Sylvie Tomic, adjointe à la ville de Lyon chargée des questions mémorielles, était l’invitée de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
La Ville de Lyon se dote d’un nouvel organe consultatif pour encadrer sa politique mémorielle. Ce comité a pour objectif d’"offrir un espace qui permette de discuter de les questions mémorielles d’une manière rigoureuse et apaisée", explique Sylvie Tomic. Pour l’élue, la mémoire collective est un terrain complexe, "qui renvoie à l’identité, au passé, parfois à des questions douloureuses", avec des mémoires qui peuvent entrer en concurrence. Le comité vise ainsi à "fournir un cadre de réflexion et d’échange pour renforcer notre politique mémorielle et étayer nos décisions".
Une pluralité de mémoires et un premier dossier sensible
La mission du Comité mémoriel couvrira un large champ : dénominations d’espaces publics, sépultures honorifiques, cérémonies, événements ou expositions. Sylvie Tomic insiste sur l’importance d’"ouvrir au maximum pour correspondre à la diversité de la population" et cite comme exemple la volonté de féminiser les noms de rue : "Au début du mandat, 11% des noms de rue portaient un nom de femme, aujourd’hui nous arrivons à 14%."
Le premier dossier examiné par le comité sera celui de la rue Bugeaud, dans le 6e arrondissement. Une demande ancienne de débaptisation portée par plusieurs associations suscite un débat politique, car Thomas Robert Bugeaud est accusé d’avoir commis des massacres de civils pendant la conquête de l’Algérie. Sylvie Tomic précise : "Le Comité rendra un avis, mais in fine c’est bien nous, élus, qui devons décider."
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La retranscription complète de l'émission avec Sylvie Tomic :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler des questions mémorielles, puisque au dernier conseil municipal de la ville de Lyon, le comité mémoriel a été voté. Et pour en parler, nous recevons Sylvie Tomic, adjointe à la ville de Lyon, chargée des questions mémorielles. Justement, bonjour Sylvie Tomic. On va rentrer dans le vif du sujet. Pouvez-vous nous expliquer d'abord pourquoi vous avez créé ce comité ? Comment ça se passait avant ? On aimerait comprendre.
Alors, on l'a créé parce que les questions mémorielles recèlent beaucoup d'enjeux. Ce sont des questions assez complexes et, pour travailler la question de la mémoire — ou même des mémoires — dans notre ville, il nous a paru important de créer un espace qui permette de discuter de ces questions de manière rigoureuse et apaisée. La mémoire renvoie naturellement à l'identité, au passé, et parfois à des enjeux sensibles. Les débats peuvent être très enflammés, les mémoires peuvent entrer en concurrence ou s'affronter. Dans ce contexte, nous avons voulu proposer un cadre — ce comité — pour se réunir et discuter des différents sujets à traiter, fournir un cadre de réflexion et d'échange afin de renforcer notre politique mémorielle et lui donner des bases solides pour étayer nos décisions.
Pour objectiver, de certaine manière, on comprend que donner de l'objectivité peut éviter des incompréhensions. Est-ce que vous avez des critères pour exprimer ces mémoires ? Il y a une diversité lyonnaise : mémoire historique, mémoire des minorités, mémoire ouvrière, et même mémoire coloniale. Comment est-ce que vous choisissez ?
Depuis le début de notre mandat, notre feuille de route en termes de politique mémorielle est de faire une place maximale à toutes les mémoires, y compris celles dont on parle le moins. Par exemple, la mémoire de la période coloniale, la mémoire de certains événements comme le génocide rwandais, pour lequel nous avons beaucoup poussé la commémoration. Il y a aussi la mémoire ouvrière. Notre objectif est de refléter la diversité de la population de notre ville, pour que chacun et chacune puisse s’y reconnaître.
Plus précisément, sur la question des dénominations des espaces publics — un pan important de la politique mémorielle — nous nous sommes fixés un critère : la féminisation de ces espaces. Au début du mandat, seulement 11 % des noms de rue portaient un nom de femme. Nous en sommes à 14 %. Nous sommes encore loin de la parité, mais nous nous efforçons de donner la priorité aux noms de femmes. Ce sont nos critères et axes forts depuis le début du mandat.
Est-ce que vous pouvez nous dire aussi où est-ce que ça s'applique ? Quel est le champ de la mémoire à Lyon ? Vous avez parlé des dénominations de places et de rues, mais il y a aussi d'autres aspects.
Le comité aura à traiter toutes les questions relatives à la mémoire. Cela inclut les dénominations d’espaces publics, les sépultures honorifiques — la ville entretient certaines sépultures de Lyonnais ou Lyonnaises célèbres, ou qui méritent que ce soit la ville qui prenne en charge leur entretien. Cela concerne aussi, de façon plus large, ce que nous faisons connaître au public : cérémonies, événements, expositions, colloques sur des thèmes de l’histoire de Lyon qui ne sont pas suffisamment connus ou traités et sur lesquels nous souhaitons donner un éclairage. Le champ est donc très large.
On va parler un peu de la rue Bugeaud dans le sixième arrondissement. Vous voulez changer le nom de cette rue, du moins vous l’avez proposé, car des associations l’ont demandé aussi. Cela a fait polémique sur le plan politique. Où en est-on aujourd’hui ? On rappelle : Bugeaud est accusé notamment de massacres en Algérie au XIXᵉ siècle.
Bugeaud est un maréchal qui a conduit la conquête de l’Algérie dans les années 1840. Je précise : nous n’avons pas dit que nous voulions changer le nom. Nous avons reçu de nombreuses demandes d’associations depuis plusieurs années pour débaptiser la rue Bugeaud. L’argument est que, vu les agissements commis par Bugeaud pendant la conquête de l’Algérie contre les populations civiles, il ne mérite pas cet hommage dans l’espace public.
C’est un sujet que nous avons proposé au Comité Histoire et Mémoire de la ville pour étude. Nous avons commencé des auditions : associations, historiens spécialisés, pour permettre un échange, un dialogue et une analyse exhaustive. Le Comité rendra un avis, mais la décision finale reste politique.
Juste : la rue Bugeaud est le premier dossier du Comité, il sera traité avant la fin du mandat ?
On l’espère, c’est l’objectif.
D'accord, juste une dernière question : vous avez dit que c’était une instance consultative. Pourquoi la rendre consultative, alors qu’il y a plus de 45 personnes et plusieurs collèges ?
La création de ce Comité s’inscrit dans le cadre d’un dispositif prévu par le code général des collectivités territoriales, qui prévoit que les villes peuvent se doter d’organes consultatifs. Ils sont toujours consultatifs, car ce sont les élus qui prennent la décision finale. Nous nous appuierons sur ses préconisations, recommandations, etc. Cela sera très éclairant, car ces sujets sont complexes. Mais c’est bien nous qui devons décider, comme pour tous les domaines de la vie municipale.
Très bien, ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup d’être venue sur notre plateau pour expliquer ce qu’est le Comité mémoriel. Quant à vous, merci d’avoir suivi cette émission. Plus de détails sur lyoncapital.fr. Je vous dis à très bientôt.