Les chiffres du parc privé sont passés de 2 900 logements vacants en 2020, à 3 400 en 2023 (+15 %), puis à 5 600 en 2024, soit près du double en cinq ans.
Les chiffres du parc privé sont passés de 2 900 logements vacants en 2020, à 3 400 en 2023 (+15 %), puis à 5 600 en 2024, soit près du double en cinq ans.

Lyon : la montée silencieuse des logements vacants

À Lyon, le nombre de logements vacants de longue durée progresse malgré une tension locative importante. Vétusté, vieillissement des propriétaires, stratégie d’attente ou spéculation : plusieurs facteurs se combinent pour expliquer ce paradoxe immobilier, alors même que 30 000 personnes vivent sans solution de logement dans la métropole lyonnaise.

Les termes sont durs. “Incompréhensible”, “irresponsable” voire “débile en plus d’être égoïste”. À la sortie des agences de location, les candidats en quête d’un logement à Lyon goûtent peu d’apprendre l’augmentation du nombre de logements vacants de longue durée.

On galère déjà assez comme cela, pas besoin d’en rajouter”, résume pour les autres un jeune professeur de géographie, multipliant les refus de location depuis deux mois avec sa compagne malgré des garants familiaux, un emploi et un salaire stables. Une colère et un paradoxe comme seul l’immobilier peut en produire. L’équation n’est pas intuitive. À Lyon, trois habitants sur quatre sont locataires. À cause d’un marché figé, avec peu de rotation, la demande locative explose et la moindre annonce en ligne peut être submergée par les candidatures. Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que les propriétaires, privés comme publics, ne laissent pas leurs biens vides. Ne serait-ce que pour des raisons de rentabilité.

Lire aussi : Crise du logement : pourquoi l’habitat vacant n’est-il pas réquisitionné ?

Et pourtant. La vacance longue durée (plus de deux ans) est loin d’être un phénomène marginal. Elle représente entre 1 à 2 %, selon les années, de la totalité du parc de logements de Lyon, avec un tiers vide depuis plus de cinq ans. Les chiffres du parc privé sont passés de 2 900 logements vacants en 2020, à 3 400 en 2023 (+15 %), puis à 5 600 en 2024, soit près du double en cinq ans. Attention cependant, la fiabilité de cette dernière année est mise en cause du fait d’une nouvelle méthode de comptage [lire l’encadré]. “Malgré le flou sur les chiffres exacts, si l’on regarde seulement la tendance, il est vrai qu’il y a plutôt une hausse ces dernières années”, reconnaît Sophia Popoff, adjointe (Les Écologistes) au logement à la Ville de Lyon.

13 ans après : toujours des dizaines de logements municipaux inoccupés

Plus étonnant encore, l’impossible réduction de logements vacants détenus par les collectivités. En octobre 2012, Lyon Capitale publiait une enquête sur le scandale des centaines d’appartements de fonction vides, souvent chauffés, appartenant aux collectivités locales de l’agglomération notamment dans les écoles. Un travail journalistique alors repris par les chaînes de télévision nationales. La seule ville de Lyon comptait 180 logements vacants. Treize ans plus tard, qu’en est-il ? “Au début du mandat on recensait 210 logements vacants. Aujourd’hui on est à 160, dont 117 dans des bâtiments scolaires, et 50 avec une perspective de sortie à moyen terme”, dénombre l’adjointe au logement.

Est-ce à dire qu’en treize ans, la municipalité n’aurait réduit la vacance de son patrimoine que de quelques dizaines de logements ? “Non, car il y a des entrées et des sorties du stock de logements vacants en permanence, défend Sophia Popoff. Pour elle, “impossible de descendre à zéro. Chaque année, on cède, on loue, on récupère, on rachète. Si demain, il y a une opportunité foncière, le stock pourrait encore remonter. Cela répond à une stratégie foncière. En tant que collectivité, on a la responsabilité de garantir des équipements de services publics et donc de constituer une réserve”.

