Une exposition qui dérange

Et pour cause, son exposition sur le sujet a été officiellement 'fermée' au public mercredi 23 et jeudi 24 septembre avant de ré-ouvrir précipitamment à la bibliothèque du quatrième arrondissement de Lyon, sur intervention express du directeur des bibliothèques de Lyon, du maire du quatrième arrondissement, du maire de Lyon et de l'adjoint à la culture. Rien que ça.

Plus d'un an de travail autour des 'êtres humains' sans-papiers. 'Derrière les chiffres, j'ai voulu montrer qu'il y avait des hommes envoyés dans des centres de rétention, des familles séparées, parfois dans des conditions inhumaines !', explique le photographe Bertrand Gaudillère, qui appartient au collectif lyonnais engagé Item. Pour réaliser ce travail, le photo-reporter a suivi pendant plus d'un an les membres des associations de soutien aux sans-papiers, le Réseau Education sans frontière à Lyon (RESF) notamment et le Collectif Les Amoureux au banc public, afin d'approcher les sans-papiers au plus près. Résultat : vingt-sept photos qui ont failli être interdites à Lyon.

'Les gens de la bibliothèque municipales du quatrième arrondissement connaissaient mon travail. Ils m'ont contacté en juin, explique Bertrand Gaudillère, pour me proposer d'organiser une exposition à la rentrée'. Le photographe leur présente alors son travail, les bibliothécaires le valident, puis l'exposition 'Les chiffres ont un visage' est annoncée dans le magazine 'Topo' des bibliothèques de Lyon, à la rentrée. Mais entre temps, 'la mairie aurait reçu des centaines de coups de téléphones demandant de faire interdire l'exposition', explique Claire Deverine, juriste de l'association Les Amoureux au banc public qui a, entre autres, averti la presse. Le directeur des Bibliothèques de Lyon, Patrick Bazin, ainsi que la mairie, auraient plié sous la pression. Mercredi 23 septembre, l'exposition a ainsi fermé au public pour cause de 'militantisme partisan', quelques heures seulement après avoir ouvert.

Bazin manipulé par l'Extrême droite lyonnaise ?

Le jour même, les Jeunesses identitaires lyonnaises, pour le moins opportunistes, envoyaient un mail à toutes les rédactions lyonnaises, se félicitant de s'être mobilisées 'depuis 24 heures' pour faire annuler cette exposition. C'est donc l'Extrême droite lyonnaise qui aurait harcelé par téléphone la mairie du quatrième arrondissement lyonnais et la bibliothèque municipale de Lyon afin d'obtenir la fermeture de l'exposition, quelques heures seulement. Maigre victoire, mais qui a quand même obligé Patrick Bazin, le directeur des Bibliothèques de Lyon a ordonner la fermeture de l'exposition mercredi et à se rendre sur place jeudi matin pour juger lui-même du 'militantisme' du travail de Bertrand Gaudillère. 'Ce n'est pas le rôle d'une bibliothèque de poser un acte militant, elle doit informer sur la réalité, mais ce n'est pas son rôle de poser un acte militant', martelait-il alors. Informer sans militer, tout un programme. Interrogé par ailleurs sur le rôle interventionniste des artistes, en particulier sur le rôle des photographes dans une société démocratique, il a ajouté que 'ce n'est pas tant l'exposition en elle-même qui posait problème, mais le débat monolithique qui était prévu jeudi soir'. Débat, en réalité table ronde, annulée de la même façon jeudi 24 septembre par le directeur des Bibliothèques de Lyon parce qu'il n'était pas 'équilibré', avant d'être re-programmée 24 heures plus tard jeudi soir, sans les sans papiers invités. 'Le principe était de faire intervenir de fins connaisseurs sur la question des sans-papiers à la bibliothèque, devant le grand public', explique le photographe Bertrand Gaudillère. En l'occurrence, un membre du Réseau Education sans frontière (RESF), un membre des Amoureux au banc public, une étudiante et un père de famille sans papiers étaient conviés. Cela, toujours à l'initiative des bibliothécaires du quatrième arrondissement.

Intervention express de Gérard Collomb

Finalement, c'est le maire de Lyon, son adjoint à la culture, le maire du quatrième arrondissement et le directeur des Bibliothèques de Lyon -rien que ça !- qui sont intervenus jeudi en fin d'après midi, selon le photographe, pour ré-autoriser l'exposition et l'ensemble des manifestations prévues autour d'elles. 'Le directeur des Bibliothèques de Lyon a simplement demandé aux bibliothécaires du quatrième arrondissement d'indiquer sur une affichette, dans un coin de l'exposition, que les propos du photographe n'engageaient que lui', précise Bertrand Gaudillère. Au cas où ça ne serait pas assez clair. Pour finir, seule la table ronde des Amoureux au banc public prévue mercredi soir à la médiathèque du 8ème arrondissement aura été annulée, au grand damne de ses organisateurs. 'Au dernier moment, la mairie nous a refusé la salle', regrette Claire Deverine, juriste du collectif Les Amoureux au banc public, qui a travaillé plusieurs heures à l'organisation de l'événement. La mairie de Lyon, qui rappelle courageusement que la loi lui interdit d'accueillir dans une salle municipale des sans-papiers a également interdit la présence des sans-papiers jeudi soir à la bibliothèque du quatrième. Moralité, les bibliothécaires de Lyon, la prochaine fois qu'ils voudront organiser une exposition autour du thème des sans-papiers, seront bien inspirés de penser à inviter aussi le préfet du Rhône chargé des reconduites à la frontière, afin d'équilibrer les débats. Pas sûr qu'il accepte, mais au moins, ils ne pourront pas être taxés de 'militantisme' par leur supérieur ...

Lucie Blanchard

Crédit photo : Bertrand Gaudillère, collectif Item

Retrouvez tous les renseignements sur l'exposition 'Les chiffres ont un visage' de Bertrand Gaudillère en cliquant ici

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