Jean-Denis Muller, directeur général du Réseau des Carnot, est l'invité de 6 minutes chrono/ Lyon Capitale.
La récente distinction de Philippe Aghion, pionnier de la croissance par l’innovation, qui a reçu, lundi 13 octobre, le Nobel de l'économie pour ses travaux sur l’importance de permettre l’innovation dans un pays pour assurer la croissance, résonnera particulièrement à Lyon mercredi 15 et jeudi 16 octobre.
Le Palais des Congrès de Lyon accueille les Rendez-vous Carnot, où 2 000 porteurs de projets d'innovation (dont 1 100 chercheurs et experts) sont attendus ou quand "l’expertise R&D rencontre le monde industriel pour bâtir ensemble les innovations de demain".
"Le Carnot, c'est 10 000 contrats par an : un contrat toutes les 10 minutes"
Cet évènement en un seul lieu les 39 Instituts Carnot et l’ensemble des acteurs de la recherche et du transfert technologique, offrant aux entreprises un accès direct à des solutions de R&D sur mesure.
Qu'est-ce que le Réseau des Carnot ? Peu connu du grand public, c'est un dispositif français qui fédère des instituts de recherche publique, labellisés "Carnot", et engagés dans la recherche partenariale avec les entreprises.
Le label Carnot, créé en 2006, est une reconnaissance d’excellence octroyée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, via l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Les instituts labellisés s’engagent à une activité soutenue de recherche avec des entreprises, dans différents formats (contrats bilatéraux, partenariats collaboratifs, laboratoires communs…).
20 % des moyens humains de la recherche publique française
Sur le plan des effectifs, les instituts Carnot mobilisent environ 35 000 professionnels de la recherche, ce qui représente près de 20 % des moyens humains de la recherche publique française.
Ils réalisent une part importante des contrats de R&D externalisés par les entreprises à la recherche publique (on mentionne que les Carnot accomplissent 55 % de ces contrats).
Le Réseau des Carnot est le leader de la recherche partenariale (collaborations entre les laboratoires de recherche académique et les entreprises) en France. Il regroupe 39 structures de recherche publique labellisées, dont 23 implantées en région Auvergne-Rhône-Alpes. Parmi elles, figurent l’IFPEN, Télécom & Société Numérique, M.I.N.E.S, et Ingénierie @ Lyon.
Deux collaborations emblématiques entre les entreprises de la région et les Carnot : Safran pour le développement de réacteurs d’avions, et Transpolis, dans le cadre du projet Grid4Mobility, dédié à la décarbonation et à la digitalisation des mobilités
Quelques chiffres clés du Réseau des Carnot :
- 2 000 startups créées
- 1 000 brevets déposés chaque année, premier déposant d’Europe
- 20 % des effectifs de la recherche publique
- 636 M€ de recherche contractuelle générée
La retranscription intégrale de l'entretien avec Jean-Denis Muller
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono, nous recevons aujourd'hui Jean-Denis Muller. Jean-Denis Muller, vous êtes directeur général du Réseau des Carnot qui est un acteur majeur de la recherche partenariale en France. Alors, un mot important, la recherche partenariale, on va en parler tout de suite après la première question. Ce Réseau des Carnot qui n'est pas très connu, expliquez-nous ce que c'est en quelques mots.
Alors le Réseau des Carnot, qui sommes-nous ? En fait, nous avons été créé il y a presque 20 ans maintenant. Le Carnot, c'est un label qui est donné à des laboratoires de recherche qui travaillent avec l'industrie. Alors, ce n'est pas anecdotique, c'est 10 000 contrats par an, un contrat toutes les 10 minutes. Pendant que nous parlons, un contrat est signé avec une entreprise quelque part en France. Cela représente aussi 100 créations d'entreprises par an : deux fois par semaine, une start-up technologique est créée, ce qu'on appelle les start-up deep tech. Nous créons également environ une équipe de recherche commune entre la recherche et l'industrie par semaine, soit 50 à 60 par an.
Mais c'est quoi le Réseau des Carnot, une fédération au final ?
Le réseau est une fédération de laboratoires, donc des centaines de laboratoires, les plus grands organismes de recherche, les grandes universités, les écoles d'ingénieurs comme l'INSA Lyon, Centrale Lyon, près d'ici, et des centaines d'autres qui représentent 35 000 personnes. Cela représente 20 % de la recherche publique française, donc c'est considérable.
Donc c'est considérable. Le Réseau des Carnot en Auvergne-Rhône-Alpes, parce que c'est ce qui nous intéresse aussi, ça représente quoi ? J'ai vu qu'il y en avait 23, c'est ça ?
C'est ça, il y a 23 instituts Carnot présents dans la région et parfois ailleurs aussi, parce que nous avons une portée nationale. Un Carnot peut être local, typiquement Ingénierie@Lyon, qui regroupe des laboratoires lyonnais. Mais nous avons aussi des Carnot nationaux, dans le domaine du cancer par exemple, avec de fortes implantations à Lyon mais également présentes partout en France.
Et là, collaboration emblématique, on peut citer Safran par exemple ?
