Assemblée nationale, juin 2017 © Tim Douet
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Lyon : menacés lors des débats sur les mesures sanitaires, des députés du Rhône témoignent et s’inquiètent pour la démocratie

Vivement débattue au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, l’adoption du pass sanitaire puis du pass vaccinal s’est faite dans un climat de défiance croissant vis-à-vis des députés. Régulièrement ciblés par des messages de mort anonymes, six députés du Rhône ont accepté de témoigner auprès de Lyon Capitale, inquiets pour la démocratie. 

À l’origine de nombreuses manifestations, de vifs débats entre les membres de la classe politique, les députés et les sénateurs, le pass vaccinal a finalement été adopté le 16 janvier par le Parlement. Alors qu'il entre en vigueur, le 24 janvier, il apparaît qu’en marge de ces débats sur le pass sanitaire puis vaccinal, bon nombre de députés ont fait l’objet de menaces, les pressant de changer leur vote sous peine d’être tués. 

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Le 20 janvier, Gérald Darmanin livrait les chiffres alarmants de cette défiance depuis le mois de juillet 2021. Ce n’est pas moins de "534 faits" de "menaces graves contre les élus de la République" qui ont été recensés par le ministère de l’Intérieur et "à peu près 400 plaintes" enregistrées, principalement en provenance d’internet. Dans un entretien accordé au journal Le Monde le 11 janvier, Richard Ferrand le président LREM de l’Assemblée nationale révélait qu’à cette date 430 députés étaient concernés, avant d’estimer qu’à "ce rythme, à la fin du mandat, il n’y aura pas un député, sur les 577, qui n’aura pas reçu de menaces". 

Des menaces à la pelle

Dans le Rhône, où siègent quatorze députés, au moins six membres de l’Assemblée nationale avec lesquels nous avons pu échanger ces dernières semaines ont fait l’objet de mails menaçants ou de tags sur leur permanence. "Entre fin décembre et début janvier, j’ai reçu trois mails distincts portant tous les trois des menaces de mort. […] Ce qui est nouveau c’est que désormais les propos ou les actions violentes sont dirigés contre les personnes et pas contre les actions que l’on mène", confie Jean-Louis Touraine député LREM de la 3e circonscription. Même son de cloche chez Thomas Rudigoz, lui aussi député LREM, qui assure que "pas plus tard que lundi [le 10 janvier, Ndlr] [il est] encore retourné au commissariat pour porter plainte, j’en avais cinq ou six", lâche l’élu de la 1re circonscription. 


"Ce qui est nouveau c’est que désormais les propos ou les actions violentes sont dirigés contre les personnes et pas contre les actions que l’on mène",

Jean-Louis Touraine député LREM de Lyon


Qu’il s’agisse de Blandine Brocard (Modem, 5e circonscription), d’Isaac-Sibille Cyrille (Modem, 12e circonscription) tous ont reçu des menaces de mort anonymes ces derniers mois, "certains messages sont individuels et d’autres plus organisés parce que l’on reçoit tous le même", précise Anne Brugnera (La République en marche, 4e circonscription). À entendre Jean-Luc Fugit, élu LREM de la 11e circonscription, cela a pris une nouvelle dimension "à partir du travail autour du pass sanitaire".

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Ne surtout pas banaliser la chose 

De là à banaliser la chose ? Loin de là. "On ne peut pas prendre cela à la légère, pratiquement tous les députés, de la majorité au moins, ont reçu des menaces de mort et cela peut donner des idées à certains qui risquent de les réaliser", s’inquiète Jean-Louis Touraine. À l’instar de Blandine Brocard ou Thomas Rudigoz, des députés ont parfois fait le choix de rendre public ces messages sur les réseaux sociaux, "pas pour me faire plaindre, ce n’est pas l’idée, mais je voulais que nos concitoyens sachent que ce qu’il se passe est inacceptable", explique Jean-Luc Fugit. En revanche, l’élu LREM assure n’avoir eu recours à ce procédé qu’une seule fois, "pour ne pas tomber dans la banalisation".


