Cantique des cantiques Lagraa duo à terre
© Dan Aucante

Abou Lagraa, cœur corps battant

CRITIQUE – Avec Le Cantique des cantiques, le chorégraphe Abou Lagraa et le metteur en scène Mikaël Serre questionnent le sens du mot amour dans notre société actuelle. La rencontre inédite des deux artistes est exemplaire de respect mutuel et nous plonge dans une forme constituée d’éclats poétiques.

Le Cantique des cantiques, chorégraphie d’Abou Lagraa © Dan Aucante

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Le Cantique des cantiques, chorégraphie d’Abou Lagraa.

Abou Lagraa avait envie de donner à sa danse un autre engagement, en se confrontant pour la première fois à un texte et avec un metteur en scène sans concession, Mikaël Serre. Le Cantique des cantiques est un texte religieux de l’Ancien Testament composé de poèmes et de chants d’amour entre un homme et une femme, écrit à une époque où les guerres des hommes faisaient rage. Avec lui, les deux artistes cherchent la même chose : extraire l’amour du chaos.

L’écriture chorégraphique est dessinée autour de trois duos faits de sensualité, de fusion, de séparation et de violence. Ils sont le contre-point, la conséquence, l’élargissement de réflexions sur la sexualité, l’homosexualité, la place de la femme dans des sociétés où le respect de l’autre est bafoué, où les religions se heurtent tandis que certains prônent l’anéantissement d’une humanité.

Puissamment érotique, le texte est donné par deux comédiennes qui posent magnifiquement leurs corps dans l’espace, offrant aux sentiments exprimés des lieux d’émergence à l’intérieur de la danse. Mikaël Serre a trouvé sa place.

Abou Lagraa a épuré son écriture habituellement très liée, intégrant une fragmentation du rythme telle la construction du poème mais aussi pour nous donner à voir le corps autrement. Esseulés, au sol, respirant lentement, traversés par le spasme ou le silence, à l’écoute de leurs râles intérieurs, soumis à la passion, les corps des danseurs agissent comme des aimants qui captent notre attention, se transformant en éléments du poème.

Une danse gorgée d’un suc jouissif et inaltérable

Avec une structure narrative qui intègre danse et théâtre, la pièce se trouve parfois dans un manque de lisibilité sur son déroulement tandis que se pose la question de l’introduction de scènes concrètes, comme celle du viol qui étrangement oscille entre la douleur et le surjoué. Mais Abou Lagraa a choisi de hurler et il assume.

À son esthétique s’ajoute la musique d’Olivier Innocenti, qui crache les vrombissements de la terre, ceux des marteaux de Daesh et qui sublime l’amour entre les corps. Sa danse est gorgée d’un suc jouissif, inaltérable, qui se mesure à l’abandon, à la fluidité et aux rebonds. Ici, elle semble taillée dans une pierre laissant surgir l’essentiel du mouvement et de l’émotion, soutenue par des danseurs tout simplement admirables.

Le Cantique des cantiques, chorégraphie d’Abou Lagraa © Dan Aucante

© Dan Aucante
Le Cantique des cantiques, chorégraphie d’Abou Lagraa.

La fin du Cantique, qui couvre les danseurs de phrases projetées issues de la charte des droits de l’Union européenne, symbolise l’état dans lequel la pièce nous laisse : enveloppés de mots, d’images, de sensations nous rappelant les fondamentaux de la liberté et les droits de l’être humain. Certains passages évoquant l’engagement à ne pas refouler des peuples fuyant la répression résonnent d’une actualité brûlante. Le rappel est simple mais efficace.

Pour Abou Lagraa, la liberté est aussi celle qu’il s’accorde en prenant le risque d’une création qui s’éloigne de là où on l’attend, tandis que Mikaël Serre l’accompagne avec subtilité. Et il a eu raison de le faire, sinon, à quoi sert l’amour ?

Le Cantique des cantiques – chorégraphie Abou Lagraa, mise en scène Mikaël Serre. Dernières dates à Lyon : jeudi 17 et vendredi 18 septembre à 20h30, à la Maison de la danse.
En tournée les 24 et 25 novembre à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy.
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