Nous travaillons avec tout le CAC 40. Localement, nous travaillons notamment avec Michelin, avec qui nous avons de nombreux contrats et laboratoires communs depuis très longtemps. Nous collaborons avec des entreprises de tout domaine, de toute taille, dans toutes les régions, en particulier beaucoup en Auvergne-Rhône-Alpes.
Beaucoup de PME ?
Beaucoup de PME. Sur les PME, nous avons multiplié par huit notre activité depuis notre création. C'est compliqué de travailler avec les PME, car elles n'ont pas le temps de réfléchir à long terme à la recherche et au développement. Mais en instaurant une relation de confiance, nous avons réussi à développer ces partenariats : x8 en 20 ans.
Oui, alors que les plus grosses entreprises, elles ont leur département de recherche, d'innovation, de R&D. Un mot important, c'est la recherche partenariale, parce que finalement, le maître mot du Réseau des Carnots, c'est la recherche partenariale. On entend quoi par recherche partenariale au juste ?
La recherche partenariale, c'est un contrat entre un laboratoire et une entreprise. Cela peut aussi être du collaboratif, c'est-à-dire des consortiums de plusieurs laboratoires et entreprises qui se mettent ensemble pour aller chercher des fonds nationaux ou européens. Mais nous sommes plutôt sur le stade suivant : une entreprise souhaite contractualiser de façon bilatérale avec un laboratoire, pourquoi ? Parce que son besoin est confidentiel, parce qu'il est stratégique et qu'elle ne veut pas l'exposer publiquement. Donc elle travaille avec un laboratoire de niveau mondial, en particulier un laboratoire Carnot, et potentiellement sur le long terme, pour développer et avancer vers ses nouveaux produits et services innovants.
Oui donc au final, le Réseau des Carnot, finalement vous mettez en relation A et B, vous les mettez en relation pour qu'ils puissent contracter ?
Nous faisons beaucoup plus que mettre en relation. Nous travaillons avec l'entreprise. La mise en relation fait partie du travail, mais notre premier rôle est d'aller à la rencontre des entreprises, de comprendre leurs besoins, d'instaurer la confiance pour, au moment venu, travailler en partenariat. Le cœur de notre activité est de réaliser cette recherche et développement de concert avec l'entreprise. C'est pour cela que nous parlons de laboratoire commun de recherche, industrie et laboratoire public, afin de progresser ensemble vers le produit innovant.
On vous invite parce qu'il y a une actualité du Réseau des Carnot à Lyon, ce sera mercredi 15 et jeudi 16 à la Cité Internationale. Il y aura les Rendez-vous Carnot, donc ce sera du B2B, de la mise en relation. Combien de personnes attendez-vous ?
Il y aura des centaines d'entreprises, des milliers de personnes et des milliers de rendez-vous. Effectivement, ce mercredi et jeudi à la Cité Internationale auront lieu les Rendez-vous Carnot. Cela existe depuis 18 ans maintenant, c'est le premier salon européen de la mise en relation entre les entreprises et les laboratoires de recherche.
Et qu'est-ce qui en débouche finalement, qu'est-ce que vous pouvez en conclure sur ces 18 ans ?
C'est là que s'établissent les premiers contacts ou le renouvellement de contacts. Souvent, les entreprises viennent aux Rendez-vous Carnot et détectent de nouvelles potentialités, parfois même avec des équipes avec lesquelles elles sont déjà en relation. C'est vraiment le moment où l'on se pose la question : qu'allons-nous faire à partir de maintenant ? Il faut se rappeler que la R&D concerne les produits qui sortiront dans 5 ou 10 ans. L'IA que vous utilisez tous les jours aujourd'hui, nous l'avons développée dans nos laboratoires il y a 10, 15, 20 ans. N'oublions pas que les patrons des laboratoires d'IA des GAFAM sont français, ils viennent de nos laboratoires. Ce que nous en tirons, par exemple sur les PME, c'est ce x8 déjà évoqué, et surtout le fait que 94 % des entreprises qui viennent aux Rendez-vous Carnot repartent avec un contact qu'elles poursuivent ensuite. Elles se déclarent satisfaites et nous disent avoir trouvé le bon partenaire pour leur recherche partenariale.
Ce sera ma dernière question, vous allez aller très vite. Si on devait résumer finalement le rôle du Réseau des Carnots pour les entreprises et l'industrie en France ?
C'est un catalyseur de la recherche, un facteur de souveraineté. Il vaut mieux travailler avec un laboratoire français et entretenir une entreprise française ou européenne, car on s'approprie des technologies à toute vitesse, plutôt que de les acheter sur étagère aux États-Unis ou au Japon.
La croissance dont il parle n'est pas celle d'un enfant ou d'un arbre, mais bien la croissance exponentielle de PIB qui mène à l'extermination pure et simple de toutes les ressources sur terre.
Les brevets ? C'est la restriction au lieu du partage des savoirs. Logique dans un monde monétaire, mais qui n'engendre que l'exclusion et ensuite les tensions.
Au final, un monde qui n'est pas l'avenir serein. Soyons-en conscients.