La leçon de sang-froid de Maître Eolas

Suite à “l’affaire du bijoutier de Nice”, j’ai reçu un certain nombre de courriels m’incitant à lire le texte d’un avocat, Maître Eolas. Je dois dire que ce texte me dérange triplement : en tant que journaliste, en tant que juriste et, surtout, en tant que citoyen. Je vais par conséquent y répondre sans verser dans la passion.

Maître Eolas écrit ainsi, à propos du braquage proprement dit : “Deux individus armés de fusils à pompe l’ont alors contraint à ouvrir son coffre et se préparaient à prendre la fuite sur un scooter (je ne connais pas le déroulé précis des faits mais il semblerait que des coups lui aient été portés).”

Alors que cette question est cruciale, voilà que notre avocat va d’emblée bâtir tout son raisonnement sans aucunement connaître, de son propre aveu, “le déroulé précis des faits”. Il paraît que… on murmure que… “les versions divergent”… On a connu plus rigoureux, ce type de raisonnement n’étant ni juridique, ni journalistique, ni scientifique. Il exprime tout au plus une opinion, une intime conviction, sur la base fluctuante de propos rapportés sur Internet, ce qui est tout à fait le droit de son auteur. Toutefois, il eût mieux valu le préciser d’emblée, plutôt que d’écrire, un peu plus loin, que “le droit est une science”, manière de signifier, via une sentence sans appel possible, que le sieur ne s’adresse qu’aux gens sérieux.

Puis notre avocat poursuit : “À vous donc, qui ne comprenez pas que la justice n’ait pas donné une médaille à ce bijoutier, que dit la loi sur ces faits ?” Là, nous commençons à entrer dans une sorte de délire, qui ne cessera plus. On ne voit pas de quelle “médaille” il s’agit et encore moins de quelle “justice”, alors même que nous n’en sommes qu’au début de l’enquête de police. S’ensuivent des considérations d’une banalité affligeante, le tout sur le ton condescendant de celui qui sait, sur les magistrats et les procureurs de la République, qui, on est heureux de l’apprendre merci, “ne sont pas des souverains capricieux, des petits seigneurs châtelains libres d’appliquer une loi réduite au rang d’aimable suggestion selon leur bon sens paysan”.

Les dingues et les paumés

Puis, notre avocat de nous expliquer ce que signifie vraiment la légitime défense et de nous détailler les différentes autres causes d’irresponsabilité pénale avec force exemples pour les plus demeurés d’entre nous : en bénéficient ainsi les faibles d’esprit (nous, peut-être), les paraplégiques qui fument des pétards dans le but d’apaiser leurs douleurs ou encore les enfants de moins de dix ans (là, c’est sûr, on est moins concernés).

Ensuite, en prenant soin d’ouvrir “l’œil du juriste sur cette affaire”, notre homme de loi “suppose” encore et toujours. “Faute de précision contraire, écrit-il, je suppose que les armes utilisées étaient réelles et approvisionnées, donc dangereuses, même si la loi considère qu’un vol commis sous la menace d’une imitation d’arme est également un vol à main armée”. Puis vient ce passage admirable : “Les auteurs étaient deux. Il est possible qu’ils aient planifié cette attaque au point de constituer une bande organisée.” Là, franchement, le doute est permis. Les malfaiteurs étaient-ils vraiment organisés ? Avaient-ils bien préparé leur braquage et suffisamment répété ? Au final, il semblerait que non, sauf si l’un des deux avait ainsi planifié son suicide.

Le bijoutier, ce pur salaud

Vient ensuite un rappel interminable de la jurisprudence relative à la légitime défense, sur laquelle je ne m’étendrai pas. Puis, s’adressant non pas aux citoyens comprenant le geste du bijoutier mais plus basiquement aux “cliqueurs de soutien” faisant preuve de “ce fameux bon sens” que Maître Eolas dit une fois de plus haïr “car il est le contraire de la réflexion” comme “le préjugé étayé par les idées reçues qui permet de résumer une pensée à un clic”, l’avocat se livre à une attaque en règle du bijoutier. Non seulement, “à 67 ans, âge vénérable, la vue baisse” et “la main tremble” mais le bijoutier, rendez-vous compte, est un pur salaud :

– avec son arme détenue illégalement, il aurait pu blesser un passant (mais ce n’est pas arrivé, là encore Maître Eolas suppose) ;

– circonstance aggravante, ce passant aurait pu être “un enfant se rendant au parc et se prenant une balle perdue” (mais ce n’est pas arrivé non plus, là encore Maître Eolas suppose) ;

– au surplus, l’agresseur était “un jeune homme de 19 ans, futur père. Dans quelques mois, écrit notre avocat, un enfant va naître. Il ne connaîtra jamais son père (…) La souffrance de ce père absent, mort à 19 ans, c’est cet enfant qui va se la prendre dans la figure, et ça peut être terriblement destructeur”. (Une fois encore, Maître Eolas “suppose” et continue sur ce registre larmoyant à s’apitoyer sur la future descendance de l’agresseur, par un incroyable retournement de la situation.)

Une leçon de République

Enfin, après avoir expliqué ce qui allait se passer dans le détail, et “la mauvaise surprise” qui attendrait le bijoutier (car Maître Eolas continue encore et encore de supposer), notre auteur conclut : “La loi impose une réponse et la loi permet que cette réponse soit modérée. Et la République, notre République, est bâtie sur le règne de la loi et elle seule. Ne commencez pas à souhaiter que la loi du Far West ne s’impose. De peur que votre vœu soit exaucé.”

Personnellement, ce n’est pas ce que je souhaite et je ne me prends pas pour Lucky Luke. Non, ce que je souhaite vraiment, ardemment, c’est que des hommes de la trempe de Maître Eolas investissent les petits commerces : bijouteries, épiceries, bars-tabac. Le pays serait incontestablement apaisé, force resterait à la loi et, en cas de braquage, il n’y aurait ni veuve éplorée ni orphelin à naître : juste des types hautement civilisés à la vue perçante, qui, braqués par un fusil à pompe, brandiraient sans trembler le Code pénal. De sang-froid. Si un tel drame m’arrivait, je ne sais vraiment pas, à chaud, comment je réagirais. Mais je trouve que la leçon de République de Maître Eolas est tout à fait déplacée et pour tout dire scandaleuse.

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