© Fabio Calderoni

“Souriez quoi qu’il arrive”, un spectacle choc et sans filtre au théâtre des Célestins

Critique. Entre farce et critique sociale, la pièce de Laurent Meininger, Souriez quoi qu’il arrive, adaptation du texte corrosif de l’auteur anglais Nick Gill a été timidement applaudie à l’issue de sa première représentation aux Célestins. Ceci malgré une distribution qui porte avec une immense énergie un texte sans filtre et sans pudeur.

Le pitch a un air de déjà vu. Dans sa version cinématographique, disons policée, on exhumera évidemment l’œuvre de Stanley Kramer Devine qui vient dîner… (1967), où  le thème de l’irruption surprise d’un petit ami noir (l’oscarisé Sidney Poitier en gendre idéal) dans une famille blanche sert surtout  le propos très libéral au sens américain du terme, dans un contexte de fin de ségrégation raciale. Plus récemment, et prenant à contrepied cette vision quelque peu optimiste, on trouve le très déjanté Get Out (2017) de Jordan Peele, où le racisme, tout d'abord masqué par la bienséance des “beaux-parents”, se transforme en folie sanglante.

C’est plus du côté de cette version gore que lorgne la pièce de Laurent Meininger, Souriez quoi qu’il arrive, proposée au théâtre des Célestins jusqu'au 15 novembre, adaptée du texte de l’auteur anglais Nick Gill et dont le titre original Mirror Teeth (Les Dents du Miroir) colle parfaitement avec cette chronique familiale aux relents carnassiers et narcissiques.

Racisme décomplexé et inceste

Elle nous emmène en Grande-Bretagne, à la rencontre de James et Jane Jones, un couple de quinquagénaires, et de leurs deux ados, Jenny et John, qui forment ce qui semble être au premier abord une famille ordinaire. On découvre néanmoins très vite le racisme décomplexé des parents, la “sexualité très active” de leur fille et une tendance frénétique à l’onanisme du garçon.

Tous ces personnages – dont la proximité et confusion phonétique des prénoms qui commencent tous par la même lettre, suggérant une forme de consanguinité – sont taraudés par des pulsions incestueuses mal refoulées. L’arrivée du petit ami d’origine africaine de Jenny, qui refuse par conviction religieuse d’avoir une relation sexuelle avant le mariage, va servir de catalyseur, dans un enchaînement absurde et un dénouement violent.

© Fabio Calderoni

Des dialogues sans filtre et un jeu sans pudeur

Pour jouer cette farce tragi-comique et s’emparer de ce texte cru, les comédiens n’ont pas fait dans la dentelle. Rien est vraiment épargné aux spectateurs, et les thèmes abordés – racisme, désir, inceste, violence - prennent corps à travers un jeu sans retenue. Ici on se met à nu, au sens propre comme au sens figuré, avec une dose immodérée d'effets comiques. Ainsi, dans un décor d’un petit intérieur tristement banal et au mobilier standard, on s’épie, on s’exhibe, on dévoile ses seins, ses fesses, et on se touche comme on assume ouvertement ses préjugés racistes : sans aucun filtre.

Tout ce qui excessif…

Mais ici, ce n’est peut-être pas forcément l’impudeur des corps qui met mal à l’aise le spectateur - on en a vu d’autres au théâtre… Disons-le, si la force du texte de Nick Gill écrit il y a déjà 15 ans était de ne pas s’embarrasser de nuances ni de craindre la caricature, c’est peut-être aussi paradoxalement devenu sa faiblesse ici… 

L’archétype du raciste est ici marchand d’armes et misogyne, sa femme et sa fille toutes deux nymphomanes et décérébrées, son fils obsédé et manipulateur. Leurs outrances et leur vulgarité, qui tentent de choquer les esprits pour mieux dénoncer, sont ici probablement trop excessives pour convaincre tout à fait. 

Et à une époque où la nuance est devenue inaudible et où les propos racistes sont devenus monnaies courantes sur les plateaux de télé, sur les réseaux sociaux, dans les tribunes politiques ou dans la rue, il n’est pas sûr que surenchérir en parodiant cette parole décomplexée à travers des personnages stéréotypés soit le meilleur moyen de susciter un réel sentiment d'indignation.

Les comédiens se démènent pourtant avec une immense énergie et une conviction à toute épreuve. Et malgré un monologue final qui tente de recadrer le propos, le rire (jaune) laisse peu à peu la place à une forme de lassitude dans la salle. Il est difficile de se mettre au diapason de la bêtise humaine en usant d’aussi grosses ficelles, même avec des intentions louables. 

Souriez quoi qu’il arrive, jusqu’au 15 novembre au théâtre des Célestins.

Ce spectacle ne s’adresse pas aux -16 ans

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