Sophie Parra était au Bataclan le 13 novembre 2015

"L'horreur, c'est tous les jours depuis le 13 novembre", une Lyonnaise rescapée du Bataclan se confie à Lyon Capitale

Ce mardi 12 octobre, Sophie Parra, une Lyonnaise rescapée du Bataclan le 13 novembre 2015, se rend à Paris pour témoigner de l’horreur qu’elle a vécu ce soir-là… Elle se confie à Lyon Capitale.

« L’enjeu est de pouvoir en parler sans m’effondrer » assure Sophie Parra, la voix tremblante. 6 ans après l’attaque, et quelques heures avant son témoignage à Paris, l’émotion reste la même pour la native de Lyon. La jeune femme de 37 ans, qui a grandi à Villeurbanne, s’est exilée pendant 12 ans à Paris avant de revenir à Lyon après les attentats. « Je suis une enfant d’ici » rappelle-t-elle en souriant. Cependant, le 13 novembre 2015, peu après 21h40, comme les 1500 autres personnes présentes au Bataclan, la vie de la fenotte – "de l'enfant d'ici" – changeait à tout jamais. Ce soir-là, elle est touchée de deux balles dans la jambe par l’un des trois assaillants.


« Il a déjà ses tribunes dans la presse. Tout le monde relaie ce qu'il dit, ce qu'il fait »

Sophie Parra, rescapée du Bataclan parle de Salah Abdeslam  


Près de 6 ans plus tard, elle est appelée à témoigner à la barre de la salle des pas perdus du Palais de Justice de Paris. Son angoisse : « être confrontée à "l’autre" qui se sent obligé de faire son show et de nous provoquer ». "L’autre", c’est Salah Abdeslam. Tout au long de l’entretien, Sophie ne citera jamais son nom. « Il a déjà ses tribunes dans la presse. Tout le monde relaie ce qu’il dit, ce qu'il fait » justifie-t-elle. « Le plus important, c’est nous, notre vécu, ce qu’ils nous ont fait subir » continue la villeurbannaise, très remontée.

Un procès redouté

Sophie Parra

Sophie appréhende ce mardi 12 octobre, jour de son témoignage en tant que partie civile du procès. Pourtant, elle est déjà montée deux jours en septembre à Paris pour « prendre la température, voir la salle, son aménagement ». La désormais ex-parisienne y est aussi et surtout allée « pour ne pas arriver le jour J comme une fleur et être en panique » confie-t-elle à Lyon Capitale. Quasi-constamment branchée à la web radio qui diffuse le procès en direct, Sophie admet trouver de la force dans les témoignages des autres rescapés « D’abord, je me dis ‘’je ne vais jamais y arriver, je ne peux pas, j’ai trop peur’’. Puis la seconde d’après, je me répète que moi aussi je peux le faire, qu’il faut que je le fasse. Pour cela, la web radio m’aide bien » admet-elle.


« Je me dis "je ne vais jamais y arriver, je ne peux pas, j'ai trop peur." Puis la seconde d'après, je me répète que moi aussi je peux le faire, qu'il faut que je le fasse »


Si la villeurbannaise n’est pas complètement sûr de trouver la force de parler devant l’assemblée, elle confie que son témoignage est déjà écrit « pour ne rien n’oublier ». À l’intérieur, la rescapée parle de son 13 novembre « à elle », c’est-à-dire de tous « ces détails, des couleurs, des odeurs ». En revanche, Sophie omettra volontairement certains faits « il y a des choses dites par d’autres victimes dont je ne me rappelle pas. Par exemple, j’ai un black-out total sur le visage des terroristes. Pourtant, je me souviens bien de leur sourire quand ils nous tiraient dessus » assure-t-elle en marquant plusieurs pauses, plein d'émotions. « Ils étaient extrêmement calmes. J’avais l’impression d’avoir en face de moi des jeunes en train de jouer à Call of Duty. Pour eux, c’était un plaisir de faire ça » continue-t-elle.

Sophie a parfaitement conscience du courage qu’il faudra pour s’avancer à la barre devant Salah Abdeslam et de le confronter en tête-à-tête. « C’est particulier de se retrouver dans la même salle que lui, de respirer le même air que lui. Moi, j’ai juste envie de lui mettre un coup de tête ». Dans cette nouvelle épreuve, la native lyonnaise sera épaulée par une amie – présente au Bataclan le 13 novembre également – mais sera aussi entourée de son avocate et des associations de victimes avec qui elle garde contact.


