"Gérard Collomb a une vision des années 70 sur l’immigration"

Dans une interview publiée hier par Le Journal du Dimanche, Gérard Collomb a affiché sa volonté de faire la "distinction entre le droit d’asile et les autres motifs de migration". "Les enquêtes d’opinion montrent une réticence de plus en plus grande", vis-à-vis de l'accueil des migrants, "notre politique doit toujours concilier efficacité et générosité. Nous accueillons tous ceux qui fuient les guerres et les persécutions, mais nous distinguons les réfugiés de ceux dont la migration obéit à d’autres ressorts, notamment économiques". Des propos dans la droite ligne de ceux tenus à Calais en juin dernier. Un discours qui n'a pas étonné Olivier Brachet. L'ancien directeur général de Forum Réfugiés (de 1985 à 2009) est aujourd'hui juge assesseur à la Cour nationale du droit d'asile, où il a été nommé par le Haut Commissariat aux réfugiés. Il a claqué la porte de la métropole de Lyon en 2015, où il était vice-président au logement, à cause du "discours sur la question sociale" de Gérard Collomb.

Article paru dans le mensuel N°768 de Lyon Capitale actuellement disponible en kiosque.

Lyon Capitale : À Calais, Gérard Collomb a affiché une vision très ferme sur la gestion des migrants. Est-ce l'application du "modèle lyonnais" en matière d'immigration ?

Olivier Brachet : Dans une interview à votre journal, j'avais dit que sur l'immigration Collomb et Wauquiez pensaient la même chose. C'est toujours le cas. Ils ont le même raisonnement, qui dit que “plus on en fait pour les réfugiés, plus ils arrivent”. J'ai été sur les listes de Collomb en tant que société civile. J'ai fait crédit à cet homme. Durant son premier mandat, il était ouvert à la discussion. Mais, petit à petit, il a eu une vision agacée de tout ça. Il a fini par avoir une vision de “stock” sur les réfugiés. En gros, il se dit : “Si on a 100 immigrés on les répartit, mais il ne faut pas qu'il y en ait 110." Au final, j'ai démissionné parce que j'ai constaté que son intérêt était seulement opportuniste. Il dit des choses en fonction de ce qui le sert. Aujourd'hui, il pense qu'en tant que ministre ça lui sert d'avoir un discours de fermeté sur la question de l'immigration.

"J'ai jugé l'affaire d'une femme qui a subi quatre viols durant ces quatre ans. Ce n'est pas une douche ou un centre d'accueil en France qui l'a attirée ici"

Au-delà de l'aspect politique et tactique de ce discours, quelle est sa profonde conviction sur le sujet ?

Je ne sais pas. Je pensais que s'il m'avait choisi c'était pour témoigner de l'intérêt qu'il portait au dossier des réfugiés. Mais je n'ai pas beaucoup discuté de ce sujet avec lui, ce qui m'a étonné. Je me suis très vite rendu compte que Gérard Collomb a la particularité de penser qu'il sait tout. Et il le croit vraiment. Je l'ai vu faire des conférences de presse où il s'est mis à parler des Roms ou des demandeurs d'asile sans en parler avec moi avant, malgré mon parcours. En gros, ses adjoints et vice-présidents ne servent à rien. Ces gens lui sont seulement utiles pour faire une majorité. Il travaille plus avec les services que les politiques.

À Calais, Gérard Collomb a déclaré ne pas vouloir ouvrir de nouveau centre d'accueil pour éviter l’"appel d'air". En tant qu'ancien directeur de forum Réfugiés, comment avez-vous réagi ?

Cette année, il va arriver autant de demandes d'asile qu'en 1989. Les arrivées changent en fonction des épisodes de guerre. Les vrais facteurs sont des facteurs extérieurs. Depuis vingt ans, les flux varient entre 20 000 et 70 000 premières demandes d'asile. Donc, ce n'est pas parce qu'on ouvre une douche que tout le monde va venir. Évidemment que si les gens sont à la rue, quand on met un point d'eau tout le monde vient, mais la raison de leur présence dans la rue n'est pas celle-ci. Je juge des affaires dans lesquelles les gens mettent quatre ans pour venir en France. J'ai jugé l'affaire d'une femme qui a subi quatre viols durant ces quatre ans. Ce n'est pas une douche ou un centre d'accueil en France qui l'a attirée ici.

"Ce n'est pas parce qu'on ouvre une douche que tout le monde va venir"

Vous parlez de flux. Gérard Collomb a aussi fait une priorité de couper "les routes de passeurs et les flux d’immigration". Est-ce une politique qui peut être mise en place ?

Contrairement à ce qu'il laisse penser, cet homme n'a pas la vision du monde global dans lequel on est. Gérard Collomb pense que l'avenir est à la mondialisation et l'ouverture, mais dans le même temps il pense l'ouverture sans les flux de gens ? Ça ne tient pas debout. Cet homme doit se rendre compte qu'au XXIe siècle le monde est fragile, qu'il y a beaucoup de guerres, de désespoir. Collomb a une vision des années 1970. Pour lui, quand il y a du travail, on fait appel à l'immigration, quand il n'y en a pas on arrête. Mais aujourd'hui les migrations sont complexes. Au Sud-Soudan, ce qui tue, c'est la famine ou la guerre ? Au nord du Nigeria, c'est Boko Haram ou la famine ? On ne sait pas dire. Il y a plein d'endroits où il y avait un peu d'État et où il n'y en a plus. Or, ce qui est préoccupant, c'est qu'il y a une contagion de ces États en faillite. C'est donc assez simple de se dire qu'il y a un problème qui ne va pas se résoudre demain avec l'ouverture ou non d'un centre d'accueil et d'orientation (CAO).

Gérard Collomb a aussi annoncé un plan pour "traiter le problème de l'asile de manière plus facile qu'aujourd'hui".

Réduire les délais à six mois, c'était la grande idée de Chirac en 2000 pour faire repartir les gens facilement chez eux. Mais, si l'Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides]ne va pas vite, c'est parce que l'on ne lui donne pas les moyens. Si ses moyens augmentent, alors le temps de traitement diminuera, parce que le temps de prise en charge des dossiers va baisser. Il faut aussi dire qu'après une décision les consulats étrangers ont des délais de traitement qui peuvent être lents ; 60 % des mesures d'éloignement du territoire sont mises en échec par le refus des pays de reprendre les personnes. Et gauche et droite s'y sont cassé les dents. Par conséquent, le plan que va servir Gérard Collomb va donner une impression d'action, mais dans cinq ans les problèmes ne seront pas résolus.

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