David Kimelfeld président de la métropole de Lyon © Tim Douet

Concilier fin du monde et fin du mois : la méthode Kimelfeld à Lyon

Comment concilier "fin du monde" avec la question du réchauffement climatique et "fin du mois", qui s'exprime notamment à travers la mobilisation des Gilets jaunes en France ? Interview avec le président de la métropole de Lyon, David Kimelfeld, qui a choisi d'intégrer les acteurs du social dans les futures discussions autour du climat.

Interview - Plusieurs jours avant la mobilisation des Gilets jaunes alors que l'expression, "fin du monde, fin du mois" n'est pas encore apparue, le président de la métropole David Kimelfeld choisit d'intégrer les acteurs du social dans les futures concertations autour du réchauffement climatique. Social, climat, mobilité, qualité de l'air ou bien encore sécurité : le président de la métropole veut se placer sous le signe de l’apaisement.

Lyon Capitale : Comment concilier fin du monde et fin du mois ?

David Kimelfeld : La formule est séduisante, astucieuse, il ne faut pas opposer climat et être attentif aux plus fragiles, cela serait factice. Les deux ne sont pas contradictoires. De notre côté, il faut que les décisions qu'on peut prendre à l'échelle d'une métropole ne viennent pas aggraver la situation des plus démunis. Il y a quelque chose à inventer, je pense par exemple à l'éco rénovation, au développement du chauffage urbain. C'est en même temps une réponse au changement climatique, mais aussi une réponse à la précarité énergétique.

Quelles actions sont possibles rapidement ?

Sur l'éco rénovation, il est sans doute possible d'améliorer le dispositif. Il est ouvert à tout le monde, il n'y a pas d'effet discriminant. On regarde aussi comment intensifier le chauffage collectif sur la métropole. Le budget logement et énergie est important pour les ménages, tout ce qu'on peut faire est le bienvenu. Nous devons sortir d'une économie circulaire uniquement industrielle ou réservée à un petit nombre d'initiés. Elle doit profiter au plus grand nombre et en particulier aux plus modestes. L'éducation à l'alimentation est aussi une chose importante, on peut se nourrir de manière équilibrée en dépensant moins. Nous pouvons accompagner ceux qui vont dans ce sens, intensifier notre aide, c'est important.

Et en matière de mobilité ?

La mobilité est aussi un axe très fort, intensifier le réseau de transports en commun, c'est une réponse à la précarité. On le voit, le frein à l'emploi, c'est aussi l'absence de transports en commun sur certains secteurs. Je pense qu’on doit aller plus vite, même si je garde un regard très positif sur ce qui a déjà été fait. Par ailleurs, on ne peut pas juste dire : on va punir les gens, mettre des péages, si en face il n'y a pas d'alternatives. On sait que ceux que cela ennuie davantage ce sont les plus fragiles. On doit pouvoir encore mieux relier les quartiers modestes, aller vers la toile. Si vous devez aller travailler à mi- plaine à Chassieu et que vous n'avez pas de voiture, j'ai envie de vous dire : bon courage. Il y a aussi le débat autour du Grand Stade et de la desserte de l'Est, la question du tram au Mas du Taureau que demande Hélène Geoffroy. Désenclaver et offrir des transports en commun aux plus fragiles, aux plus modestes, c'est une réponse écologique et sociale.

Pourquoi avoir choisi d'intégrer les acteurs du social dans les futures discussions autour du climat ?

Cette idée est venue avant les slogans "fin du mois, fin du monde". Dès le début, quand j’ai rencontré les marcheurs du climat, je leur ai dit : « attention à ce qu’on va mettre en place, attention à ne pas dégrader le quotidien des plus modestes ». Je n'avais pas forcément en face de moi des gens qui sont parmi les plus modestes. Lors de ces échanges, nous étions en plein dans le plan de lutte contre la pauvreté, je veux faire du transversal et impliquer les acteurs de cette lutte dans les discussions sur le climat.

À trop se concerter, n'y a-t-il pas un risque d'inaction ?

Dans la nature même de la création de la métropole, on peut faire du transversal, pas juste dans le discours et surtout tout en prenant des décisions. Comme je l'ai dit, il n'y a pas de contradiction entre le combat climatique et le combat social, et les actions ne se feront correctement que grâce à cette concertation, en trouvant un équilibre. On pourra agir en connaissance de cause. Il y a aussi des décisions budgétaires, quand on parle d'éco rénovation, on met 30 millions d'euros. Il y a décision aussi sur les déplacements, on va expérimenter des voies réservées aux covoiturages pour l'A6/A7, mais on se pose la question sur d'autres axes, sous réserve d’être en capacité suffisante pour les parkings relais. Quand sur le déclassement de l'A6/A7, on proposait un parc relais de 150 places, on n'était pas crédibles. Avec la possibilité de 450 places, on commence à être crédible, on peut dire aux gens d'utiliser les transports en commun et de laisser leur voiture. On sent qu'il y a une vraie accélération de la tendance sur ce point.

