Philippe Katerine © DR
Philippe Katerine © DR

Lyon : Le grand Katerine au Transbordeur

Revenu aux affaires musicales, Philippe Katerine balance de magistrales Confessions, où sur vingt titres pas moins le chanteur autopsie ses propres errements, étonnamment raccord avec l’état du monde. Sexe, violence, politique en dérision féroce et bréviaire pop ultime. L’album de l’année, à déguster aussi sur scène.

Un journal intime, ainsi se présente Confessions. Une sorte de tour du monde du chanteur devenu acteur redevenu chanteur qui opère en spirale à partir du nombril pour élargir le champ de visions terrifiantes puis revenir à soi. Journal intime mais extime. Où le dégueulis de breaking news de l’information en continu vient napper les angoisses invasives d’une crise de la cinquantaine bien salée. Et pour circonscrire l’entropie du monde, Katerine opte pour le chaos (a-t-il le choix ?), éparpille son inspiration façon puzzle et la remonte en collages brindezingues.
Mais, derrière la fausse légèreté proverbiale du Vendéen, se cache une profondeur à triple fond qui épingle – sur BB panda, clin d’œil au filleul chinois de la première – le président-manager Macron (“Vous disez que de la merde à une vitesse incroyable / Vous disez toujours la même chose avec une gueule de comptable”). Après l’avoir giflé, au sens propre, Katerine clame un “Vous voyez pas qu’on va dans le mur ?” accidenté.

Ailleurs, il pointe, avec Dominique A, l’irresponsabilité de leur Bof Génération, portée dépassionnée par le chaos suffoquée (“On voulait juste être là, sans savoir pourquoi / Je suis pas contre l’idée d’avoir tort, je me suis pas demandé mon avis”). S’avoue, sur Bonhommes, nostalgique de l’innocence enfantine, cette “forêt oubliée” qui face au désastre continue de dessiner des bonshommes (“Vous ne savez rien des migrants, des guerres civiles au Soudan / Le Bataclan et Charlie, vous n’avez pas tout saisi / Ce que vous avez compris : le rêve n’est pas fini quand le soleil donne”).

“Blond, pédé, obsédé”

Dégagé dans l’engagement, Katerine retourne le racisme comme un gant sur Blond (avec Gérard Depardieu) : “Je n’ai jamais été contrôlé parce que je suis blond / Je n’ai jamais montré mes papiers, parce que je suis blond / Je trouve facile une maison parce que je suis blond”. Comme il renverse l’homophobie sur 88 %, rappé façon Ipsos avec Lomepal – “88 % des mecs sont pédé (…) 15 % des mecs sont pédé, en vrai, mais 73 % veulent pas se l’avouer. (…) 100 % homophobe égale 100 % homo” – ou questionne les pratiques supposément inavouables sur La Clef, hymne doucement romantico-lacanien à la sodomie vue comme une épiphanie.

Éros donc, mais Thanatos aussi, grattant les entrailles cinquantenaires à l’approche de cette mort qui “rend les gens beaux” mais trop tard : “Rappelle-toi Johnny quand il était là, les journaux de gauche ne l’aimaient pas / Maintenant qu’il est mort, il fait la une de Télérama. (…) Aimez-moi tant que je suis là”, supplique d’un chanteur qui s’évanouit dans un bruit de chasse d’eau. Thanatos, mais Éros à nouveau, qui chatouille le bas-ventre du vieux jeune homme : l’obsédé sexuel, tels “Freud et Hugh Hefner”, de se faire obsédé textuel sur KesKesséKçetruk et KesKesséKçetruk 2, dictionnaire des synonymes de “bite”, la sienne, celle qu’il porte au bout du nez sur la pochette de Confessions. Et tout du long Katerine étale ses fantasmes grimés en cauchemars (Rêve affreux).

Blague à la schlague

Ici l’on retrouve parfois le Philippe des débuts, amoureux courtois tellement bien mis de L’Éducation anglaise et de Mes mauvaises fréquentations, et son évolution pokémone dégondée, qui prend au bras de fer n’importe quel rappeur ou r’n’biste de 2019. Ouvert aux quatre vents, Katerine se goinfre à tous les râteliers esthétiques, déniaise la chanson à l’envi, l’assaille d’innovations sonores et rythmiques et gagne sur tous les terrains. En faisant rimer amour de la blague et politique de la schlague, d’une violence dégoulinante de douceur – parce que sexe et violence dansent souvent le tango psychanalytique –, Katerine, ce chanteur pour enfants pour adultes, livre l’ultime album de l’immaturité, avatar refoulé d’une lucidité si effrayante qu’elle laisse sans voix. Ce sont d’ailleurs ses premiers et derniers mots : “Arrêtez de parler”. Écoutez Katerine.

Philippe Katerine – Concert Jeudi 12 décembre au Transbordeur – COMPLET // Album Confessions (Cinq7/Wagram)


[Article extrait du cahier Culture de Lyon Capitale n° 794 – Décembre 2019]

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