de santé. D'autres pays européens ont tenté de réguler l’installation des médecins, ça ne fonctionne pas."

Des solutions de long terme… déjà sur la table depuis 20 ans

Interrogé sur les alternatives à cette proposition de loi, Mohamed Amine Ben Kraiem insiste : la profession n’est pas restée les bras croisés. "Cela fait 20 ans qu’on propose des solutions", rappelle-t-il.

Parmi elles, des mesures à court terme pour libérer du temps médical : collaboration accrue entre soignants, embauche de secrétaires médicaux, réforme de la prévention et meilleure éducation des patients. À moyen terme, il plaide pour rendre certains territoires plus attractifs aux yeux des étudiants. À long terme enfin, il évoque la nécessité de diversifier les profils : "Il faut favoriser l’universitarisation des territoires, permettre à des jeunes qui en sont issus de faire des études de médecine. C’est ça, la clé d’un recrutement local efficace."

Alors que le Sénat doit se pencher sur ce texte, la profession étudiante entend bien continuer de se faire entendre. Pour Mohamed Amine Ben Kraiem, l’urgence est ailleurs : "Le problème ne se résoudra pas d’un coup de baguette magique. Il faut du temps, des moyens, et une réforme structurelle de notre système de santé."

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Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler de médecine et d'une proposition de loi transpartisane qui est actuellement étudiée au Sénat, après avoir été votée à l'Assemblée nationale. Elle vise à lutter contre les déserts médicaux — aujourd’hui, cela concerne environ 87 % du territoire. Cette proposition de loi cherche à orienter l’installation des médecins vers des zones où l’offre de soins est jugée insuffisante. Pour en parler, nous recevons Mohamed Amin Ben Kraiem, représentant des étudiants en médecine de Lyon-Est. Bonjour, merci d'être venu sur notre plateau. On va entrer dans le vif du sujet sans autre forme de transition. Pourquoi, selon vous, est-ce une mauvaise proposition de loi, voire contre-productive ?

C'est une mauvaise proposition de loi parce qu'elle ne servira à rien. Déjà, elle part du mauvais postulat : celui selon lequel on aurait assez de médecins sur le territoire et qu’ils choisiraient de s’installer uniquement dans certaines zones, en délaissant d’autres. C’est faux. Il n’y a tout simplement pas assez de médecins partout sur le territoire. Ce n’est pas un problème de répartition, c’est un problème de nombre. On le voit avec tous les chiffres que l’Assurance maladie peut fournir. La médecine générale est la spécialité la mieux répartie sur le territoire. Le fait est qu’on n’a pas assez de médecins, et c’est pour cela qu’aujourd’hui 87 % du territoire est un désert médical. Cette proposition de loi part donc du mauvais postulat et veut jouer sur la répartition. Le problème, c’est que cela va être délétère pour les patients. Si cette proposition est adoptée, il y aura 5000 communes dans lesquelles on empêchera les médecins de s’installer. Je ne suis pas sûr qu’en France, il y ait 5000 maires prêts à se priver de médecins.

Vous voulez dire que dans ces communes où l’on empêchera les nouvelles installations — qui sont peut-être déjà à la limite du désert médical — on risque de voir apparaître des effets négatifs avec cette nouvelle répartition ?

Exactement. Ce sont ces fameux 13 % du territoire que l’on considère comme des zones « surdotées ». Mais en réalité, cela n’existe pas aujourd’hui. Je vous rassure, ce sont des zones normalement dotées, qui ont ce qu’il faut pour tenir aujourd’hui, mais qui risquent d’être en difficulté si on empêche de nouveaux médecins de s’y installer.

Mais ce n’est pas un peu un privilège que les médecins auraient, finalement ? On sait que les pharmaciens ne peuvent pas s’installer où ils veulent, il y a une carte. C’est pareil pour les infirmiers, et même pour d’autres professions de santé. Est-ce que les médecins ne défendent pas là une exception, un peu à contre-courant de l’histoire ?