La qualité de l'air n'est-elle pas la grande oubliée du combat climatique ?

C'est un enjeu majeur. Là-dessus, encore une fois, je n'y vois pas de contradiction, car c'est un enjeu de santé publique, mais aussi un enjeu économique. Les entreprises qui veulent s’installer dans la métropole nous questionnent sur nos actions sur la qualité de l'air. Leurs salariés veulent savoir pour leurs enfants. Lors d'un débat au conseil métropolitain, j'ai rappelé qu'il fallait prôner une croissance décarbonée, pas une décroissance. Continuons d'avoir une croissance avec des industries respectueuses de l'environnement.

La politique est-elle assez souple aujourd'hui pour suivre les changements rapides d'usage de la ville ?

Quand on commence la concertation en 2012 sur le cours d'Herbouville, il y a des pratiques qui n'ont pas encore explosé comme le vélo. Aujourd'hui, on part avec un terre-plein central végétalisé que pourront prendre les vélos. Sur les parkings relais, il faut réadapter la demande qui est en forte croissance, on a sous-estimé la tendance. Quand on intensifie, on répond en même temps au souci climatique, à la qualité de l'air, aux enjeux sociaux. Ce sont des beaux investissements qui permettent aux gens de bouger plus facilement.

La métropole a-t-elle encore la possibilité d'investir ?

Cette métropole a une capacité d’investissement forte. On aura les moyens d’étudier sur la ZFE le possible accompagnement de changement de véhicule pour les artisans. La métropole ne déborde pas d’argent, mais elle a des capacités d’investissement, ça demande des choix, qui seront faits, ça peut être des arbitrages. En 2020, on aura un bilan à produire, à montrer ce qu'on a fait effectivement sur les enjeux climatiques, sur les enjeux sociaux. On n’aura pas à rougir, mais il faudra faire preuve de beaucoup d’humilité.

La méthode Kimelfeld c'est l’apaisement ?

L’apaisement est une chose, ça n’empêche pas des choix. On ferait les travaux du tunnel de la Croix-Rousse aujourd'hui, je pense qu'on aurait une voie réservée au covoiturage. À l'époque, la question ne se posait pas, il n'y avait pas de débat autour. Ça n'aurait pas réglé le problème de l'école Michel Servet, mais avancé un bout de réponse. On est aussi surpris du comptage des vélos dans le tunnel mode doux, on se rend compte qu'il y a un vrai usage pour des trajets domicile / travail. Pour la ZFE (Zone à faibles émissions, interdite à certains types de véhicules professionnels, lire ici), j'en prends la responsabilité et j'ai accéléré le dossier. Les gens veulent une ville apaisée où règne aussi de la sécurité, je n'oublie pas ça. Lors de la dernière « Belle rencontre » dans le 8e arrondissement, j'ai eu une question sur l'éclairage public. J’ai répondu que c'était aussi de la sécurité, tout comme avoir une ville animée. Je préfère que ma fille rentre la nuit en passant par une rue avec des terrasses qu'une rue déserte. Je préfère gérer le désagrément des nuisances sonores que les problèmes de sécurité.

Entendez-vous l'envie de plus participer à la vie politique, qui se matérialise notamment avec le mouvement des Gilets jaunes ?

On n’a pas attendu les Gilets jaunes pour voir que les gens veulent être associés aux décisions. Je l’ai rappelé dernièrement lors d'une visite sur le vieillissement. Les seniors restent des citoyens jusqu'à leur dernier souffle, ils veulent vivre une vie de citoyen. Il faut inventer des modes de concertation pour répondre à cette volonté de participation. Il y a eu des signes avant-coureurs avant les Gilets jaunes, mais pas de cette ampleur. Je constate aussi une fracture des territoires, nous avons un vrai travail à faire. Les métropoles ont un devoir de solidarité territoriale. De l'argent part des métropoles vers les territoires, les dotations existent déjà, mais on pourrait inventer une nouvelle forme de solidarité. Nous avons aussi des ressources humaines : sur la base du volontariat, on pourrait imaginer mettre à disposition certains de nos cadres pour aider les territoires sur des projets. Nous avons des expertises, nous pouvons aider.

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