Nouvelle merveille du rock anglais je-m’en-foutiste du monde d’après, Wet Leg, mené par deux filles de tête, revient avec un second album plus complet mais moins direct. Et va surtout offrir sa verve live à une scène lyonnaise.
Si la nonchalance était un sport olympique (ce qui serait toujours plus justifié que ce drôle de machin que fut l’épreuve de breakdance), du genre 3 000 mètres nonchalance, escrime balec ou lancer de marteau par-dessus la jambe, alors nul doute que les filles de Wet Leg auraient glané quelques médailles du plus beau métal aux formidables JO de Paris. Médailles qu’elles ne seraient d’ailleurs probablement pas venues chercher. C’est en effet ce qui se dégage de la musique d’un des groupes les plus courus de la scène indé de ce début de décennie : une sorte de flemme internationale combinée à une classe tangible qui laisserait entendre que tout ça est écrit les doigts dans le nez et joué sans y penser, au talent comme disent les jeunes. Wet Leg c’est quelqu’un qui vous mettrait une gifle sans aucune conviction, ni force mais qui vous laisserait sur le carreau. Ce petit prodige s’est produit une première fois en 2021, lorsqu’est apparu dans le paysage un single prémonitoirement baptisé Chaise Longue. Une tuerie cotonneuse portée par une ligne de basse obsessionnelle et redoutable et un riff à l’avenant, le tout emballant un parlé-chanté tenant autant du mâchage de chewing-gum que de la barcarolle. Une histoire d’exam qu’on réussit sans avoir bossé et de bières tièdes dévalées en backstage où il est aussi question de se faire beurrer le muffin (au sens propre ou figuré, c’est comme on veut). Et de chaise longue bien sûr. La chose, parfait objet pop, propulse Rhian Teasdale et Hester Chambers, deux filles droit sorties d’un croisement entre la série Skins et un film de Robin Hardy, des contours de l’île de Wight à ceux d’une gloire naissante. Sur Wight, elles se rencontrent pendant leurs études à l’université locale et écument les groupes de rock comme les petits boulots (employée de patinoire, assistante costumière, vendeuse de glaces pour l’une, de bijoux pour l’autre, ce qui prouve bien que les études ne mènent à rien). Un concert des Idles les convainc de fonder un énième projet, Wet Leg qui, sur Wight, fait référence au surnom des “étrangers” venus du mini-continent britannique. Première apparition remarquée : le festival de l’île de Wight, justement, réincarnation contemporaine du gigantesque raout qui électrisa le tournant des années 70. Quelques mois plus tard, c’est le confinement et les jeunes femmes en profitent pour tourner un clip localement, quelque part entre La Petite Maison dans la prairie et le Midsömmar d’Ari Aster. Minimaliste au possible et savamment tongue-in-cheek, le clip devient d’autant plus viral qu’il illustre une petite bombe, un de ces girls hit comme on n’en a probablement plus entendu depuis le Cannonball des Breeders et le Connection d’Elastica, il y a trente ans.
Buffalo ’66
Lorsque Wet Leg rejoue pour la première fois dans un festival, le Latitude à Southwold, le groupe tombe des nues de voir que tout le public connaît par cœur les paroles de Chaise Longue et s’en est fait un hymne du confinement. Bon alors, certes, un tube, c’est bien beau mais ça ne fait pas tout. Un deuxième c’est mieux. Et bim, c’est Wet Dream qui enfonce le clou avec autant d’allant et de retenue. L’histoire d’un type qui drague (plus ou moins en rêve, mouillé) en proposant un visionnage de l’excellent et semi-culte Buffalo ’66 de Vincent Gallo, référence popissime s’il en est. Après double escalade des charts d’un peu partout et matraquage des radios alternatives, l’album qui suit, auquel le groupe a donné son nom, chope trois Grammy Awards et deux Brit Awards et hop voilà déjà le suivant, sorti le 11 juillet : le déjà très hydratant Moisturizer. L’ensemble est plus pop, à l’image du look des deux jeunes femmes qui lorgne davantage vers les films de Harmony Korine (Gummo, Spring Breakers) que vers l’attirail champêtre des débuts. Car c’est ainsi dans l’industrie pop d’aujourd’hui, tout nouveau produit s’accompagne d’un changement de packaging et d’un gimmick visuel en lien. Ici, c’est un freak show assumé censé rivaliser avec tout ce que le paysage pop compte d’excentricité fluo. Et comme on se regarde un peu plus, la nonchalance est un peu laissée de côté. Le post-punk aussi parfois, pas complètement (Pillow Talk, Catch These Fists) au profit de poperies dans l’air du temps, c’est-à-dire lorgnant vers Fleetwood Mac (Pokemon), totem muet des dernières tendances sur le front du rock indé (voir le trio, féminin lui aussi, Haim). Ou de mid-tempo façon Belly/Breeders/Pixies (Liquidize, Don’t Speak). D’un point de vue simplement objectif, Moisturizer est excellent, remarquable, tout ce qu’on voudra. À l’aune du court passé musical du groupe néanmoins, rien n’est aussi frontalement indispensable que ce premier album rentre-dedans qu’était Wet Leg et on s’y perd un peu. Mais ce qui continue de fasciner chez ces filles c’est qu’on peut tout aussi bien les placer aux côtés d’icônes punk absolues telles que les Slits que les imaginer en première ligne de l’Eurovision à concourir pour la Slovénie (exemple non contractuel). On peut y voir la manifestation du talent d’un caméléon pop ou appeler cela avoir le cul entre deux chaises. Longues, évidemment.
Wet Leg – Le 28 octobre au Transbordeur