"Ça vous brasse quand même quand vous lisez ces mails anonymes complètement froids, on ne s’habitue pas et ça ne peut pas être banal",

Anne Brugnera députée LREM de Lyon


Si tous prennent ces menaces au sérieux et déposent régulièrement plainte, pour autant ils n’y accordent pas tous la même importance, notamment du fait qu’elles se font le plus souvent par mail et de manière anonyme. "Je ne m’inquiète pas outre mesure parce qu’on ne peut pas dire que ce soit un voisin et les mails ne visent pas que moi", estime ainsi Thomas Rudigoz. À l’inverse, pour Anne Brugnera c’est justement cet anonymat de la personne cachée derrière son écran qui est le "pire quelque part. Ça vous brasse quand même quand vous lisez ces mails anonymes complètement froids, on ne s’habitue pas et ça ne peut pas être banal". 

"Un Nuremberg du Covid"

Bien souvent en première ligne, les députés de la majorité reçoivent de plein fouet ce déversement de haine de "quelques fanatiques un peu irrationnels des mouvances anti pass sanitaire", analyse Jean-Louis Touraine. "Ils parlent de nous guillotiner, de nous trancher la tête ou de nous abattre à coup de Kalachnikov", énumère Thomas Rudigoz, qui dès l’été 2021 avait rendu public un mail menaçant lui étant adressé. Selon le député de la 1re circonscription, quand ce n’est pas des menaces de mort ce sont des messages glaçants évoquant "un Nuremberg du Covid" et faisant allusion à des heures sombres de l’histoire qui font leur apparition sur les boîtes mails. 

Le mercredi 22 septembre, le député du Rhône a posté sur Twitter une photo de deux graffitis apposés sur sa permanence. (Photo Twitter Thomas Rudigoz)

Des messages ayant pour but d’ébranler les députés afin de les pousser à voter contre les mesures sanitaires, en vain. Les six députés avec lesquels nous avons échangé  sont formels, cela n’a pas eu d’influence sur leur vote, au contraire, à en croire Jean-Louis Touraine cela a plutôt tendance "à renforcer les convictions". Et Thomas Rudigoz de poursuivre en se disant "intimement convaincu que l’on prend les bonnes décisions, même si elles sont difficiles et privatives de liberté", avant de réaffirmer son soutien au président de la République. 

Une atteinte au processus démocratique 

Finalement, là où tous ces membres de la majorité se rejoignent, c’est pour dénoncer une atteinte au processus démocratique et plus largement au principe même de la démocratie. "Si les représentants du peuple commencent à légiférer sous la contrainte et la menace, là on n’est plus du tout en démocratie, je trouve ça dramatique", nous confiait Blandine Brocard à la veille de la nouvelle année, juste après avoir partagé un message la qualifiant de "collabo". Alors que Gérald Darmanin faisait état le 13 janvier d’une augmentation exponentielle du nombre de "menaces de mort" avec 300 plaintes pour ce genre de faits depuis juillet 2021, l’ancien maire du 5e arrondissement Thomas Rudigoz estime que "ce sont ces personnes qui nous accusent d’être des dictateurs en puissance qui utilisent les armes de la dictature avec la menace et la violence".

À partir de la crise des "Gilets jaunes" fin 2018, cette défiance n’a eu de cesse de croître à l’égard des "représentants du peuple", mais Jean-Louis Touraine insiste sur le fait qu’il ne s’agit "pas d’un épiphénomène de la France, c’est quelque chose qu’il faut prendre très très au sérieux au niveau mondial". L’ancien premier adjoint au maire de Lyon, Gérard Collomb, a notamment en tête, comme plus d’un membre de l’Assemblée, l’assassinat le 15 octobre 2021 du député conservateur britannique, Sir David Amess, lors d’une permanence parlementaire, ou encore l’envahissement du Capitole le 6 janvier 2021 aux États-Unis.


