Le Sytral Mobilités, société organisatrice des transports en commun lyonnais, prévoit 6,4 milliards d’euros d’investissements d’ici 2033. Un effort colossal jugé risqué par la chambre régionale des comptes, qui alerte sur une possible dérive de la dette et réclame des scénarios de prospective financière.
La Chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes a dévoilé ce mercredi 4 juin un rapport d’observations concernant Sytral Mobilités, l’autorité organisatrice des transports en commun sur le territoire lyonnais. Si le bilan de l’établissement public est globalement positif sur les dernières années, notamment en matière d’offre et de fréquentation, l’avenir pourrait s’assombrir à mesure que les investissements massifs prévus viendront aggraver sa situation financière.
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Dans les 10 prochaines années, le Sytral envisage d'investir 6,4 milliards d'euros, avec notamment la création de plusieurs lignes de tramway, à commencer par la ligne T8 qui devrait voir le jour d'ici 2030. Un plan d'investissement conséquent, 2,5 fois plus important que pendant la période étudiée par la CRC (2015-2024) qui va "nécessiter une levée massive d'emprunt, de l'ordre de 340 millions par an entre 2024 et 2033" explique Barbara Falk, présidente de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes.
Une situation financière saine mais susceptible de devenir très tendue
Avec 495 millions de passagers en 2023, le réseau TCL se porte aujourd'hui plutôt bien et a presque retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire. Cette reprise, amorcée dès 2019 avec une politique tarifaire plus sociale (réductions pour les jeunes, tarifs solidaires), a permis de ramener les usagers vers les transports en commun. Mais ce choix a eu un coût : le produit de billetterie reste en deçà de celui de 2019 (243 M€ contre 256 M€). Si le taux de satisfaction des usagers, mesurée à l'aide de deux enquêtes, l'une produite par le Sytral et l'autre par la CRC, reste correct (entre 6,4 et 7,3/10), la chambre note tout de même une "certaine dégradation des conditions d'exploitation du réseau TCL en 2022 et 2023".
"Les « kilomètres perdus » (ou trajets prévus non effectués) ont ainsi représenté entre 2 et 3 % de l’offre contractuelle, ce qui n’est pas négligeable en termes de perturbations pour l’usager" estime la CRC, qui affirme que ce chiffre était de l'ordre de 1% avant 2020. Si la chambre se dit satisfaite des nouvelles pénalités financières inclues dans la délégation de service publique qui a débuté en 2025, "plus contraignante", elle note qu'un effort pourrait être fait pour lutter contre la fraude dans un réseau de transport qui a progressé de 8% entre 2015 et 2023.
Un plan de lutte contre la fraude déployé à l'automne 2025
Un domaine qui pourrait représenter "un enjeu financier accru au regard des perspectives d'évolution de la situation financière de Sytral Mobilités". Si en 2017 les amendes avaient rapporté 4,3 millions d'euros au Sytral, ce chiffre est tombé à 2,4 millions en 2023, alors qu'un passager sur dix en moyenne voyage illégalement dans les transports en commun lyonnais aujourd'hui. Une perte nette de quasiment 2 millions d'euros qui s'ajoute à un faible taux de recouvrement des amendes (36%). Un "plan de lutte contre la fraude" est actuellement à l'étude du côté du Sytral et devrait être "déployé à partir de l'automne 2025" selon l'entreprise.
Des hypothèses financières "fragiles"
Mais même en accentuant cette lutte contre la fraude, les montants récupérés seront insignifiants au regard des montants investis dans les prochaines années. Aussi, la chambre pointe du doigt la "marge de manœuvre limitée" pour permettre au Sytral d'augmenter ses sources de financement et réclame à la société organisatrice des transports en commun à Lyon de "présenter des scénarios de prospective financière tenant compte des aléas financiers importants auxquels l'établissement est exposé."
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"Les hypothèses sous-jacentes à sa prospective financière présentées lors du débat d’orientations budgétaires (DOB) 2024 apparaissent par ailleurs fragiles quand elles ne sont pas optimistes. En 2025, il n’a même pas souhaité présenter de prospective financière dans le DOB en invoquant les incertitudes qui pèsent sur ses ressources" complète la CRC dans la synthèse de son rapport.
Bruno Bernard réclame une hausse des ressources
De son côté, et en réponse à ce rapport, Bruno Bernard, président du Sytral et de la Métropole de Lyon défend son plan massif d'investissement, qu'il juge "nécessaire pour réduire la fracture territoriale et réussir la transition énergétique". L'élu écologiste réclame une "hausse significative et pérenne de ressources pour assurer la soutenabilité financière" de sa politique de mobilité. "Pour continuer de développer et d’exploiter nos réseaux de transports en commun,
nous avons besoin d’un soutien financier plus significatif de l’Etat" avait d'ailleurs annoncé le président de Sytral Mobilités lors du conseil d'administration du 3 juin 2025.
Pour illustrer ces propos, il détaille différentes propositions empruntées au Groupement des autorités responsables de transport (GART) comme la meilleure répartition des taxes issues de la route en faveur des mobilités, la possibilité de baisser la TVA à 5,5% sur les transports du quotidien, affecter une partie des recette provenant de la fiscalité environnementale à la mobilité ou encore faire évoluer le versement mobilité, impôt prélevé auprès des employeurs publics et privés. Ce versement mobilité représente aujourd'hui déjà près de 50% des recettes du Sytral (480 millions d'euros). S'il a été augmenté en mars dernier dans dix communautés de communes du département du Rhône, dans la Métropole de Lyon, le taux maximum autorisé par la loi est aujourd'hui appliqué (2%). Avant un déplafonnement de ce taux comme Paris l'a obtenue récemment ?
Autant de pistes qui pourraient permettre, selon le Sytral, d'envisager l'avenir de manière plus sereine, et cela malgré les alertes de la CRC. Mais des pistes aujourd'hui hypothétiques et sur lesquelles les autorités organisatrices de la mobilité en France, comme le Sytral, n'ont finalement aucune prise.