Une affiche « Doucet m’a tuer » sur une vitrine vide à Lyon. (©PHOTOPQR/LE PROGRES/Richard MOUILLAUD )

Des vitrines vides en Presqu’Île de Lyon : travaux, Amazon, écolos… A qui la faute ?

En quatre ans, la vacance commerciale en Presqu’île de Lyon a augmenté de près de 80 %. Une hausse exceptionnelle, aux raisons complexes. Au point d’annoncer la mort du centre-ville ?

“Doucet m’a tuer.” Au printemps dernier, dans les rues de Lyon, des affiches faisant référence à l’affaire Omar Raddad ont fleuri sur les vitrines de locaux commerciaux vides. Très relayée mais jamais revendiquée, la campagne d’affichage dénonçait la politique du maire écologiste de Lyon, “fossoyeur des petits commerçants”.

Quelques semaines plus tôt, c’est Grégory Doucet lui-même qui rendait publics les mauvais chiffres de la vacance commerciale à Lyon. Entre 2021 et 2024, le nombre de locaux commerciaux vides en Presqu’île a bondi de 4,2 % à 6,2 %, soit une progression de près de 50 % sur trois années. Un an plus tard, la hausse s’est poursuivie et “la vacance commerciale atteint aujourd’hui 7,5 %”, reconnaît l’adjointe au commerce de Grégory Doucet, Camille Augey.

Un phénomène de rattrapage post-Covid

“C’est toutefois inférieur à la moyenne de la ville, et bien inférieur à la moyenne nationale”, tient-elle à rappeler. Une moyenne nationale qui oscille en effet autour des 11 %, voire 14 % selon les chiffres de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). “Un taux de vacance historiquement haut”, relève Cédric Ducarrouge, directeur agence retail région chez JLL, acteur majeur de l’immobilier commercial. Et de nuancer : “À Lyon, nous ne sommes pas encore au seuil d’alerte.”

Les chiffres donnent un début d’explication. Les grandes métropoles françaises sont toutes, sans exception, touchées par une hausse de la vacance commerciale. À Bordeaux, elle a progressé d’environ 75 % en quelques années, atteignant 10,5 % en 2024. Comparable à Lyon pour sa résilience, le centre-ville de Nantes affiche une vacance de 6,3 % en juin 2025, contre à peine plus de 3 % en 2021. Symbole d’un commerce en pleine mutation, estime Johanna Benedetti, présidente de l’association de commerçants My Presqu’île.

À Lyon comme en France, une partie de cette augmentation est notamment liée à un phénomène naturel de rattrapage, alors que le taux de vacance avait atteint un seuil historiquement bas à la sortie de la crise du Covid-19. Trop bas jugent même certains acteurs lyonnais, empêchant une saine rotation permettant au centre-ville de se renouveler au gré des tendances de consommation. “Les aides, le prêt garanti par l’État et l’absence de capacité à mettre en liquidation des sociétés… On savait que ça ne pouvait que remonter”, explique Mathieu Paredes, directeur du département commerces chez Omnium.

Transformation des habitudes 

Au rang des effets de la pandémie de Covid-19 figure aussi une profonde transformation des habitudes de consommation et de déplacement des consommateurs. “Le secteur de l’habillement s’écroule, pas seulement à Lyon, parce qu’on s’habille aujourd’hui différemment. Le consommateur urbain veut par exemple de la friperie”, analyse Arnaud Gasnier, professeur d’aménagement de l’espace et urbanisme à l’université du Mans. Mais pour permettre à une friperie de s’installer, encore faut-il qu’un local se libère. Or, avec un taux de vacance autour des 4 % en sortie de pandémie, la Presqu’île a accumulé un retard sur les tendances et les envies des consommateurs. “Il n’y avait pas assez de rotation pour que le centre-ville reste attractif”, considère Cédric Ducarrouge.