"Si certains sont vraiment mécontents du citoyen élu et bien qu’ils se présentent à l’élection"

Jean-Luc Fugit député LREM du Rhône


"En démocratie ce n’est pas comme ça que l’on s’oppose" assène Anne Brugnera, avant que Jean-Luc Fugit ne lui fasse écho en rappelant la base même de celle-ci. "Si certains sont vraiment mécontents du citoyen élu et bien qu’ils se présentent à l’élection. On a la chance d’avoir des mandats qui ne durent pas 15 ans. Il faut aussi revenir aux fondamentaux qui font notre République", lâche le natif de Rodez alors que les élections législatives se profilent à l’horizon.

Ne pas se déconnecter 

Enseignant-chercheur en chimie, Jean-Luc Fugit s’interroge comme beaucoup de députés sur les raisons de cette défiance et à l’heure où le dialogue semble rompu avec certains Français, il insiste sur la nécessité d’aller encore plus sur le terrain pour rencontrer la population et ne pas se "déconnecter".  "Il faut se nourrir de la discussion avec celles et ceux qui ne pensent pas comme nous, en revanche ça ne doit jamais aller vers la menace", nous confiait-il quelques jours après avoir organisé une "visio", conditions sanitaires obligent, avec près d’une vingtaine de personnes lui ayant envoyé des messages "bien sentis, mais pas des menaces",  en lui demandant de ne pas voter sur le pass vaccinal. Un exercice "très intéressant" selon lui, car il permet d’aller "un peu plus loin que certains messages un peu durs".


"Des enfants perdus de la République qui ne croient plus du tout à nos institutions, dans notre système politique",

Thomas Rudigoz député LREM du Rhône


Un premier pas, peut-être, pour renouer le dialogue avec "des enfants perdus de la République qui ne croient plus du tout à nos institutions, dans notre système politique et notre organisation", pour reprendre les mots de Thomas Rudigoz.

Lire aussi : À Lyon et dans le Rhône, la sécurité des élus va être renforcée 

En attendant, la sécurité des élus a été renforcée à plusieurs reprises sur demande de Gérald Darmanin et de l’Assemblée nationale. Cette dernière propose ainsi à ceux qui le souhaitent de bénéficier d’une protection temporaire, assurée par une société de sécurité privée, près de leur domicile ou de leur permanence. De son côté, depuis le mois de novembre, le ministère de l’Intérieur a demandé plus de vigilance aux forces de l’ordre, ce qui se traduit notamment, dans le cas de Thomas Rudigoz, par le passage occasionnel d’équipages de police du 5e devant son domicile et sa permanence et des échanges avec la commissaire de l’arrondissement. 

Des plaintes systématiques

Désormais se pose la question de la réponse judiciaire à apporter à ces menaces. À cet égard, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, demande désormais aux députés de déposer plainte de manière systématique afin que ces menaces issues des réseaux sociaux, reçues par mails ou dirigées contre leurs permanences soient enregistrées et cataloguées afin de pouvoir, peut-être, identifier des liens entre certains actes. 

Lire aussi : Métropole de Lyon : menacée, la députée du Rhône Blandine Brocard porte plainte

Le 18 janvier, un coup de filet important coordonné par l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité (OCLCH), a ainsi été réalisé contre plusieurs membres du groupe antivaccins "V_V" qui auraient publié des centaines de messages virulents visant deux parlementaires et un médecin en 2021. Deux hommes et six femmes ont été interpellés en Moselle, dans le Rhône, la Seine-et-Marne, les Hauts-de-Seine et le Finistère. La date du procès n’a pour l’heure pas été communiquée, mais ils risquent jusqu’à 30 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement. 

Malgré les difficultés pour retrouver les auteurs des menaces, notamment issues des réseaux sociaux, en raison de leur anonymat, Anne Brugnera estime que "la police fait le job puisque certains ont été retrouvés", comme l’illustre l’arrestation des membres présumés du groupe VIVI. En revanche, la députée du mouvement Territoires de progrès appelle maintenant la justice à faire le travail sur les peines prononcées, car, selon elle, jusqu’à présent il y a eu "des déceptions assez fortes", même si elle a "bon espoir que ça évolue".

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