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Moi, Valérie Trierweiler, première journaliste culturelle de France

Valérie Trierweiler vient d’entrer en négociation avec le groupe Canal, qui comprend les chaînes Canal +, Direct 8 et Direct Star. 
Le groupe a en effet confirmé aujourd'hui des "discussions informelles" sur la présentation d'une nouvelle émission culturelle par la première dame. Un rendez-vous devrait avoir lieu dans les prochaines semaines pour officialiser cette création d'émission. Décryptage amusé. En toute in-dé-pen-dan-ce.

"Moi président de la République, je n'aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes. Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire. Moi président de la République, il y aura un code de déontologie pour les ministres, qui ne pourraient pas rentrer dans un conflit d'intérêts", avait notamment déclaré le candidat François Hollande, dans une longue tirade devenue célèbre. Ah, l’indépendance, Sacré Graal !

Nicolas Sarkozy, de ce point de vue, avait déjà fait très fort. Mais au moins ne s’abritait-il pas derrière son petit doigt et allait, emporté par la foule, jusqu’à faire le coup de poing (derrière ses gardes du corps quand même). Fini le temps de l’omniprésident. Voici venu le temps des rires et des chants, avec le président normal, c’est tous les jours le printemps. Celui de l’indépendance enfin retrouvée. Et toujours "dans la justice" s’il vous plaît.

Revenons à nos moutons, qui ne sont pas de Panurge mais tout à fait indépendants. Sitôt l’autorisation délivrée par le CSA -autorité administrative indépendante- à Canal pour le rachat de Direct 8, Valérie Trierweiler, qui continue de jurer ses grands dieux qu’elle n’est pas première dame mais journaliste indépendante, entre en négociation avec le groupe pour la présentation d’une "émission culturelle"(4). Comme sa consœur Audrey Pulvar, compagne du ministre Montebourg et ci-devant journaliste indépendante, laquelle vient elle aussi d’annoncer son arrivée sur Direct 8, dans la future émission de Laurence Ferrari… dont on se demandait il y a quelques mois ce qu’elle allait faire sur une "si petite chaîne", après avoir été la reine du JT sur TF1. Pauvres mortels, nous n’étions pas dans le secret des dieux, fussent-ils laïcs et républicains. Et si tout cela n’était que coïncidences indépendantes de leur volonté d’indépendance ?

Chaînes culturellement transmissibles

Voire. Au mois de mars, le CSA choisit TVous la diversité pour faire partie des six nouveaux canaux qui seront diffusés gratuitement sur la TNT à partir du mois de décembre. David Kessler, à l’époque directeur général des Inrocks -journal indépendant propriété du banquier indépendant Matthieu Pigasse- défend avec flegme le dossier face aux neuf Sages du CSA. Avec quelques arguments : Xavier Niel, propriétaire de Free et Matthieu Pigasse, par ailleurs co-actionnaire du Monde, seront les principaux financiers de la chaîne (1). Le lendemain de l’élection de François Hollande, le fondateur de TVous, Pascal Houzelot, obtient l’autorisation inédite du CSA pour "se fournir en émissions dans l’audiovisuel public". Comme l’écrit Le Canard enchaîné dans son édition du 18 juillet, "un groupe public qui file un coup de pouce à une chaîne privée, voilà qui est original".

Mais le meilleur arrive. David Kessler, journaliste indépendant, est nommé il y a quelques semaines Conseiller chargé de la culture auprès du président de la République. Audrey Pulvar lui succède à la tête des Inrocks, en toute indépendance (2). La boucle de l’indépendance est-elle débouclée ? Pas tout à fait. Tel Lazare de Béthanie, l’ancien directeur des rédactions du Figaro, Etienne Mougeotte, fait sa réapparition et annonce son grand retour à la télévision. Et où donc ? Chez TVous la diversité bien sûr. En toute indépendance, car il n’y sera que "consultant".

Ironie de l’histoire, l’ancien vice-président de TF1 avait confié en son temps au futur fondateur de TVous la mission "de contrôler les nuisances éventuelles des instances de régulation". Gendarme du gendarme, il suffisait d’y penser. Quant à savoir qui régule qui, c’est une autre paire de manches, comme on le susurre parfois, en crypté et à des heures tardives, sur la bien-nommée Pink TV (3). Enfin, un bonheur n’arrivant jamais seul, TVous la diversité, qui se fournira en émissions chez France 24 à des tarifs défiant toute concurrence, a signé le 23 juillet un contrat de régie publicitaire avec… TF1 Publicité. Voilà une indépendance bien partagée.

Quant à Michel Boyon, président du CSA, il affirmait ce matin sur Europe 1 : "Ce qui me choque parfois, c’est les plus-values qui sont réalisées à partir de l’usage des fréquences qui relèvent du domaine public et qui sont gratuites. (…) Le CSA, il est vu de manière extrêmement étrange par la population, par l’opinion. (…) Ce que fait le CSA c’est essentiellement rendre service aux téléspectateurs, et dans ces dernières années nous avons toujours placé l’auditeur de radio, le téléspectateur, au cœur de nos intiatives, au cœur de nos décisions". C’est bien connu : le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. On attend désormais, tout fébriles, l’interview officielle de François Hollande sur la nouvelle TNT. Reste à savoir à quelle chaîne indépendante ira sa préférence. Direct 8 ? TVous la diversité ? Chérie HD ? Les paris sont ouverts. Temps de cerveau disponible fortement conseillé.

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(1) Dans la convention signée avec le CSA, ces généreux actionnaires se sont volatilisés. Seule figure une société par actions simplifiées à associé unique (Pascal Houzelot), dénommée Diversité TV France, au capital social de… 10.000 euros. Or, les seuls frais de diffusion en haute-définition s’élèvent à 12 millions d’euros annuels.

(2) À la suite de cette nomination, l'éditorialiste Thomas Legrand décide de quitter le magazine et déclare au Figaro : "Je n'ai rien contre elle. Je ne crains pas la censure, ni ses relectures orientées. Je sais qu'elle me laisserait libre. Je ne mets pas en cause sa capacité de schizophrénie... Forcément, elle aura des infos : si elle les dit, elle trahit son compagnon. Si elle ne les dit pas, elle trahit son journal et sa condition de journaliste. Pour moi, c'était impossible de rester." Il y a quelques jours, Marc Beaugé, rédacteur en chef chargé de l'actualité, démissionne à son tour, jugeant Audrey Pulvar "trop floue sur le projet éditorial et trop autoritaire dans son management".

(3) Pink TV est une chaîne française à péage qui cible un public homosexuel, disponible en option sur les réseaux câblés et le bouquet satellite. Créée en 2004 par Pascal Houzelot, qui en détient 30%, elle comporte aussi dans son capital Canal +, TF1 et M6.

(4) Un courrier de la Présidence de la République remercie une maison d'édition pour l'envoi d'un livre à la chroniqueuse de Paris Match.

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