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©MAXPPP – Violences à paris, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites

“Black bloc” à Lyon : dans l'esprit d’un “casseur”

Les “Black blocs”, ces manifestants, tout de noir vêtus tournent en boucle sur les chaînes d’information en continu. Qui sont-ils ? Pourquoi utiliser la violence, la casse ? Lyon Capitale a rencontré un de ces manifestants.

Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, on a vu réapparaître, en marge des manifestations, les “Black blocs”. Le bloc est un style de protestation. Il se place en tête de cortège, entre le service de sécurité des syndicats et le cordon formé par les forces de l’ordre. Tous habillés de noir, ses membres brandissent des banderoles anti-capitalistes, anti-police ou contre l’État.

Historiquement, le bloc

Ce mode de protestation est né dans les années 80, en Allemagne. Des individus s’étaient spontanément rassemblés pour défendre des squats visés par la police allemande. Pourtant, c’est bien plus tard que le “Black bloc” a été médiatisé. On a commencé à pointer ce mode d’action du doigt en 1991 puis en 1999 lors des manifestations contre la guerre du Golfe aux États-Unis.

En grande majorité, le “Black bloc” est constitué de jeunes : des étudiants, des lycéens ou encore des jeunes travailleurs. Pourtant, quelques personnes plus âgées peuvent se trouver là. Souvent, les membres du bloc sont plutôt marqués à l’extrême-gauche. Ces individus profitent des manifestations déclarées pour s’attaquer à des “symboles du capitalisme” (banques, assurances, agences d’intérim, etc…), mais aussi pour provoquer des affrontements avec les forces de l’ordre. Le bloc n’a pas d’organisation propre, il se compose spontanément d’individus ou de groupes plus ou moins organisés. Il ne répond à aucun chef, aucune hiérarchie, par principe.

Valentin, Black bloc lyonnais : “Société, tu m’auras pas”

Valentin (le prénom a été modifié) rejoint le Black bloc depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Ce jeune de 22 ans a suivi des études à Science Po Paris durant deux ans avant de se réorienter en droit à l’université de Lyon 3. Entre-temps, il a effectué des petits boulots de manutention dans le BTP ou le commerce. Il a pris part à toutes les manifestations déclarées par l’intersyndicale, mais s’est toujours placé en tête de cortège, vêtu de noir, masqué. Il a aussi participé à un grand nombre de manifestations sauvages le soir.

"J'ai marché sur bien des routes"* 

Lyon Capitale : Pourquoi avoir choisi de manifester de cette manière ?

Valentin : Le Bloc a plusieurs utilités selon moi. D’abord, on donne une certaine visibilité à la manifestation déclarée. Ce qu’on voit dans les médias, lors des manifestations ou le lendemain, c’est “les exactions”, la casse ou les affrontements avec la police, pas la CFDT qui danse et fait des karaokés. Ensuite, on provoque la police. On cherche à montrer de quoi ils sont capables. L’instrument de l’État qu’est le CRS est capable de tirer, de presser la détente en direction du peuple. Au-delà de ça, le bloc c’est une ambiance. Certains viennent pour casser, d’autres pour dissimuler les actions et certains viennent pacifiquement, ils dansent, ils chantent. Aussi, le bloc est très féminin, c’est pas du tout un mode d’action masculiniste et viriliste comme on peut l’entendre. Ce qui m’a marqué, c’est l’esprit de camaraderie qui règne. Les gens se serrent les coudes, s’aident.

Black bloc à Lyon (Photo Martin Gaboriau)

LC : Tout le monde peut rejoindre le mouvement ? Si un groupe d’extrême-droite compte vous rejoindre, comment sera-t-il accueilli ?

Valentin : Tout le monde est invité à venir avec nous. C’est d’ailleurs l’un de nos chants : “ne nous regardez pas, rejoignez-nous.” Tout ce qu’il faut, c’est s’habiller en noir, mettre une cagoule et être solidaire avec les autres. Que tu sois mineur, que tu sois une femme, issu d’une minorité, tu seras toujours le bienvenu. Concernant l’extrême-droite, je ne pense pas qu’elle puisse nous rejoindre. Pour moi, l'extrême-droite elle est en face, c’est la police. (dit-il avec malice, Ndlr). Plus sérieusement, même s’ils le souhaitaient, je pense que des personnes qui ont ces idées-là n’ont pas leur place à nos côtés. Leurs causes ne sont pas les nôtres, ils se feraient dégager du bloc assez rapidement.

