Centre de rétention administrative lyon saint exupéry
Le Centre de rétention administrative 2 de Lyon Saint-Exupéry. (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

Les étrangers sans-papiers retenus dans un centre "anxiogène, pire que la prison"

A Lyon Saint-Exupéry, le centre de rétention administrative (CRA) 2 est pointé du doigt par le barreau de Lyon. Il serait "pire que la prison".

"On est méchant avec les méchants, mais on est gentil avec les gentils." Ces mots prononcés par Gérald Darmanin le 2 novembre 2022 alors qu'il présentait les grandes lignes de la loi immigration ont, selon la bâtonnière de Lyon, "bouleversé la donne" quant aux conditions de rétention des étrangers sans papiers au Centre de rétention administrative (CRA) 2 de Lyon Saint-Exupéry.

"Il va y arriver un drame"

Vendredi 14 avril, maître Marie-Josèphe Laurent a exercé son droit de visite au sein de cet établissement ouvert en janvier 2022 pour un montant de 25 millions d'euros, duquel ressort une atmosphère "anxiogène, pire que la prison". Accompagnée de la députée (EELV) du Rhône, Marie-Charlotte Garin et du sénateur (EELV) du Rhône, Thomas Dossus, tous s'inquiètent des conditions de rétention des - environ - 120 étrangers sans papiers retenus administrativement dans ce CRA (le jour de la dite visite), établissement pilote pour de nombreux autres en France.

Un CRA c'est quoi ?
Un centre de rétention administrative (CRA) est une structure d'accueil où sont placées des personnes en situation irrégulière sur le territoire français, en vue de leur expulsion du pays. Les CRA sont destinés à accueillir des étrangers en situation irrégulière qui ont été interpellés par les autorités françaises pour non-respect des règles d'entrée et de séjour sur le territoire.
Les personnes placées en CRA peuvent être des demandeurs d'asile déboutés, des personnes en situation de séjour irrégulier ou des étrangers en attente de leur transfert vers un autre pays européen dans le cadre des accords de Dublin. Le placement en CRA ne peut être effectué qu'après une décision administrative ou judiciaire et pour une durée limitée (maximum 90 jours).
Pendant cette période, les personnes retenues peuvent faire l'objet d'une procédure d'expulsion ou d'un recours devant le juge des libertés et de la détention pour contester leur placement.

Historiquement conçus sur un modèle hôtelier, les CRA ne sont pas des prisons, et ses occupants pas des détenus. Mais à Lyon Saint-Exupéry, tout proche de l'aéroport, l'architecture du lieu adopte un modèle pénitentiaire assumé. C'est ce qu'avait pointé du doigt le vice-bâtonnier, Me Jean-François Barre lors d'une première visite au printemps 2022. "Lorsqu'on est ressorti, on s'est dit, 'ok, il va y arriver un drame'", confie le vice-bâtonnier. "Dans ce CRA, on se retrouve dans un univers très carcéral", pointe du doigt le sénateur Thomas Dossus, habitué des visites d'établissements pénitentiaires. Le centre est conçu en plusieurs blocs accolés côte à côte mais isolés les uns des autres. Chacun de ces blocs accueillant une vingtaine de retenus "dans de petits espaces", ajoute le sénateur. Le maintien de l'ordre est assuré par des policiers, notamment des réservistes de la police aux frontières. "Selon eux, ils n'ont besoin d'aucune formation particulière, tout va bien", déplore la bâtonnière.

barreau de lyon batonnière et vice batonnier
La bâtonnière et le vice-bâtonnier ont visité le Centre de rétention administrative de Lyon Saint-Exupéry. (Photo : Nathan Chaize)

Une cellule d'isolement… sans procédure discipline

Au sein de ces espaces dans lesquels les retenus peuvent rester jusqu'à 90 jours, impossible d'obtenir la moindre intimité. "Les douches sont fermées par de simples portes battantes type "saloon" et les portes des chambres ne se ferment pas, tout est ouvert pour les 20 retenus du bloc", déplore Me Morgan Bescou, membre de la commission du droit des étrangers au barreau de Lyon. "On a vu des occupants créer des verrous avec des bouts de draps pour fermer leur porte la nuit", appuie la bâtonnière. Pire, une cellule d'isolement est à disposition des policiers, "pour, nous a-t-on dit, 'protéger les retenus d'eux-mêmes'", ajoute Me Laurent. Equipée de ceintures de contentions, "utilisées à la discrétion des policier", elle ne répond à d'autre cadre légal qu'un règlement intérieur affiché dans une zone d'activité à laquelle les retenus ont accès une heure par jour.

C'est aussi l'absence de lien entre les détenus et les prestataires intervenant dans le CRA qui fait dire aux membres du barreau que cet établissement de rétention est devenu pire pour ses occupants qu'une prison dans laquelle "au moins, les surveillants et les détenus se connaissent", insiste Me Marie-Josèphe Laurent. 30 minutes pour manger, sans croiser les personnels de restauration, sur des tables sellées au sol, une laverie dans laquelle les retenus déposent les vêtements et viennent les récupérer une fois prêts, sans contact avec le prestataire, "on a l'impression que tout est là pour punir", appuie Me Jean-François Barre.

