Corse : Mattei-Costa, une histoire de vendetta

Manuel Valls l’affirme, “la violence est enracinée dans la culture corse”, ce qui soulève un tollé dans l’île. Illustration par une vendetta qui oppose depuis des années deux familles du banditisme.

La prise de bec intervenue mardi dans les tribunes de l’assemblée entre Manuel Valls et le député corse Laurent Marcangeli a tourné à l’avantage du ministre de l’Intérieur. Bien qu’elle dérange les élus insulaires, il existe bien une violence endémique dans l’île, qui se cristallise dans la culture de la vendetta importée il y a plusieurs siècles de Lombardie.

Jeudi 24 janvier 2013, Ponte Leccia. Nous sommes en milieu d’après-midi et Jean Gandolfi circule dans son gros 4x4 quand une rafale d’arme automatique fait voler les vitres en éclats. Son épouse, qui se trouve à ses côtés, est légèrement touchée par des éclats de verre. On a frôlé le pire.

Ce fait divers n’aurait peut-être pas soulevé l’intérêt des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille s’il ne renvoyait à une autre scène bien plus sanglante, survenue six mois plus tôt sur une route tortueuse, celle de la très touristique Scala di Santa Regina. Une centaine de douilles de kalachnikov seront retrouvées sur place et trois cadavres dans une voiture, ceux de Jean-Pierre Colombani, Sébastien Mattei et Don Jean Gandolfi. Ce dernier n’est autre que le fils de l’homme que l’on a voulu abattre le 24 janvier.

Au-delà des recompositions du milieu insulaire qui opposent les clans Casanova et Mariani (voir les épisodes précédents de notre enquête), la vendetta qui oppose les Mattei aux Costa aurait sans doute inspiré Mérimée.

La haine de deux familles

Il est ici question de banditisme, certes, mais aussi de haine, une haine qui a conduit à l’élimination l’été dernier d’une pointure de La Brise de Mer : Maurice Costa, abattu de deux décharges de fusil de chasse dans une boucherie-charcuterie de Ponte Leccia.

Un temps, les enquêteurs pensent que cette exécution est liée au grand nettoyage de ces derniers mois et à la recomposition de la mafia locale. Costa est considéré comme l’homme de Corte, la capitale historique de la Corse. Les Costa contrôlent restaurants, lounge bars et discothèques. De quoi attiser les convoitises.

Au bout de quelques semaines, l’affaire paraît pourtant bien plus simple et conduit à la haine entre deux familles, distantes d’une simple vallée. D’un côté, Moltifao, patrie des Costa. De l’autre, Corscia, perché tout en haut de la Scala di Santa Regina, berceau de Mattei. Entre les deux, Ponte Leccia.

Qui a tué Maurice Costa ? Sans doute, estiment les enquêteurs, Sébastien Mattei, qui n’a guère eu le temps de savourer sa victoire, tout comme Don Jean Gandolfi, qui aurait joué les “sonnettes” le jour de l’assassinat. C’est en effet lui qui a donné le top départ, le coup de fil fatal, quand Maurice Costa a quitté Moltifao, le 7 août 2012, pour descendre vers Ponte Leccia. Pour les Costa, le traître, c’est lui. Il doit mourir.

La famille Costa fait passer le message : elle ne laissera pas la mort de Maurice impunie. Le trio impliqué dans l’assassinat a eu la mauvaise idée d’aller parader à Corte en se présentant comme les nouveaux maîtres des lieux. À L’An 2000, un établissement contrôlé par les Costa, ils célèbrent bruyamment leur victoire en faisant tourner les jéroboams de champagne : “Nous sommes les patrons !” Un vrai camouflet pour les Costa.

Un pacte rompu par les jeunes

Les Mattei et les Costa, ce sont les Horace et les Curiace du banditisme. Jamais les Mattei ne sont parvenus au niveau de notoriété et de respect des Costa. Surtout, ces derniers n’ont jamais supporté que les Mattei viennent écouler de la drogue sur leur territoire, à tel point qu’un jour Maurice Costa a pris par le collet un Mattei : “Questu un’a fate mica !” (Ça, tu ne le fais pas !)

Pourtant, les deux familles ont longtemps cohabité sans anicroches. Ignace, le patriarche de la famille Mattei, surnommé U Surdu (le sourd), a prospéré dans les machines à sous et dans l’ombre de La Brise de Mer. Mais les jeunes Mattei et leurs alliés les Rogliano ont décidé de rompre le pacte. Un premier coup d’arrêt à ces visées expansionnistes est donné le 17 avril 2009, avec l’assassinat d’Alexandre Rogliano. Ce dernier venait ce jour-là récupérer son père, de retour d’une visite médicale sur le continent. Les deux hommes ne rejoindront jamais Corscia. La voiture est arrosée de balles sur la voie rapide qui part de l’aéroport Bastia-Poretta pour rejoindre la route nationale.

Un an plus tard, c’est la réplique. Florian Costa, neveu de Maurice, est abattu devant sa résidence de Biguglia, en banlieue sud de Bastia, sous le nez de ses deux jeunes enfants assis à l’arrière du véhicule. Florian est clairement soupçonné par les Mattei d’avoir participé à l’assassinat des Rogliano.

C’est l’escalade. Le 17 février 2011, Jean-Baptiste et François-Antoine Mattei quittent le village de Calacuccia pour rejoindre Corscia ; il leur faut emprunter un petit pont et tourner aussitôt sur la gauche. Ils ne passeront jamais ce pont. Les tueurs poursuivent l’une des victimes qui fuit à pied avant de l’abattre dans le fossé. Maurice Costa est mis en examen dans ce dossier, mais laissé libre car les charges sont minces. Tout comme celles qui pèsent sur ses associés présumés, les Federici, membres du redoutable clan des “bergers de Venzolasca”.

Sébastien Mattei avait juré qu’il vengerait ses proches. Il l’aurait fait en tuant Maurice, mais lui-même l’a payé de sa vie, et personne ne sait finalement quand s’arrêtera la vendetta. Sans doute jamais car, comme le dit Manuel Valls, “la violence est enracinée dans la culture corse”.

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