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"J’ai vu ce que tu faisais du peuple qui vit pour toi"*

Tags durant une manifestation contre la réforme des retraites (Image : Julien Barletta)

LC : Les affrontements sont souvent violents avec les forces de l’ordre. Y a-t-il une haine du policier ?

Valentin : Je n’ai pas particulièrement de haine à l’encontre des policiers en tant que tels. Peut-être que certains dans le bloc ne pensent pas de la même manière. Ce qui me dérange, c’est la manière dont ils se présentent à nous. Ce ne sont plus des humains qui sont là, c’est l’instrument de l’État, son bras armé. Avec leurs grosses armures, leurs casques, leurs boucliers et leurs armes, on a simplement l’impression qu’ils sont là pour obéir aux ordres, sans réflexion. Si on leur dit de taper, ils tapent.

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LC : S’il n’y avait pas de dégradations et de violences de votre côté, probablement que les forces de l’ordre n'interviendraient pas. N’est-ce pas la violence légitime de l’État ?

Valentin : Je n’aime pas cette qualification de légitimité. Je préfère dire que cette violence est légale. Le terme de légitimité vient de Max Weber qui était un sociologue allemand. Lui, parle de force légitime et non de violence. Et si on voit plus loin, est-ce légitime de tirer sur des humains pour des dégâts matériels ? La dégradation, en soit, c’est assez superficiel, les enseignes se protègent comme elles le peuvent et les assurances paient par la suite. Si demain je perds un œil ou que je suis blessé, c’est terminé. Nous, on provoque la police pour montrer de quoi elle est capable. Pour montrer le chaos qu’elle est capable de semer dans les rues en toute impunité.

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"Demain, prends garde à ta peau"*

LC : On a vu apparaître un nouveau type de manifestation, non déclaré, nocturne. Peut-on s’attendre à des actions différentes encore ?

Valentin : Les nocturnes c’est une manière de maintenir la pression sur le Gouvernement, de montrer qu’on ne veut pas de cette réforme. C’est aussi pour permettre à ceux qui veulent en faire plus ou à ceux qui ne peuvent pas prendre part aux manifestations en journée de montrer leur colère. Au-delà de ça, le but c’est de fatiguer la police, la tenir en haleine jusqu’à 23 heures. Le problème c’est que c’est très fatigant et très dangereux. La police est sur les dents le soir et je les soupçonne d’avoir des ordres différents.

Autrement, il y a les blocages des raffineries, des lycées ou des universités. C’est encore un autre mode d’action auquel on peut prendre part. En revanche, si on voulait aller plus loin il faudrait s’organiser, avoir un leader et ça ce n’est pas possible, ce n’est pas notre identité.

Manifestation nocturne du 22 mars à Lyon. (Photo : Nathan Chaize)

LC : Comment voyez-vous la suite de la mobilisation contre la réforme des retraites ?

Valentin : Selon moi, il y a deux possibilités. Soit les syndicats continuent de se battre, soit le mouvement va petit à petit faiblir et s’éteindre. Je pense que l’intersyndicale est suffisamment remontée pour poursuivre ses actions, maintenant, il faut réussir à motiver les gens à manifester. C’est important de faire comprendre au Gouvernement qu’on ne veut pas de cette loi. Si on réussit à le faire plier sur une réforme aussi structurante, c’est nous qui aurons le dessus pour les années à venir. En revanche, si on plie, il a gagné et tout passera jusqu’à la fin du quinquennat.

Je vois tout de même un bel avenir, grâce à cette réforme, les gens commencent à se réveiller et le climat social est très tendu. À présent, il suffit d’une étincelle pour rallumer les braises. Et cette étincelle sera peut-être la prochaine loi immigration. Qui sait, le grand soir peut arriver, et ce jour-là, je voudrais être présent.

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* Phrases extraites de la chanson "Société tu m'auras pas" écrite par Renaud Séchan en 1975 et parue dans l'album "Amoureux de Paname".

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