Adrien Zedda emballe à sa table végétarienne, hautement épicurienne, de la rue de l’Arbre-Sec (Lyon 1er). Le jeune chef vise une étoile Michelin ? Il a le niveau.
Vegan, carnivore, ichtyophage, phytophage, graminivore, omni-vore… Qu’à cela ne tienne ! À Lyon Capitale – “les esprits libres” (scriptum est) –, aucune intolérance (alimentaire) n’a cours. Toujours est-il que les palabres culinaires tournent d’ordinaire autour de la viande. Et, à Lyon, force est de reconnaître que le gone est plus adouci aux gratons, au saucisson, aux clapotons, aux amourettes et aux rognons qu’aux graines germées et autre tofu snacké. Il n’empêche que, depuis plusieurs années, on me met au défi de coter un restaurant végétarien (parce que je suis comme feu J.P. Géné, le critique gastronomique du Monde, “je ne vais pas chez un boucher, je rends visite à mon boucher”).
Sauf qu’en plus d’être aussi folichon qu’un service détente dans une maison de retraite, il n’y avait rien de bien appétissant à se mettre sous la dent. Jusqu’à cette Culina Hortus (association des mots latins culina, la cuisine, et hortus, le jardin). On pense à l’hortus culinaris, le jardin potager (ou légumier) de Linné 1. Culina Hortus donc, un restaurant végétarien sis rue de l’Arbre-Sec 2. Un nom de rue aussi âpre qu’un kaki, qui ne colle nullement avec cette drôle de table, expression même de la fraîcheur. Le décorum en est la manifestation primaire : du bois et des murs en pisé couleur saumon ton sur ton, contrebalancée par le gris de la pierre apparente et du béton poli ; des plafonds à la française et une grande arche qui balaie la cuisine habillée de verre et de métal.
Monoproduit, relief gustatif

La première impression est toujours la plus forte. Élégance et design. On est à mille lieues d’un militantisme excessif ou d’un sectarisme coupe-faim. C’est d’ailleurs l’idée des promoteurs du concept : attirer une clientèle épicurienne. Avec cette inhabituelle et audacieuse ritournelle que le végétarisme peut être gourmand, exciter le palais et procurer du plaisir. Le jeune chef Adrien Zedda revient à l’essentiel et travaille sur des plats monoproduits agrémentés de plantes ou d’herbes sauvages. Comme le céleri confit et grillé, paré de miel et de soja, de shiso, d’un gel sésame, d’un bouillon de peaux et de jeunes pousses. À 24 ans, le cuisinier entame sa deuxième vie culinaire, après un passage décisif au Wickens at Royal Mail Hotel dans l’État de Victoria (sud-est australien), estampillé de deux hats par le Good Food Guide (équivalent local du Michelin) 2019. Là-bas, la majorité des produits de la cuisine très végétale de Robin Wickens (naguère à la pointe de la gastronomie moléculaire australienne) provenaient du jardin potager du restaurant. Adrien Zedda a apporté des techniques propres aux poissons ou à la viande : cuissons lentes, rôtissage, grillage, etc. Le céleri est cuit entier pendant douze heures, ce qui lui donne un fondant exceptionnel, puis grillé au barbecue, qui rappelle le goût de la viande, après quoi il est laqué au miel et au soja.

La carte des menus est épurée : légumes, herbes, céréales, fruits, laitages et œufs. “Tous les produits ont fait l’objet d’un long et gros sourcing”, explique le service, impeccable et sémillant. Les producteurs, majoritairement en bio, cultivent dans un rayon de cent kilomètres, exception faite de quelques produits comme le quinoa d’Anjou (Jason Abbott, seul producteur français). On pourrait vous parler du “petit épeautre, chou kale, oignons de Roscoff, potimarron et carvi, pecorino” ou du “rotolo de ricotta maison et orties, espuma de petit lait, purée d’ortie, noisette et poivre long”. Ou des magistrales “figues de Solliès rôties, noix, miel, sorbet au fromage blanc géranium”. Mais le mieux reste encore d’aller vous faire une idée. La mienne est déjà faite : Culina Hortus est une formidable émotion et révolution culinaire. Le restaurant, qui se dit ouvertement gastronomique, peut appeler à une nouvelle connaissance (du point de vue étymologique) de l’art de la gueule.
-
Hortus culinaris est le nom d’une dissertation des Amœnitates academicæ dans laquelle le naturaliste Carl von Linné présente un catalogue de toutes les plantes alimentaires que l’on peut cultiver en Suède.
-
La légende dit que la rue porterait ce nom eu égard au mythe, relaté par Marco Polo, de l’arbre sec qui s’élevait dans une immense plaine, aux confins de la Perse, où Darius aurait livré bataille à Alexandre. “Cet arbre est grand et gros ; son écorce est verte d’un côté et, de l’autre, blanche ; il produit des fruits semblables aux châtaignes mais vides en dedans. Son bois est jaune et très dur.” À cette description de Marco Polo, on reconnaît le platane, explique l’éditeur scientifique Maurice Turpaud (in Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIesiècle, 1929).
Culina Hortus – 38 rue de l’Arbre-Sec, Lyon 1er – 04 69 84 71 08
Ouvert du mardi au samedi, midi et soir / Menus à 24 € (midi), 32 € et 52 € (soir)
