Entrée du tunnel Lyon/Turin le 1er février (Photo by JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

Lyon-Turin : "Le chantier avance entre 15 et 20 mètres par jour"

Ce lundi, la ministre des Transports, Elisabeth Borne, a annoncé le lancement des études pour la réalisation des accès français au futur tunnel franco-italien. Le délégué général du comité Transalpine, Stéphane Guggino, fait le point pour Lyon Capitale sur les avancées d’un projet tant et tant commenté depuis des années. Où en est le projet ?

Ce lundi, la ministre des Transports, Elisabeth Borne, a annoncé le lancement des études pour la réalisation des accès français au futur tunnel franco-italien. Un comité de pilotage va être mis en place pour suivre les études dans le but de "rechercher toutes les pistes d'optimisation des coûts et des phasages afin de garantir la soutenabilité financière du programme", explique le ministère des Transports dans un communiqué.

Mais où en est ce fameux projet ? Quel est son prix ? Combien de temps faudra-t-il pour relier Lyon à Turin ? Dans combien de temps ? Pour Lyon Capitale, Stéphane Guggino, délégué général du comité pour la Transalpine, fait le point sur le projet. Présidé par Jacques Gounon, PDG du groupe Eurotunnel, le Comité pour la Transalpine fédère et représente les grands acteurs politiques, institutionnels et économiques du territoire mobilisés pour la réalisation de la liaison ferroviaire européenne Lyon-Turin. L’ancien président était Franck Riboud, l'ancien  PDG de Danone.

LYON CAPITALE : Quelles sont les dernières avancées concrètes de cette liaison Lyon-Turin ?

STEPHANE GUGGINO. C’est un dossier qui dure depuis très longtemps précisément à cause de sa complexité. Il est complexe techniquement et diplomatiquement (il fait intervenir la France, l’Italie et l’UE). Cela reste la plus grande infrastructure de transport européenne aujourd’hui en chantier. Ce n’est d’ailleurs plus un projet, c’est un chantier déjà. La pierre angulaire, la clé de voûte de cette liaison, c’est le tunnel de 57km sous les Alpes qui part de Saint-Jean-de-Maurienne jusqu’à Suze (en Italie). Ce tunnel est déjà en chantier. 25 kilomètres de galerie ont déjà été creusés en France et en Italie dont 8 km du tunnel définitif. Aujourd’hui, 16% du projet définitif du tunnel transfrontalier est déjà réalisé.

Combien ça va coûter ?

Le tunnel de base transfrontalier, il coûte 8,6 milliards d’euros, financé à 40% par l’UE, 25% par la France et 35% par l’Italie. Le tunnel est à 80% en territoire français. L’Italie paye davantage ce tunnel, car les voies d’accès entre Lyon et l’entrée du tunnel côté français (à Saint-Jean-de-Maurienne) sont beaucoup plus longues que les voies d’accès entre Suze et Turin en Italie (seulement 50km). Ce sont des décisions actées. L’UE a fait savoir qu’elle était disposée à financer 50% du tunnel transfrontalier, c’est-à-dire rajouter 1 milliard d'euro.

En plus du tunnel transfrontalier, estimé à 8,6 milliards d’euros, il y a les voies d’accès françaises, dont le lancement des études a été effectué ce lundi qui sont estimées à 7,7 milliards d’euros…

Les voies d’accès italiennes, cela coûte 1,7 milliard d’euros. En France, c’est pour le moment 7,7 milliards d’euros. Ce sont les phases 1 et 2 qui ont été déclarées d’utilité publique en 2013. Ses 7,7 milliards, c’est un peu le cœur du débat depuis un an. Financièrement, on n’est pas dans les clous. La soutenabilité financière de l’opération est compliquée à boucler. On plaide depuis un an pour un phasage beaucoup plus sobre, pour réduire la facture des accès. L’idée, c’est de passer de 7,7 milliards à environ entre 4 et 5 milliards. Sur le tracé, il y a des tunnels qu’on peut faire plus tard, comme les tunnels du Glandon et de Belledonne.

On peut réaliser des accès performants en ne retenant que les infrastructures les plus essentielles à l’exploitation du tunnel. On peut exploiter le tunnel de manière correcte sans faire ces deux tunnels. Après, l’important, c’est que si vous faites un tunnel avec une capacité de 40 millions de tonnes, c’est un non-sens économique et écologiste si vous ne réalisez pas des accès performants qui permettent de l’alimenter.

Quand cette liaison Lyon-Turin verra-t-elle le jour ?

Le tunnel transfrontalier, déjà en chantier, doit être livré en 2030. Aujourd’hui, on avance entre 15 et 20 mètres par jour. Le chantier avance tous les jours. L’horizon 2030 est encore tenable aujourd’hui pour le tunnel. Tout l’enjeu, c’est qu’au moment de sa mise en service, il y ait des voies d’accès qui permettent d’exploiter le tunnel.

Ce lundi, la ministre des Transports a lancé les études pour relier Lyon à Saint-Jean-de-Maurienne (point de départ du tunnel transfrontalier). Le calendrier 2030 est-il tenable pour les accès français ?