Favorisant de fait le e-commerce, considéré comme la nouvelle habitude de consommation la plus marquante chez les Français, “de tous âges et sociologies” relève Régis Poly, vice-président aux commerces de la CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne. Selon ses chiffres, “96 % des Français utilisent le e-commerce à un moment dans l’année”, indique-t-il. Pour les commerces en place, notamment les indépendants à la capacité d’investissement limitée, s’adapter aux nouvelles tendances demande une profonde remise en question.

“Il faut réussir à se poser et se dire : ‘Qu’est-ce qui ne fonctionne plus ? Comment je fais pour transformer mon commerce ? Comment capter une clientèle plus jeune ? Comment animer de nouveau mon point de vente ?’”, explique Johanna Benedetti. D’autant que l’inflation a de son côté grevé le pouvoir d’achat de Français aux livrets A toujours plus garnis, que l’instabilité politique nationale et le contexte géopolitique international ont rendu encore plus frileux. Les enseignes discount ont ainsi bénéficié d’un contexte favorable à leur développement, qui s’est traduit notamment par l’installation d’un magasin Normal au cœur de la rue de la République, mais aussi par l’emménagement annoncé d’un Action rue Grenette et d’un Aldi à Cordeliers.

“On se bat contre des foncières qui jouent nos entreprises sur des tableurs Excel”

Facteur plus local mais observé dans d’autres grandes villes françaises, la hausse des loyers a mis plusieurs commerçants emblématiques de la ville sur le carreau ces derniers mois, de Guyot au Café Perl, “dont le loyer a triplé”, indique Thierry Fontaine, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. “L’indice des loyers commerciaux a pris 13 % depuis la crise inflationniste, alors même qu’on a plutôt eu des baisses de chiffres d’affaires en moyenne”, relève Cédric Ducarrouge qui insiste sur l’effet ciseaux dévastateur pour les commerçants.

Mathématiquement, la hausse des loyers favorise la vacance commerciale puisqu’elle augmente de fait la durée de commercialisation en restreignant le nombre de potentiels intéressés. Le maire de Lyon, Grégory Doucet, a récemment annoncé qu’il poursuivrait son plaidoyer afin d’expérimenter un encadrement des baux commerciaux auprès du nouveau Premier ministre et de son futur ministre délégué chargé du commerce.

Beaucoup de professionnels voient les propriétaires leur mettre une pression d’enfer et vouloir augmenter les loyers”, assure Grégory Doucet, soutenu dans ce combat par le président de l’Umih. “On se bat contre les foncières qui jouent nos entreprises sur des tableurs Excel”, assure Thierry Fontaine. Des propos nuancés par Mathieu Paredes qui considère pour sa part que “nos loyers ne sont pas les plus agressifs en France”. Selon le directeur du département commerces d’Omnium, “des villes comme Annecy sont bien plus chères”.

Proximité et télétravail

Les nouvelles habitudes des consommateurs en matière de mobilité ont également frappé de plein fouet le commerce de centre-ville. Les consommateurs cherchent davantage de proximité et télétravaillent, "la mobilité s’est ainsi considérablement réduite au niveau national", remarque Johanna Benedetti de My Presqu’île. “On voit une montée en puissance des bassins de vie autour de Lyon depuis la pandémie”, note de son côté Régis Poly.

À ces tendances globales viennent s’ajouter un contexte local particulier dont l’impact a été particulièrement médiatisé depuis quelques années. La transformation profonde de Lyon initiée par les élus écologistes à la Ville et à la Métropole a en effet des conséquences parfois lourdes sur des commerces déjà fragilisés, aux trésoreries amputées. Ce que Régis Poly appelle “des facteurs locaux aggravants”. “Ces travaux d’aménagement urbain perturbent l’accessibilité, d’autant qu’ils se font sur une temporalité très courte avec un plan peu structuré”, juge le vice-président de la CCI.