À cela s’ajoutent des limites structurelles. Les élus de la majorité tout comme leurs opposants le reconnaissent : “Il y a une partie incompressible. Certains logements sont trop proches des enfants pour être réutilisés, notamment avec des personnes sans-abri”, reconnaît un conseiller de droite, connaisseur du dossier. “Nous sommes d’abord garants de la sécurité des enfants. Difficile de faire du logement d’urgence dans ces conditions”, explique Sophia Popoff. Afin d’y remédier, la municipalité annonce travailler à des solutions pour y loger ses propres agents, ou les transformer en salles de classe. Mais la fin de mandat de mars 2026 approchant, les délais semblent courts pour se lancer dans de pareils chantiers. D’autant que la tendance est plutôt à la fermeture, avec un solde de -18 classes à la rentrée de septembre dernier.

Reste que la majorité écologiste défend son bilan : 22 appartements de fonction réhabilités en logements sociaux près des écoles Diderot et Champvert (Lyon 5e), 10 logements participatifs près du groupe scolaire Alphonse-Daudet (Lyon 9e) ou encore l’ancien collège Serin (Lyon 4e) transformé en 36 logements étudiants. En tout, près de 80 logements d’instituteurs ont été remis sur le marché depuis 2020. D’autres projets sont aussi en cours, comme la reconversion de l’ancien ITEP Maria-Dubost (Lyon 7e).

Du côté de la Métropole de Lyon, la vacance ne concerne pas les logements de fonction, quasi inexistants dans son patrimoine, mais les logements compris dans ses projets urbanistiques ou au titre de sa réserve foncière. Le fichier Lovac en recensait 275 en 2020. En 2025, la collectivité déclare en utiliser 50 dans sa Foncière solidaire, à destination des sans-abri et 134 en tant que logements intercalaires, c’est-à-dire utilisés dans l’attente d’un projet de plus grande ampleur. Il en resterait donc 91.

Un parc privé vieillissant à rénover

Dans le parc privé, la vétusté et la rénovation sont les principaux sujets lorsqu’on aborde les causes du logement vacant. S’il n’existe pas de chiffres récents sur l’état général de ces logements, on sait tout de même que 60 % d’entre eux ont été construits avant 1919, selon l’agence UrbaLyon, posant ainsi la question de leur vétusté. À cela s’ajoute le grand âge des propriétaires soit 64 ans en moyenne et 75 ans pour un tiers d’entre eux. Un cocktail fatal, principale piste avancée par les acteurs du logement pour expliquer la vacance longue à Lyon.

Dans la majorité des cas, on aura affaire à des personnes âgées, en difficulté dans la gestion ou la rénovation de leur bien à cause de la fatigue, ou parce qu’elles sont en EHPAD”, avance un spécialiste du viager, familier de ces problématiques. “Il y a aussi des cas d’indivisions longues, conflictuelles, avec des blocages et une immobilisation du bien qui peuvent prendre des années”, ajoute-t-il.

Renaud Payre, vice-président métropolitain chargé du logement, pointe le facteur économique : “C’est ce couple de 68 ans déjà à la retraite, qui perd ses parents et qui hérite. Devenant propriétaire, généralement, d’une passoire thermique, faute de moyens, ce couple ne peut rien faire”, déplore l’élu qui tente depuis deux ans de créer une coopérative publique en vue de racheter, rénover et louer en logements sociaux ce type de biens immobilisés par les circonstances. Une initiative sans succès à ce jour.

De manière générale, faute d’outils véritablement adaptés à la vacance, les élus préfèrent vanter leur politique d’aides à la rénovation, et notamment le dispositif “Louer Solidaire” permettant de financer jusqu’à 80 % du coût de travaux en plus d’une importante ristourne fiscale pouvant aller jusqu’à -65 %, contre un loyer réduit et un accompagnement clé en main. Problème, le dispositif peine à convaincre. À ce jour, seule une cinquantaine de propriétaires de logements vacants s’est lancée.