Ces études, elles répondent au discours qu’on porte. On, c’est l’ensemble des acteurs économiques et politiques locaux. Repensons un phasage plus sobre. Les 7,7 milliards d’euros, c’est trop. Ce phasage plus sobre, c’est-ce que vient de lancer la ministre. Que peut-on faire pour alléger et rendre moins cher ? Un premier point d’étape doit être rendu pendant l’été. Je peux prendre l’exemple du tunnel sous la Manche. Quand il a été mis en service, les Anglais ont attendu 13 ans avant de réaliser les accès entre Londres et l’entrée du tunnel à Douvres. Le tunnel était déjà effectué et les trains continuaient à circuler sur la ligne historique, sur la vieille ligne. Ce n’est que 13 ans après, quand les nouvelles voies d’accès anglaises ont été mises en service, que les accès ont explosé. Nous, c’est ça que nous mettons en avant. Il y a un enjeu, mais il faut être raisonnable. Ce sont évidemment des investissements très importants. Sera-t-on dans les clous de 2030 ? L’objectif est toujours l’horizon 2030.

En Italie, il y a des réticences. Est-ce que ça peut ralentir le projet ?

On travaille beaucoup avec les Italiens. La situation vue de France peut semer le doute. Au pouvoir, en Italie, il y a deux formations. Le Mouvement 5 Etoiles (M5E) et la Ligue. Le Mouvement 5 Etoiles est historiquement et idéologiquement opposé au projet, c’est un totem, on n’est même plus dans le rationnel. La Ligue est pour. Mais ce n’est pas un combat entre le M5E et la Ligue, c’est un combat entre le M5E et l’ensemble de l'Italie. Tous les autres partis politiques et l’ensemble des organisations économiques en Italie sont pour le Lyon-Turin. Pour le M5E, il est important de ne pas se couper de sa base électorale radicale avant les élections européennes, la plus opposée au Lyon-Turin. Il y a un ralentissement, mais il ne durera pas longtemps. Si vous voulez arrêter le Lyon-Turin, ce que souhaite le M5E, il faut un vote au Parlement. Il y a 3 traités internationaux derrière ce projet. Or, le M5E n’a pas la majorité.

À quoi sera dédiée la liaison Lyon-Turin ?

80% de la liaison seront dédiés au transport de la marchandise. 20% au transport de voyageurs. Ce sera une ligne avec une très forte capacité. La vocation majeure du Lyon-Turin, c’est le report modal. C’est en ce sens qu’on est vraiment dans une infrastructure au service de la transition écologiste. Le but, c’est de basculer plus d’un million de poids lourds par an de la route vers le rail dans les Alpes. Chaque année, 3 millions de poids lourds franchissent la frontière franco-italienne. On vise 40 ou 50% en moins.

Pour les voyageurs, combien de temps faudra-t-il pour relier Turin depuis Lyon ?

Le temps de trajet sera réduit considérablement. On passera en gros de 4h à moins de 2h. On divise par 2. Mais le but du Lyon-Turin, c’est aussi d’améliorer le quotidien des voyageurs en région Rhône-Alpes par exemple. Les liaisons entre Lyon et Grenoble, Chambéry et Annecy sont des voies malades aujourd’hui, en termes de vitesse, de ponctualité. Le Lyon-Turin, comme vous créez une nouvelle ligne, vous libérez beaucoup de sillons. Il y a aura une amélioration significative du trafic entre Lyon et les Alpes.

L’UE va-t-elle aussi financer les accès français ?

C’est un sujet peu évoqué. La concentration des énergies et des efforts avait été effectuée jusqu’à présent sur le tunnel transfrontalier. Les voies d’accès françaises et italiennes sont potentiellement éligibles au financement européen. Il y a des dispositions de l’UE à financer massivement les voies d’accès françaises et italiennes.

Pourquoi l’Europe est-elle autant impliquée dans le projet ?

Le Lyon-Turin, c’est la pièce d’un puzzle beaucoup plus large. Si l’UE finance aussi massivement le projet, c’est que quand on dit Lyon-Turin, on parle de Paris-Milan. Quand vous faites une ligne entre l’Espagne et l’Europe centrale, le maillon faible c’est le franchissement des Alpes. C’est pour ça que cette liaison, pour l’Europe, est stratégique et prioritaire. La concentration économique est actuellement plus dans l’Europe du Nord. Avec le Lyon-Turin, la volonté de l’Europe est de rééquilibrer l’économie au sud de L’Europe. Le Lyon-Turin joue pour l’Europe du Sud le même rôle structurant que le tunnel sous la Manche a joué pour l’Europe du Nord.

Le tunnel transfrontalier sans de nouvelles voies d’accès, c’est possible ?

Le tunnel seul, sans les voies d’accès, c’est déjà 45 minutes de gagnées. Mais c’est un tunnel qui aura une très forte capacité, de 40 millions de tonnes par an. Sans les voies d’accès, vous ne pouvez pas alimenter 40 millions de tonnes. Si vous voulez optimiser l’investissement, les voies d’accès sont indispensables. La ministre l’a dit : "À partir du moment où vous faites le tunnel, il faut faire les voies d’accès". Maintenant, la question, c’est quel calendrier, à quel coût et comment ? Mais sur le principe, l’engament est clair.

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