Les HCL retirent leur personnel

Seul lieu de vie commune, la zone d'activité contrôlée (ZAC). Mais là encore, les retenus n'y ont droit qu'une heure par jour et par bloc, ne permettant pas de côtoyer les occupants des autres blocs. C'est au cours de cette petite heure quotidienne que les étrangers sans papiers peuvent s'aérer mais aussi rencontrer les membres de Forum Réfugiés ou les personnels soignants. La situation, intenable, créée une ambiance de tension extrême au sein de l'établissement, en témoigne l'incendie volontaire déclenché en mars 2022.

Tellement tendue que les Hospices civils de Lyon ont décidé de retirer leur personnel, pourtant habitué à travailler dans des centres pénitentiaires. Contactés par Lyon Capitale, les HCL expliquent que "le type de population de retenus administratifs pris en charge a évolué pour accueillir majoritairement un population d'étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles publics (représentant 86 % des effectifs du CRA à l'heure actuelle selon la préfecture, Ndlr). L'agencement du bâtiment ne garantissait plus alors suffisamment la sécurité de l'exercice des professionnels de santé au sein de l'unité médicale." Me Bescou assure de son côté que "ce ne sont pas les détenus qui créent la violence. Ce ne sont pas des sauvages que l'on a déplacé d'un endroit A à un endroit B. C'est la structure dans laquelle ils sont enfermés qui est à l'origine de la violence."

"On craint pour notre sécurité et celles des retenus"

Toujours est-il que les HCL ont maintenant recours à un prestataire privé pour assurer "la couverture médicale et paramédicale du CRA 2", expliquant qu'un "travail actif est mené par les services de la Préfecture en lien avec HCL et l'ensemble des partenaires exerçant au CRA pour concevoir des aménagements adaptés". L'association Forum Réfugiés, elle aussi largement habituée de l'accompagnement dans les CRA, a exercé à plusieurs reprises son droit de retrait, ses personnels devenus défouloir pour des retenus sous tension. L'association pointe du doigt le fonctionnement du CRA notamment le manque "d'effectifs policiers au sein de la ZAC pour assurer la sécurité de tous et réguler, note Assane Ndaw, son directeur de l'accompagnement en CRA. On a vécu des moments très compliqués et des collègues ont fini par ne plus y arriver, parce que la police n'assurait pas son rôle de régulateur."

"On a créé une structure avant même d'en fonder sa base légale."

Me Bescou, membre de la comission des droits des étrangers au barreau de Lyon

Pourtant, "les policiers nous ont dit qu'ils étaient suffisamment nombreux pour assurer leur tâches", relève Me Laurent. L'heure quotidienne accordée aux retenus, bien trop courte pour permettre aux 20 occupants d'un bloc de réaliser leurs démarches administratives "engendre de la tension dans le fonctionnement général et rend impossible de revoir les personnes sans que la police ne l'accepte, déplore Assane Ndaw. La pression exercée sur nous au CRA 2 n'a rien de similaire au CRA 1. On craint pour notre sécurité et celle des retenus." Depuis 2023, Forum Réfugiés note tout de même une infime amélioration permise par leur présence une dizaine de minutes supplémentaire chaque jour.

Un travail législatif en vue

La barreau de Lyon, qui a alerté le contrôleur des lieux de privation de liberté, attend maintenant avec impatience le rapport de l'inspection générale. Un rapport sera également rendu par le barreau, et la bâtonnière va alerter la préfecture sur les conditions de vie dans le CRA. Un travail législatif, "dans un climat difficile", attend aussi le sénateur Thomas Dossus et la député Marie-Charlotte Garin, à l'occasion de l'examen de la loi immigration. "Ce type de CRA est un nouveau modèle pour lequel nous n'avons pas de cadre légal, déplore Me Bescou. Et d'ajouter : On a créé une structure avant même d'en fonder sa base légale."

Mise à jour. Dans un mail envoyé à notre rédaction ce mercredi quelques minutes après publication, la préfecture assure être "à l’écoute des parties prenantes du CRA qu’elle réunit régulièrement afin de parvenir au meilleur équilibre possible". Elle explique également avoir adapté l'unité médicale du CRA 2 avec la présence permanente d'un policier et l'installation d'un passe-plat pour les médicaments. Un sas de sécurité "pourrait également être installé afin d’assurer aux infirmiers une prise en charge individuelle des retenus".

Lire aussi : Coronavirus à Lyon : situation sanitaire préoccupante dans le centre de rétention administrative

Les commentaires sont fermés

Suivez-nous
tiktok
d'heure en heure
d'heure en heure
Faire défiler vers le haut