Spéculation immobilière

Sauf que la vétusté n’est pas la seule cause de vacance. Deux phénomènes au moins se croisent et se cumulent : 38 % des logements durablement vacants appartiennent à des sociétés, et il y a une surreprésentation des biens en monopropriété (un propriétaire unique pour tout l’immeuble), généralement des fonds, des assurances… Plusieurs raisons peuvent amener ces grands propriétaires à préférer un bien vide. “D’abord, il arrive que le propriétaire ait des projets de travaux, avec parfois de nouvelles divisions en lots. Par souci d’économie, il est préférable de faire tous les travaux d’un coup, ce qui signifie attendre que tous les biens soient disponibles et cela peut prendre du temps”, explique un consultant en immobilier d’investissement de la place lyonnaise qui préfère rester anonyme. D’autre part, il arrive que certains groupements ou SCI familiales, dans une logique d’optimisation fiscale, notamment sur la plus-value immobilière, veuillent éviter une baisse de valeur liée à un locataire en place, afin de faciliter les changements d’usage du futur acquéreur. Ils préfèrent donc laisser l’inflation faire son œuvre, et se payer plus tard sur la plus-value.

Une réalité qui recoupe le phénomène des multipropriétaires identifié par l’Insee en 2021 : 57 % du parc immobilier à Lyon est détenu par des propriétaires de cinq logements ou plus. Le chiffre monte même jusqu’à 79 % pour les ménages propriétaires de deux logements ou plus. De quoi donner du grain à moudre à tous ceux qui dénoncent une concentration excessive de la propriété immobilière, où les logiques patrimoniales et spéculatives prennent le pas sur les besoins réels en logements. Dans ce contexte, la vacance semble davantage devenir un choix stratégique que le symptôme d’un problème social.


Bataille de chiffres : ils doublent en deux ans

Il n’existe pour l’instant pas de chiffres définitifs et incontestables sur la vacance de longue durée dans l’agglomération lyonnaise. Les données actuelles reposent sur un fichier national appelé Lovac jusqu’alors tiré des statistiques de la taxe d’habitation. Or, avec la disparition promise par Emmanuel Macron de cette taxe, le comptage des données a dû évoluer. Désormais, ce sont les propriétaires eux-mêmes qui indiquent l’usage de leurs biens depuis la plateforme numérique des impôts. Une déclaration à la fiabilité toute relative, tant du fait de sa nouveauté que de sa forme 100 % numérique, avec laquelle certains ne sont pas à l’aise. Conclusion, ce simple changement a entraîné en 2024 un doublement des logements vacants à Lyon et une hausse de +64 % dans la métropole.

En réaction, ni la Ville ni la Métropole ne valident ces chiffres, évoquant une possible erreur. “Nous avons alerté les services de l’État”, indique Renaud Payre. “Si ces chiffres étaient exacts, ce serait inquiétant”, ajoute Sophia Popoff. Sollicitée par Lyon Capitale, l’équipe Data du Cerema, chargée de la publication de ces chiffres, appelle à la prudence : “Depuis deux ans, on observe une rupture de série liée à l’évolution des modes de collecte. Le phénomène est encore plus marqué dans les grandes villes.” Et de prévenir : “Le décalage constaté en 2024 risque d’être encore plus important en 2025.


La droite défend les propriétaires de logements vacants

Le conseiller municipal LR Romain Billard ne mâche pas ses mots : “La majorité écologiste a un regard trop politique et manque de pragmatisme. Ils n’ont pour unique réponse que le logement social et la réquisition, à laquelle nous sommes bien sûr opposés. Il existe encore un droit de la propriété dans ce pays. On ne peut pas demander au propriétaire particulier de régler un problème public. Ce n’est pas une roue de secours. D’autant que la taxe et l’impôt de manière générale sont déjà censés suffire à financer le logement d’urgence. Ensuite, quoi qu’on en pense moralement, chacun est libre de disposer de son bien comme il l’entend. S’il y a des problèmes de vacance, il faudrait plutôt faire de la dentelle et être flexible sur les principes. Cela signifie, par exemple, essayer de voir pour chaque copropriété ce qu’il est possible de faire.


La taxe sur la vacance : 1,3 % d’erreurs

À Lyon, ville classée en zone tendue, les logements inoccupés depuis plus d’un an au 1er janvier peuvent être taxés. La taxe sur les logements vacants (TLV) s’élève à 17 % de la valeur locative la première année, 34 % les suivantes. Des exonérations existent : logement en travaux, proposé à la location ou inhabitable. Interpelé par plusieurs propriétaires se plaignant de la payer à tort, parfois bail à l’appui, Lyon Capitale a interrogé les services fiscaux sur ces erreurs. Selon ces derniers, le taux d’erreur au niveau national sur cette taxe s’élève à 1,3 % des dossiers.

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