Dans un mois de septembre souvent un peu chiche, on finit toujours par dénicher une pépite sous un caillou. Et voici, Hayden Pedigo, guitariste aux doigts de fée, œuvrant depuis le Texas sur le front du fingerpicking et dans un style, instrumental, proche de l’American Primitive Music. Avec une personnalité bien à part.
Il y a quelque chose de décalé dans la musique instrumentale de Hayden Pedigo que son visage malicieux de grand enfant apposé sur une technique époustouflante confirme : c’est une musique de western, certes, mais qui vise moins le Grand Canyon que les villes fantômes qui en jonchent le chemin et où le vent balaie mollement les herbes roulantes. Davantage Kelly Reichardt que John Ford, La Dernière Piste que La Charge héroïque. Décalage accentué par la personnalité et le look du bonhomme : toujours flanqué d’un immense Stetson et de frusques colorées rappelant les excès vestimentaires d’un Gram Parsons ou d’un Porter Wagoner, Pedigo est mannequin à ses heures perdues (pour Gucci) et même candidat aux municipales de la ville d’Amarillo (Texas) dont il est originaire (aventure relatée dans un documentaire pas piqué des hannetons, baptisé Kid Candidate), il n’hésite pas à publier sur les réseaux sociaux des tutos hilarants sur la manière de jouer ses morceaux, qui sont bien évidemment injouables.
Une Histoire vraie
Injouables notamment car s’inscrivant dans une tradition instrumentale née avec John Fahey qui donna naissance à l’American Primitive Guitar en alliant le folk, le blues, la musique brésilienne, la musique indienne et le classique pour faire jaillir quelque chose de justement pas du tout primitif qui lui valut des comparaisons avec les maîtres de la musique concrète. Une sorte de révolution qui contenait en son cœur même la querelle des anciens et des modernes, lesquels auraient fini par se prendre dans les bras. Comme Fahey et comme beaucoup d’autres maîtres du fingerpicking (Robbie Basho, Jack Rose, Steve Gunn…), Pedigo dessine, sous ses airs farceurs, une grande fresque pastorale et quasi méditative et pourtant d’une grande luxuriance et pleine de vivacité. Et dont la teneur bute souvent sur des vidéos sans queue ni tête, gavées au chausse-pied d’absurde et d’inquiétante étrangeté (Pedigo pourrait facilement être un personnage de David Lynch, quelque part entre The Cowboy & The Frenchman et un Twin Peaks option cactus, comme il aurait pu écrire la BO d’Une Histoire vraie, film qui met en scène un vieux cow-boy traversant les États-Unis sur une tondeuse à gazon).
Tragédie et absurdité
Plus encore que les deux précédents disques de ce qu’il considère comme une trilogie, I’ll Be Waving as You Drive Away est la quintessence de tout cela. Publié cette année, l’album doit son titre au double épisode, particulièrement tragique, de La Petite Maison dans la prairie où Mary Ingalls perd la vue après avoir contracté la scarlatine. Comme toujours avec l’animal, on ne sait trop s’il faut y voir un hommage premier degré ou une giclée d’ironie cinglante. C’est que Pedigo semble toujours osciller entre le littéral et le pastiche, les ténèbres et la surexposition, la discrétion et le soulignage à grands traits, la gravité et la gaudriole. Il se pourrait en réalité que le guitariste œuvre davantage à mettre en relief (comme le faisait à sa manière la célèbre série d’ailleurs) la tension permanente entre tragédie et absurdité. Les tragédies après tout ne sont-elles pas d’immenses manifestations d’absurde qui tournent mal ? De même, n’ont-elles pas, comme le disait Marx, vocation à se répéter sous forme de farces ? C’est ce que semble avoir compris ce drôle de personnage, sorte de dindon de la tragédie, aussi sincère que positivement désabusé.
Hayden Pedigo – Le 17 septembre au Sonic