Le Garet, vorace Gardien du Temple et mémoire culinaire de Lyon © Antoine Merlet

Manger est un sentiment

Les restaurants sont un petit bout du roman national, un pan de notre culture commune. L'éditorial du rédacteur en chef de Lyon Capitale.

Lever de rideau ! Après 222 jours privés de sorties, c’est le grand retour des restaurants. Covid-19, aussi despotique soit-elle, nous a rappelé notre relation aux restaurants, qui sont un peu plus qu’une simple affaire d’assiette. Ce sont des lieux qui nourrissent autant les corps que les âmes.

Les restaurants sont les beaux-arts de nos vies, les terrasses leur plus belle expression. Ils sont les théâtres de nos existences. Scène ouverte, ballet des serveurs, chœur des commensaux.
Ils sont le terreau des tourbillons de la vie, où l’on rit, s’aime, se perd de vue, se retrouve.

On y lâche prise, on politise, on négocie, on manigance. En tête-à-tête, corps contre corps, en compagnie savante, galante, en dilettante, en homme de l’art. Bouchon, gargote, gastro, bistrot, grands restaurants et petites "boîtes", ils sont les lointains héritiers des porte-pots de la fin du Second Empire, ces boutiques où l’on vendait du vin au détail et où l’on débitait, en quantités bénédictines, des côtes-du-ventoux, du mâcon blanc et du beaujolais, pendant que les clients canonisaient au bar, accompagnés d’un “casse-vin” (quelques grattons ou un morceau de lard).

"Pour bien aimer un pays, il faut le manger, le boire et l’entendre chanter", écrivait l’académicien Michel Déon. Quoi de mieux qu’au restaurant, où rayonnent les saveurs du monde et l’imagination des chefs et des artisans de bouche ? Sans restaurant, la vie s’estompe. La liberté perd en consistance. Spécificité culturelle, âme de la France, sel de la vie, ils sont une institution fondamentale de notre art de vivre, aux dimensions festive, culturelle, matérielle et immatérielle. Le pouls de la ville.

Les restaurants, c’est le romantisme à la française. Ils sont le visage de la France, ce qui fait sa richesse, son élan. Liberté, égalité, fraternité, gourmandise. Aller au restaurant est un acte de civilisation. "En France, la civilisation commence avec l’art culinaire", s’attachait à faire comprendre, dans les années 1930, le professeur Ernst Robert Curtius aux Allemands à propos de ce qu’était l’Hexagone.

Les restaurants sont un petit bout du roman national, un pan de notre culture commune. La gastronomie, quel vilain mot !, est partout : dans les affaires, en politique, en famille, au bureau, à l’école. "La nourriture domestique, même excellente, ne supprime pas le désir de restaurant", gazouille Edgar Morin. Il est de bon ton que l’on fasse profession de foi culinaire !

Le restaurant est une expérience. Promesse de chère, promesse conviviale, on découvre l’autre et l’ailleurs dans cette altérité alimentaire. On avait presque fini par oublier cette petite musique du tintement des verres qu’on entrechoque, des conversations en terrasse. Lyon sort d’un long sommeil. La belle endormie renoue avec l’euphorie de la liberté retrouvée. La fin d’un mauvais rêve.

Dans La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, Marcel Rouff décrit l’état de béatitude des hôtes de son héros quand leur sont servis un suprême pot-au-feu : "Les chaînes de l’angoisse tombaient définitivement à cette heure précise où la chaleur et la vertu inclinaient à la vie pleine et à l’abandon. Maintenant, l’ardeur intime se donnait libre cours. Plus d’ombres. On était rassuré. On pouvait en toute béatitude se livrer au plaisir de savourer et à cette douce amitié confidente qui sollicite les hommes bien nés à la fin des repas dignes de ce nom." Amen.

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