Ce n’est pas un privilège propre aux médecins. Déjà, ce n’est pas comparable avec les autres professions de santé, parce qu’elles n’ont pas la même place dans le système de santé. On le voit très bien pour les pharmaciens, pour les infirmiers, etc. Cela ne marche pas. D’autres pays en Europe ont essayé de réguler l’installation des médecins : ça ne fonctionne pas. Le plus grand danger, ce n’est pas pour nous, pour notre petit confort de médecin. Le plus grand danger, c’est pour les patients. On va venir dérégler un système de santé déjà malade, et ce sont les patients qui risquent d’en payer les pots cassés.

Et ce n’est pas déjà un peu le cas ? Je sais qu’en moyenne, c’est 11 jours d’attente en France pour obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste. Vous pensez que ce sera pire si on réoriente les installations vers d’autres zones ?

En fait, cette proposition est démagogique. Les parlementaires font croire aux Français qu’avec cela, ils vont régler le problème. C’est faux. Aujourd’hui, il faut être honnête avec les Françaises et les Français, et leur dire clairement qu’on a un problème de nombre de médecins. On est en train d’en former plus, mais ils n’arriveront qu’à partir de 2035. Donc le problème va commencer à se résoudre entre 2030 et 2035. Mais d’ici là, on a cinq à dix années compliquées à traverser, et ce n’est pas une baguette magique qui changera cela. Il va falloir des efforts collectifs, une collaboration, et une réforme du système de santé.

Avec une proposition de loi qui changerait tout, cela ne suffira pas. J’ai un dernier argument, souvent évoqué par la population : il y aurait une sorte de contrat moral entre l’État et la profession. L’État finance vos études, finance les consultations via la Sécurité sociale, donc il devrait pouvoir réguler la profession comme il l’entend. Comment réagissez-vous à cela ?

Déjà, en tant que médecin, notre premier contrat moral, il est envers les patients, plus qu’envers l’État. Notre objectif, c’est la santé de la population. Ensuite, bien sûr, il y a un contrat moral avec l’État. Mais ce contrat, on le respecte déjà. Pendant l’externat, on travaille trois ans pour l’hôpital public. Pendant l’internat, on y travaille encore entre quatre et six ans, avec un salaire inférieur au SMIC. On passera sur la rémunération, mais on donne déjà entre six et neuf ans à l’hôpital public durant nos études, où l’on travaille pour lui. Donc notre part du contrat envers l’État, on l’honore déjà.

Très bien. Une dernière question sur les propositions. L’État propose, un peu en contre-feu, que les médecins aillent deux jours dans les zones les plus tendues. Mais au-delà de cela, que propose la profession pour résoudre ce problème — non pas de répartition, mais de déserts médicaux — qui touche une grande partie du territoire français ?

Cela fait 20 ans qu’on propose des solutions. Ce n’est pas nouveau. Depuis 20 ans, on a vu arriver le problème, et on propose des solutions fondées sur des politiques à court, moyen et long terme. À court terme : libérer du temps médical via la collaboration entre les professionnels de santé, embaucher des secrétaires médicaux, réformer la prévention en santé. Il faut que les patients aient une meilleure éducation à la santé, pour savoir quand ils doivent consulter un médecin, et quand ce n’est pas nécessaire. Il faut une population plus éduquée, capable de se prendre en charge. À moyen terme : améliorer l’attractivité de certains territoires pour les étudiants en médecine, permettre des stages dans ces zones. À long terme : augmenter le nombre de médecins formés et diversifier leur origine géographique. Est-ce qu’ils viennent tous des grandes villes ? Ou est-ce qu’on favorise ce qu’on appelle l’universitarisation des territoires, en incitant les jeunes issus des territoires à faire des études de médecine ?

Un recrutement local, pour qu’ils connaissent déjà leur territoire et y retournent. Merci beaucoup, c’est le mot de la fin. On est déjà au bout des six minutes chrono. Merci d’être venu sur notre plateau. Quant à vous, merci d’avoir suivi cette émission. Plus de détails sur l’actualité et cette proposition de loi sur le site lyoncapitale.fr. À très bientôt, merci à tous.

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