Jean-Louis Touraine, médecin, ancien député du Rhône, et membre de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).
Jean-Louis Touraine, médecin, ancien député du Rhône, et membre de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).

Aide à mourir : "Les dérives, c’est quand la loi n’est pas là"

Jean-Louis Touraine, ancien député du Rhône, médecin et militant de longue date pour le droit à mourir dans la dignité, est l’invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.

L’ancien député du Rhône, médecin et militant de longue date pour le droit à mourir dans la dignité, réagit à l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale d’un texte historique sur l’aide à mourir. Pour Jean-Louis Touraine, cette avancée, bien qu’encore timide, pourrait mettre fin à l’hypocrisie française en matière de fin de vie.

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"Une très longue gestation"

Jean-Louis Touraine n’a pas caché sa satisfaction après le vote du 27 mai 2025, qui a vu pour la première fois l’Assemblée nationale adopter une proposition de loi instaurant un droit à l’aide à mourir. "J’étais impatient", confie-t-il. "Il faut se rappeler que la première proposition de loi sur le sujet date du sénateur Henri Caillavet, il y a plus de 45 ans." Pour ce médecin engagé, la France a pris un retard important sur ses voisins européens : "Toutes les autres démocraties autour de nous avaient déjà légiféré. En France, on meurt mal, on termine mal ses jours."

Touraine, qui a vu de nombreux patients "terminer leurs jours dans des conditions pitoyables", souligne combien le système actuel reste insuffisant. Il déplore encore l’héritage d’une "toute-puissance médicale" où le malade n’avait pas voix au chapitre. Mais selon lui, les choses évoluent : "Il faut écouter la demande du malade et lui donner ce droit de pouvoir choisir en toute liberté."

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Un texte "trop prudent"

S’il salue le vote de l’Assemblée, Jean-Louis Touraine regrette cependant que le texte ait été, selon lui, "trop prudent". Il pointe notamment les reculs opérés après l’examen en commission des affaires sociales. "Après la commission, il était décidé que c’était le malade qui choisissait sa modalité de fin de vie – soit en s’administrant lui-même le produit, soit en demandant à un médecin de le faire. Cela a été retiré", explique-t-il.

L’ancien député rappelle qu’en Belgique, "95 % des malades choisissent que ce soit un soignant qui administre le produit, notamment pour ne pas culpabiliser leur famille". Selon lui, ne pas offrir cette option dans la loi française actuelle est "dommage" et contraire à l’esprit du texte, qui repose sur la liberté du patient.

Malgré les incertitudes entourant le passage du texte au Sénat, Jean-Louis Touraine garde espoir : "Nos amis sénateurs, réputés plus conservateurs, comprennent dans leur majorité l’importance d’avancer." Et de prévenir : "Les dérives, elles ne sont pas en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Elles sont en France, avec entre 1 000 et 4 000 euthanasies clandestines chaque année." Pour lui, l’encadrement légal est la meilleure garantie contre les abus : "Les dérives n’existent pas avec la loi. Les dérives, c’est quand la loi n’est pas là."

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Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler d'aide à mourir, de suicide assisté, puisque le 27 mai 2025, pour la première fois en France, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi instituant un droit à l'aide à mourir selon certaines conditions. Pour en parler, nous recevons Jean-Louis Touraine, médecin, ancien député du Rhône pendant plus de 15 ans, et membre de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité. Bonjour Jean-Louis Touraine. Merci d'être venu sur notre plateau. On va un peu rentrer dans le vif du sujet. Comment avez-vous réagi à l'annonce du vote de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale ? C'est en première lecture, le texte va passer au Sénat. Comment avez-vous reçu cette annonce ?

Avec une grande satisfaction. J'étais impatient. Il y a quelque temps, j'avais rédigé un livre, avec un chapitre intitulé "Une loi en perpétuelle gestation". Il faut se rappeler que la première proposition de loi sur le sujet date du sénateur Henri Caillavet, qui l'avait proposée il y a maintenant plus de 45 ans. Donc ça a été une très longue gestation. Et puis surtout, toutes les autres démocraties autour de nous avaient déjà légiféré. La France était parmi les dernières à ne pas avoir de loi. L'opinion était donc assez répandue : en France, on meurt mal, on termine mal ses jours. Étant médecin, j'ai vu, pour des pathologies très graves, un certain nombre de malades terminer leurs jours dans des conditions pitoyables. Les choses ne sont pas organisées pour une fin de vie humaine, décente, surtout à l'écoute des malades. Vous savez, jusqu'au début de ce siècle, il y avait une forme de toute-puissance médicale : les soignés étaient sous la coupe des soignants, ils obéissaient, et on leur disait comment prendre tel traitement, sans qu'ils aient le choix.

C'était avant la loi Leonetti, qui permet d'éviter l'acharnement thérapeutique ?