« Ils étaient extrêmement calmes. J’avais l’impression d’avoir en face de moi des jeunes en train de jouer à Call of Duty »

Sophie Parra, présente au Bataclan le 13 novembre 2015


Un Fonds de Garantie des Victimes pas à la hauteur

Aujourd’hui salariée en informatique, la victime insiste : « pour beaucoup de gens, l’horreur c’est le 13 novembre, alors que l’horreur, c’est tous les jours depuis le 13 novembre ». Ces paroles, elle s’est jurée de les redire ce mardi à la barre. Dans son témoignage, Sophie veut dire combien « l’État en a rien à foutre » et à quel point « le fonds de garantie est inhumain. Une fois qu’ils ont estimé combien on ‘’valait’’, c’est prenez l’argent et démmerdez-vous » invective-t-elle.

Sophie Parra était présente au Bataclan

Des comportements inexplicables qui ne passent pas, même des années après, pour les associations de victimes. Sophie reproche à Emmanuel Macron la suppression du secrétariat général de l'Aide aux Victimes crée par François Hollande : « c’était bien, on pouvait l’appeler pour trouver un psy, un logement, un emploi. Moi, il m’a fait du bien. Mais apparemment, ça n’était qu’un gadget selon Gérard Collomb. Je l’ai encore en travers de la gorge lui ».

Un quotidien bouleversé  

Encore aujourd’hui, tout l’enjeu réside dans l’acceptation des blessures psychologiques. « Mon 13 novembre ne s’est pas arrêté à la sortie du Bataclan » raconte-t-elle. Après 12 ans passées à Paris, Sophie retrouve l’agglomération lyonnaise « histoire d’essayer de trouver une tranquillité d’esprit suite à ces attentats ». Pourtant, son quotidien n’en demeure pas moins bouleversé.


« Pour beaucoup de gens, l'horreur c'est le 13 novembre, alors que l'horreur, c'est tous les jours depuis le 13 novembre »


Encore samedi dernier, elle s’est rendue à la Vogue des marrons de Croix-Rousse. « Les attractions avec du feu, le cri des gens, les bruits » ; la fête foraine traditionnelle de sa ville s’est transformée en un véritable cauchemar pour la lyonnaise de cœur. Le pire ? « C’est la foule » souffle Sophie. « De toute façon, les sorties cinéma, théâtre et concert me demandent une telle préparation morale que je n’y vais que très rarement ».

Pourtant, So__parra sur les réseaux sociaux, a tweeté le 30 septembre dernier « un truc dont elle ne se serait plus crue capable » : la photo de son billet pour le concert des Eagles of Death Metal le 22 avril prochain à l’Olympia. Si "elle se réserve encore le droit de changer d'avis", Sophie devrait s'y rendre avec son amie. La même amie qui était là, le 13 novembre 2015 au Bataclan, lors de la représentation du groupe de hard rock. « C’est beaucoup de choses ce concert, il arrive vers la fin du procès. C’est pour réussir à boucler la boucle. On va pouvoir tourner la page et sortir de ce concert vivant, sur nos deux jambes ».

« Victime d’attentat à la retraite »

Aujourd’hui, si Sophie sait qu’elle ne peut plus compter sur les aides envoyées par l’État, elle se dit « très bien épaulée » par ses amis. « À l’époque, mon meilleur ami, qui sait que je déteste Kev Adams, a décoré ma chambre d’hôpital de posters de lui. Je ne pouvais pas marcher pour les enlever, c’était une horreur » raconte-t-elle en plaisantant. Elle, qui se désigne comme « victime d’attentat à la retraite » dans sa bio Twitter, sera pour toujours « la même personne » promet la lyonnaise.

Tout le paradoxe de Sophie demeure dans l’issue du procès : « j’espère beaucoup de choses mais je ne m’attends à pas grand-chose ». La seule volonté de la victime : « qu’ils craquent, qu’ils viennent nous demander pardon, qu’ils expriment des regrets ». Si le message est passé, pas sûr que « l’autre » l’entende.

Lire : Bataclan, attentats, justice : le magistrat Georges Fenech se confie à Lyon Capitale

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