Julien Doré 1
© Goledzinowski

Nuits de Fourvière : Julien Doré, artiste & trublion

À cheval entre la grâce et l’autodérision, la sensibilité et la roublardise kitsch, Julien Doré s’est fabriqué depuis son apparition sous les projecteurs un personnage bi-face. Celui d’un artiste véritable dont la hantise serait d’être pris au sérieux en tombant le masque. Mystère à suivre sur la scène des Nuits de Fourvière (si vous avez eu des places, car la soirée affiche complet).

Le mois dernier, un compte rendu de son concert au Zénith dans Le Monde rapportait ce propos de scène de Julien Doré, après l’interprétation de la chanson Coco câline : “À 35 ans, je devrais peut-être arrêter avec ça.” C’est-à-dire qu’il faut entendre le truc, en lire les paroles, ou se contenter de les écouter, elles sont d’une simplicité évangélique. “Je te veux, coco câline / Je te veux, prends-moi / Sur la plage, coco câline / Sur la plage, coco”, dit le refrain du deuxième morceau de son dernier disque, & (prononcer : esperluette). On peut voir le verre (de jus de coco) à moitié vide ou à moitié plein. Des paroles paresseuses, une virgule désinvolte, ou la convocation du Gainsbourg des temps joueurs et des poètes dada. On peut aussi ne pas parvenir à séparer le grain Julien de l’ivraie Doré. “Arrêter avec ça”, donc, c’est sans doute en finir avec cette espèce de funambulisme, ce refus de choisir entre le crooning aguicheur (qui ne s’assume pas) et le second degré décliné jusqu’au 73e, modèle de protection des grands timides qui s’affichent en personnages de pure construction modelés dans le mal-être. Le décalage, Julien Doré le cultive en agriculture intensive depuis La Nouvelle Star qui l’a révélé en ovni interprétatif – qui n’avait pas dû ramasser sa mâchoire lorsqu’il reprit en direct le Lolita d’Alizée ? – venu du rock et des beaux-arts. Une veine tongue-in-cheek, comme on dit aux States, que Doré a creusée – ici un duo avec Yvette Horner, là un clip avec Pamela Anderson, ailleurs des titres comme Habemus Papaye, Avé les doigts ou Chou wasabi – tel un sillon jusque dans ceux de ses disques et qui pourrait tendre à épuiser, à s’épuiser. C’est qu’à force de marcher en décalé le risque est de nous faire passer à côté de l’essence même de l’artiste et de l’homme.

Du chant, Duchamp

Qui est vraiment Julien Doré ? À vrai dire, on l’ignore, parce que lui-même s’ignore et par crainte de passer pour un imposteur s’en fabriquerait le costume pour devancer son démasquage. Dalí, que Doré doit sans doute admirer, avait cette formule : “À force de se prendre pour un génie, on risque de le devenir.” Tout se passe comme si Julien Doré s’échinait à renverser la prophétie en remplaçant le mot génie par imposteur. Or, il n’est pas dit que cela soit une fatalité, il n’est pas dit que Julien Doré soit le faussaire qu’il présente souvent en interview et qu’il dévoilait jusque dans le titre de son premier album : Ersatz. Car le bonhomme a du talent plein les mains et une grande capacité à s’entourer des meilleurs, comme son complice Arman Méliès avec ou sans lequel il a pu composer des mélodies et des arrangements de toute beauté, grandioses ou intimistes. Comme avec les quelques paroliers qu’il peut enrôler à l’occasion pour pallier ses carences, qui nous font dire que chaque fois qu’on le croit venu aux choses sérieuses, que les comparaisons avec Bashung ou Christophe s’en viennent, Julien dégoupille avec une boutade, une blagounette (Coco câline, donc), à dada sur l’urinoir de ce Marcel Duchamp inscrit dans sa chair via tatouage. Reste que, sortant sur scène d’une esperluette géante, il se pourrait que Julien Doré cherche malgré tout à faire ainsi le lien entre le trublion Mister Julien, en charge de la diversion, et l’artiste Docteur Doré qui soigne les avanies existentielles – & fait suite à une dépression contractée à la fin de la tournée précédente. À moins que les deux ne soient à ce point entremêlés que l’esperluette en question ne figure en trompe-l’œil un nœud indémêlable.

Julien Doré – Vendredi 16 juin à 21h30 aux Nuits de Fourvière
1re partie : Tim Dup
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