Avant même, déjà la loi Kouchner de 2002, qui permettait aux malades de dire, par exemple après 12 cures de chimiothérapie : "Je ne veux pas la 13e cure, j’en peux plus. De toute façon, pour me donner une semaine de survie pitoyable, je ne la veux pas." Petit à petit, cette idée a été introduite : il faut écouter la demande du malade et lui donner ce droit de choisir en toute liberté. Et tous les choix sont respectables, aussi bien celui qui veut attendre la fin dite naturelle, que celui qui veut une sédation, ou celui qui veut un suicide assisté. Toutes ces modalités doivent être laissées au seul choix du malade, non du médecin, non de la famille, ni d'une autre autorité civile ou religieuse. C’est le malade lui-même qui doit décider ce qu’il peut ou ne peut pas endurer.

Et pour vous, ce texte est assez prudent ? Parce qu’on joue avec un moment important de la vie – donc la mort – mais le législateur doit avoir la main qui tremble, comme on dit souvent. Est-ce qu’il y a eu cette prudence, ces garde-fous, qui vont permettre d’éviter les dérives et de respecter la liberté du malade ?

Vous pourriez même dire qu'il y a eu plus que de la prudence.

C’est vrai, il a été trop prudent pour vous ?

Je pense que oui. Sur toutes ces questions, il y a en France, singulièrement, une certaine frilosité vis-à-vis des avancées. J’ai été rapporteur de la loi sur la bioéthique, et j’ai dû déjà combattre beaucoup de résistances, notamment de la part de ceux que j’appelle les ultratraditionnalistes, qui ont peur de toute avancée.

On a vu que c’était un peu plus complexe tout de même dans le débat public, avec des ministres – certes de droite – mais aussi d'autres centristes. C'était plus complexe que juste des religieux, parfois des groupes...

Bien sûr, vous avez raison. Les religieux… Le journal La Croix a fait un sondage qui montre que plus de 70 % des fidèles catholiques sont favorables à cette évolution. Parmi la hiérarchie, ils sont beaucoup moins nombreux, mais parmi les fidèles… C’est pareil chez les médecins. On disait que les médecins étaient hésitants parce qu’ils avaient été formés à donner la vie et non à accompagner la mort. Il se trouve que, dans le dernier sondage, 74 % des médecins sont favorables. On voit bien que c’est une idée consensuelle. Mais dans notre pays, les décideurs ont tendance à être en retard sur l’évolution des idées de nos concitoyens.

Vous, vous seriez allé plus loin. Il y a cinq conditions actuellement. J’invite tous les spectateurs à aller les consulter directement sur le site de Vie publique. Qu’est-ce que vous auriez changé, par exemple ?

Je serais resté au niveau de ce qui a été voté en Commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, qui était une très bonne loi, et qui se rapprochait un peu de ce qui a été bien testé depuis plus de 20 ans en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, etc., et dont on connaît les limites, les frontières à ne pas dépasser. Cette proposition de la Commission était très bonne. Là, il y a eu un petit recul. Par exemple, je vous donne un exemple : après la Commission, il était décidé que c’était le malade qui choisissait sa modalité de fin de vie – soit en s’administrant lui-même le produit, soit en demandant à un médecin de le faire. Cela a été retiré. Et donc, tous les malades capables de prendre un produit létal devraient le faire eux-mêmes dans ces nouvelles conditions, et seuls ceux qui sont totalement paralysés auront un soutien. C’est dommage à deux titres. D’abord, l’inspiration de cette loi, c’est de donner la liberté aux malades. Donc si on leur donne la liberté, on leur donne aussi celle de choisir la modalité. Or, il se trouve que, quand les gens ont le choix – comme en Belgique –, 95 % d’entre eux choisissent que cela soit administré par un soignant, et non de le faire eux-mêmes, pour dix mille raisons, y compris pour donner une impression que c’est une décision collective, et non seulement individuelle. Ainsi, cela culpabilise beaucoup moins la famille.

D’accord, je comprends. On arrive déjà vers la fin des 6 minutes chrono, c’est toujours trop court. Simplement, en un mot : est-ce que vous avez bon espoir que le texte, lorsqu’il sera présenté au Sénat puis de nouveau à l’Assemblée nationale, passe, qu’il aille jusqu’au bout ? Vous en avez parlé, c’est un texte en gestation. Est-ce que cette fois, ça va passer selon vous ?

Je pense qu’au Sénat, nos amis sénateurs, réputés souvent un peu plus conservateurs, sur ce sujet, comprennent dans leur majorité l’importance d’avancer. Il y avait déjà eu une proposition de loi débattue il y a quelques années au Sénat, et qui avait recueilli beaucoup de voix. Mais c’est incertain. Effectivement incertain. Il peut y avoir encore quelques reculs pour tranquilliser les sénateurs. Mais vous savez, les dérives n’existent pas avec la loi. Les dérives, c’est quand la loi n’est pas là. Les dérives aujourd’hui, elles ne sont pas en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Elles sont en France. En France, on recense entre 1 000 et 4 000 euthanasies clandestines chaque année, dans des conditions mauvaises : pas les bons produits, pas les bonnes personnes, et avec des souffrances parfois terribles. Donc, on sait bien que la meilleure façon de prévenir les dérives c’est d’encadrer les gestes.

Très bien, ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Jean-Louis Touraine d’être venu sur notre plateau. Quant à vous, merci d’avoir suivi cette émission. Plus de détails sur le site lyoncapitale.fr. Je vous dis à très bientôt.

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