Capture d’écran de la page Facebook “Paul Bocuse – Le restaurant gastronomique”
Capture d’écran de la page Facebook “Paul Bocuse – Le restaurant gastronomique”

Mon resto sur Insta : les cuisiniers lyonnais à l’heure des réseaux

Aujourd’hui, la cuisine ne se joue plus uniquement derrière les fourneaux et ne suffit plus à remplir son restaurant. Le cuisinier doit faire parler de lui et travailler son image. Une présence médiatique orchestrée par des pros de la com’. Mais pas seulement.

Et si l’instagramabilité (à quand l’entrée dans le dico ?) était en train de devenir le premier critère pour choisir son restaurant, bien plus que ce qu’on y mange. Il faut bien le reconnaître, on vit une époque sous écran, sous perfusion de pixels. Et la bouffe ne fait pas exception. Bien au contraire. Instagram est aujourd’hui le réseau social numéro un du partage de contenus visuels. “Il y a un certain exhibitionnisme culinaire, admet l’instagrameur culinaire lyonnais GastroGone, alias Guillaume Garcia. Il peut y avoir pas mal de “what’s the fuck !” sur le réseau avec des fake influenceurs, mais globalement Instagram est un passage obligé pour un chef.” La nourriture fait partie des thèmes préférés des 14 millions d’utilisateurs actifs en France (21 % de la population totale). On peut donc considérer qu’un Français sur cinq partage des photos de ce qu’il mange sur les réseaux sociaux. Depuis la création de la plateforme, il y a huit ans, le mot-clé #food a été posté plus de 250 millions de fois. Bienvenue dans l’univers du food porn, les chefs devenant, de fait, des food porn stars*.

Conscientisation des réseaux sociaux

Mais tous les cuisiniers ne sont pas comme Sébastien Bouillet, qui poste lui-même quotidiennement sur son compte Instagram (45 500 abonnés, n° 2 derrière Bocuse à Lyon). C’est là que la com’ a son rôle à jouer. Comme à peu près chaque matin, Alexandra partage sur Instagram la photo qu’elle a prise quelques heures plus tôt chez Daniel & Denise : ce jour-là, deux cent cinquante bocaux de tomates d’été Roma préparées par les chefs du bouchon étoilé lyonnais, avec cette légende : “Le vrai goût des tomates cuites au naturel en bocal”. “La conscientisation des réseaux sociaux, les cuisiniers l’ont”, explique la community manager de l’agence de communication et de relations presse culinaires Camille Carlier. Avec plus de 6 300 abonnés sur son compte Instagram, Daniel & Denise est le sixième restaurant le plus suivi en ville. S’il reste difficile de mesurer l’impact des réseaux sociaux, il n’empêche que c’est l’une des rares tables lyonnaises dont le taux de remplissage avoisine les 90 %. “C’est important d’être sur les réseaux sociaux, ça permet de créer de l’actu et de faire parler de toi”, reconnaît le cuisinier Joseph Viola.

Réhumaniser les “food porn stars”

À l’excitation médiatique de l’ouverture d’un restaurant, succède la plupart du temps une certaine monotonie. Avec la concurrence de plus en plus accrue entre cuisiniers (en 2017, il s’est ouvert 162 restaurants à Lyon, pour 146 fermetures), il faut sans cesse créer de l’actualité. Camille Carlier est la seule agence de presse culinaire lyonnaise – du moins celle qui compte. Il suffit de jeter un œil à ses clients : Sébastien Bouillet, la charcuterie mythique Sibilia, le Bocuse d’Or 2005 Serge Vieira, Le Bistrot du Potager, Les Apothicaires, Food Traboule, les anciens Top Chefs Grégory Cuilleron et Florent Ladeyn ou le double étoilé, cuisinier de l’année Gault & Millau, Jean Sulpice à L’Auberge du Père Bise. Dans un monde 2.0 qui se vit derrière son écran, le traditionnel communiqué de presse ne suffit plus, les déjeuners de journalistes n’ont plus la cote. “Il faut raconter une histoire, mettre des mots sur de l’humain, un savoir-faire et le faire savoir”, explique Camille Carlier. Le coup du livre reste encore rentable à condition que le chef se mette à nu. Il y a aussi, et de plus en plus, des happenings, comme celui du 7 novembre où journalistes lyonnais et influenceurs digitaux se sont retrouvés pour un dîner aux chandelles au beau milieu du chantier des halles du Grand Hôtel-Dieu. Le mieux restant de doubler les médias, en combinant à la fois critiques gastronomiques et journalistes design, comme ça a été le cas au Domo, pensé par l’architecte Jean-Yves Arrivetz, ou chez Têtedoie avec l’hôtel voisin Villa Maïa (Jean-Michel Wilmotte). Comme l’a souligné le philosophe Robert Redeker, “l’identité d’une civilisation, ce n’est plus sa religion, c’est sa cuisine”.

* Anglicisme dont les origines remontent à 1977, lorsque le journaliste américain Alexander Cockburn inventa le mot gastro-porn dans The New York Review of Books pour décrire le stratagème complaisant d’écrivains dont le but est de titiller les sens plutôt que d’offrir des conseils pratiques en matière de cuisine.

LES CHEFS LYONNAIS LES PLUS PRÉSENTS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

(Chiffres arrêtés au 03/04/24)

Top 10 Facebook (en nombre d’abonnés)

1 – Paul Bocuse                 760 000
2 – Christian Têtedoie    34 000
3 – Mère Brazier               20 000
4 – Grégory Cuilleron     14 000
5 – Neuvième Art            8 900
6 – Victoria Hall                8 200
7 – Les Apothicaires     7 000
8 – Takao Takano Restaurant     4 300
9 – Les Terrasses de Lyon       3 300
10 – Le Gourmet de Seze           2 400

Top 5 Instagram (en nombre d’abonnés)

1 – Paul Bocuse                   538 000
2 – Joseph Viola                 66 400
3 – Christian Têtedoie      42 300
4 – Les Apothicaires         21 100
5 – Gaëtan Gentil                5 391

[Article publié dans Lyon Capitale n°784 – Janvier 2019]

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