Ils sont de surcroît particulièrement marquants puisqu’ils modifient le quotidien de chaque habitant et de chaque commerçant, tant ils écorchent parfois la ville. Mi-septembre encore, une manifestation organisée par le collectif des Défenseurs de Lyon a rassemblé plus d’une centaine de personnes devant la charcuterie Bonnard, qui impute ses difficultés à la Zone à Trafic Limité et à la fermeture de la rue Grenette aux voitures. Le collectif a ainsi déposé un recours et chiffre à plus de trois millions d’euros les pertes des commerçants impliqués. De mauvais chiffres “directement liés à des travaux publics ou à une perte d’accessibilité décidée par les collectivités”, estime-t-il.

Factuellement, les nombreux chantiers et les chamboulements de la voirie opérés par les élus écologistes ont un impact difficilement quantifiable dans les difficultés des commerçants. Il est en revanche indiscutable qu’ils constituent un facteur déstabilisant supplémentaire, et Camille Augey le reconnaît : “Les travaux ont des conséquences, c’est une période qui bouleverse les habitudes et dissuade une partie des clients.

"Il y a un équilibre à trouver"

Les opposants politiques l’ont compris, tout comme une partie des commerçants qui les soutiennent, et répètent à l’envi que “Lyon se ferme”. “La majorité des commerçants ne veut plus entendre ce type de discours. La réalité économique fait qu’aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de dire que Lyon est inaccessible, d’autant que ce n’est pas vrai”, considère Johanna Benedetti, dont l’association a récemment lancé une campagne de communication détournant les travaux ou la zone à trafic limité en zone de talents lyonnais.

Et de rappeler : “Nous alertons sur la situation du commerce depuis un moment, bien avant que le premier coup de pioche ne soit mis.” La Presqu’île reste d’ailleurs dynamique, résiste et les chiffres tendent à le montrer. “En 2025, nous avons eu 164 nouvelles installations en Presqu’île, et 111 nouvelles sont en travaux en ce moment”, se félicite le maire de Lyon, Grégory Doucet. “On sent effectivement que la vacance commerciale continue d’augmenter légèrement, mais on voit aussi qu’il y a un vrai dynamisme sur les installations”, confirme Mathieu Paredes.

La méthode en cause ?

Temporaires par nature, les travaux ont nécessairement précipité la chute de commerces déjà affaiblis par un contexte difficile. “À terme, le fait d’avoir une ville plus piétonne sera bon. Toutefois, la manière d’y arriver n’est pas la bonne. Des commerçants en subissent les conséquences, et laissent place à d’autres qui bénéficieront eux du confort apporté par les aménagements”, lance Mathieu Paredes. Reste désormais à voir quel sera l’effet des projets urbains une fois achevés, ainsi que celui de la zone à trafic limité.

Si on le fait, c’est parce qu’on est persuadé que cela aura un impact positif”, assure Camille Augey. Il est trop tôt pour évaluer l’influence de la ZTL sur la fréquentation de la Presqu’île, les mois de juillet et août n’étant pas représentatifs. Grégory Doucet se félicite, lui, d’une hausse de fréquentation des transports en commun vers la Presqu’île. Chez JLL, en revanche, on évoque un “petit repli” de la fréquentation sur le nord de la rue de la République, avec -13 % au cours des trois derniers mois, et -8 % par rapport à 2020.

Il y a un équilibre à trouver. C’est, selon moi, une erreur de croire que l’on peut complètement effacer l’automobile. Cela dit, toutes les enquêtes auprès des consommateurs montrent qu’ils n’attendent pas des places de parking, mais des espaces publics confortables, renaturés, végétalisés, avec des espaces de jeux pour les enfants”, estime Arnaud Gasnier. “La grande question va être la tendance de fréquentation avec la ZTL”, estime Cédric Ducarrouge. Et d’ajouter : “Quand on transforme un centre-ville en zone piétonne, on augmente la performance des commerces à moyen terme, mais à condition que les moyens d’accès n’aient pas été oblitérés…

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